Le milieu du e-sport est en plein développement au Luxembourg, car comme partout, la jeunesse est en demande de sensations fortes sur consoles et jeux vidéo. Elle a, de plus, soif de compétition ! Et ce n’est pas la pandémie de COVID-19 et les confinements à répétition qui ont calmé la tendance… Sauf que côté structures et accompagnement, institutions et évolution des mentalités, les choses avancent moins vite que l’engouement de nos adolescents.
Pour la deuxième année consécutive, l’effervescence a gagné les lycées luxembourgeois autour d’une compétition de e-sport : la Tango High School Cup ! « Une compétition focalisée sur les lycéens, c’est une première. Il s’agit d’une formule très bien construite avec un public cible », s’enthousiasme Jonathan Mazza, Head of Communication chez Tango.
Lors de la première édition, environ 600 élèves ont participé aux quatre tournois organisés, et 23 000 views ont été recensées sur l’ensemble de la compétition. Preuve, s’il en fallait une, que la jeunesse luxembourgeoise est friande de compétition e-sport lorsqu’on lui propose quelque chose.
Cette année, déjà 224 concurrents ont participé au premier tournoi sur Fortnite, et 148 au deuxième sur Clash Royale. Les succès de l’Orange e-league et de la Post Master ne se démentent pas non plus. « Il est difficile de donner un chiffre total, mais pour ce qui est des compétitions dont nous avons la charge (LGX Arena et les POST Esports Masters), nous avons décompté plus de 1500 joueurs en 2021 », estime Fabio De Aguiar, CEO de 11F. « Je pense qu’entre 2000 et 2500 joueurs ont participé, au total, à des compétitions d’e-sport l’année dernière », complète Kevin Hoffmann, CEO de FWRD et membre de la LESF. « Je pense que le ratio entre le nombre d’habitants et le nombre de jeunes intéressés par le e-sport ne doit pas être différent des autres pays », estime Loïs Pierson, 21 ans, bachelor en Sport Management à LUNEX, et fin observateur du monde du gaming un peu partout en Europe. « Nous travaillons sur des projets liés au e-sport, nous suivons les chiffres, sur les réseaux sociaux ou auprès des étudiants. On voit donc que l’intérêt augmente », confirme Sebastian Merten, Lecturer et Research assistant à LUNEX.
Le gap générationnel s’estompe
Le marché du jeu vidéo pèse aujourd’hui plus de 300 milliards de dollars, avec 2,7 milliards de joueurs, chiffre qui grimpera très certainement à 3 milliards d’ici fin 2023. Les barrières et les freins tombent entre la population et l’univers du e-gaming. La pandémie et les confinements successifs, on l’a dit, ont complètement boosté le phénomène. Les différences entre les générations s’estompent également : « De plus en plus de jeunes parents ont grandi avec les jeux sur console ou les premiers jeux sur ordinateur. Ils connaissent mieux tout ça, et l’acceptation autour de ces enjeux augmente. Mes parents ont maintenant la soixantaine, ils n’ont jamais été proches du sujet ni ne l’ont vraiment compris. Les choses changent. Les médias généraux aident beaucoup également en multipliant les publications sur le e-sport, et la compréhension s’améliore. Les nouveaux parents ont déjà une relation avec les consoles. De plus, tout le monde possède un smartphone aujourd’hui, et même les générations plus âgées sont habituées à jouer à une certaine forme de jeux, même si c’est Candy Crush ou un jeu de cartes. Cela joue certainement un rôle », analyse Sebastian Merten.
« Pour avoir réalisé des présentations devant des élèves et des étudiants ces dernières années, et j’ai réellement ressenti un intérêt chez une grande majorité des jeunes luxembourgeois pour ce sujet. De nos jours, nombreux sont les jeunes qui rêvent de devenir joueur pro, youtubeur ou streamer. Si on se fie aux statistiques de Twitch, plateforme numéro 1 pour le gaming, on remarque que la demande pour ce secteur est en forte croissance ces dernières années. La nouvelle génération de joueurs est très active sur nos compétitions. On découvre chaque année de nouveaux visages, de nouveaux gamers qui intègrent la communauté », témoigne Fabio De Aguiar, de chez 11F. La demande est là, la vague est donc prête à déferler sur le Grand-Duché.
Mais le développement suit-il réellement cet engouement ? Les différentes structures avancent-elles assez rapidement pour accompagner cet élan ? « Cela se développe très rapidement. On s’améliore vite. Les choses commencent à se professionnaliser », assure Jonathan Mazza, de Tango. « Il y a un développement rapide ici, et de plus en plus de structures se mettent en place. La seule chose qui est un peu plus compliquée, c’est en termes de sponsoring pour les événements. C’est un pays plus petit que ses voisins, donc le marché semble parfois trop restreint et pas aussi actif qu’ailleurs. La pluralité des langues est également un problème. Faut-il se concentrer sur l’allemand, l’anglais, le français, le luxembourgeois ? Cela joue certainement un rôle dans les difficultés à communiquer sur le sujet et peut compliquer les choses », complète Sebastian Merten.
Un retard vertigineux par rapport aux voisins
Des compétitions s’organisent, certes, les choses bougent, mais lorsque l’on écoute certains observateurs avisés comme Loïs Pierson, le retard par rapport à d’autres pays reste vertigineux : « Il y a beaucoup de différences avec les scènes française, allemande et anglaise. Il n’y a clairement pas les mêmes moyens. Au Luxembourg, ça se développe petit à petit, mais on est encore très loin des autres pays européens. Ce qui amène les jeunes vers le e-sport, ce sont surtout des streamers très connus. En France, ils ont par exemple Kameto. En Espagne, ils ont Ibai qui collabore avec Gerard Piqué. En termes de visibilité, ils sont au max. Dans ces pays, les gouvernements et les institutions prennent également davantage ça au sérieux, dans l’accompagnement des gamers et dans les aides. »
Au Luxembourg, un joueur quasi pro sur FIFA comme Ivanilson Lopes (cf. notre interview dans ce numéro) est obligé de se débrouiller tout seul, même lorsqu’il représente le Grand-Duché dans des compétitions internationales. S’il veut vraiment évoluer et passer un cap, il sera obligé de partir à l’étranger, où il a déjà reçu des propositions, faute de structures véritablement à la hauteur ici. « Quand on voit l’ampleur des événements en France… C’est aussi grâce à des streamers comme ZeratoR, capable de lever 10 millions d’euros en 50 h de stream. On a la Tango High School Cup ou l’Orange e-league, mais ça reste très petit. C’est sûr que ça va malgré tout dans la bonne direction, il faut du temps, et il reste beaucoup de chemin à parcourir », insiste Loïs Pierson. Jonathan Mazza réagit sur la question du manque d’accompagnement pour les gamers : « C’est là qu’on intervient en tant que marque, et à l’avenir on pourra recruter des joueurs. On veut développer notre concept et s’investir sur le long terme dans le e-sport, tout en y apportant un volet éducatif, ludique et culturel. »
Fabio De Aguiar, lui, positive et veut souligner le chemin déjà parcouru : « Le plus important à noter est que de plus en plus d’événements sont organisés dans le pays, et les médias s’engagent à nos côtés pour promouvoir au mieux la scène. J’ai aussi pu remarquer au fil du temps et des entretiens que les mentalités ont changé, aussi bien chez les sponsors que chez les partenaires. Si en 2013, je devais encore prendre le temps de tout expliquer dans les moindres détails, aujourd’hui en 2022, le domaine est suffisamment connu et acquis pour que je puisse passer à la vitesse supérieure dans les négociations. En près de 10 ans, j’ai donc pu constater une véritable évolution. Du côté des structures, on a pu voir l’apparition de plusieurs équipes e-sport dans le pays suite à leur participation à nos différents tournois et compétitions. Cependant, il reste évidemment encore une marge de progression et les équipes doivent se professionnaliser davantage, mais c’est en bonne voie. J’espère également que de nouvelles équipes verront le jour. Au niveau des compétitions, je suis d’avis qu’il existe déjà assez de propositions intéressantes sur le marché. »
« Plus il y aura d’acteurs sur ce marché, mieux ce sera »
Du côté des institutions, c’est plus lent, même si les prémices d’une prise de conscience se font sentir : « Elles s’y intéressent et les contacts se multiplient à ce niveau-là. Cela prend du temps et c’est normal. Plus il y aura d’acteurs sur ce marché, mieux ce sera », espère le Head of Communication de Tango. Fabio de Aguiar est plus direct : « L’étape qui manque encore pour passer un vrai cap, c’est le fait que l’État soutienne réellement ce secteur. Je trouve cela dommage qu’un domaine qui a visiblement un énorme potentiel pour les prochaines années ne soit pas soutenu par une institution étatique. Selon moi, il est grand temps que les personnes ayant créé et développé le marché ces dernières années se réunissent avec les différent(e)s ministres, dans le but de fixer des objectifs ensemble pour l’avenir et définir la meilleure manière de les réaliser. » Si l’e-sport veut passer un cap au Luxembourg, il faudra de toute façon que tous ces acteurs, justement, appuient sur l’accélérateur : « En ce qui concerne le développement actuel, et s’il continue ainsi, il sera très probablement obligatoire d’avoir des départements e-sport concernant la stratégie de diversification dans les écoles ou les institutions, et cela sera pertinent pour atteindre les groupes cibles. Pour les générations à venir, il y a de fortes chances que le e-sport soit plus important que les sports traditionnels. En termes de professionnalisation ou d’aspects pédagogiques, on le voit déjà aujourd’hui, de plus en plus de programmes ou de masters vont apparaître. Mais il est difficile de dire jusqu’où cela ira. Si vous regardez les sports traditionnels, au début, vous aviez surtout des études sportives pour les sciences académiques, et petit à petit, de plus en plus de niches comme la gestion du sport ou la nutrition sportive sont devenues populaires, professionnelles et structurées dans l’organisation. Je pense que dans le e-sport, vous verrez des développements comparables. Vous aurez besoin d’avocats, d’administrations commerciales, etc. Regardez Schalke 04 en Allemagne, qui a dû vendre ses licences e-sport lors de sa relégation et a gagné plus d’argent avec cela qu’avec certains transferts de joueurs. C’est plus de 25 millions qu’ils ont gagnés en vendant cette licence. Et une chose que nous savons, c’est que là où se trouve l’argent, la professionnalisation a lieu. Des sous-marchés apparaissent et des choses semblables à cela se produiront », prédit Sebastian Merten.
En conclusion, la jeunesse luxembourgeoise, comme partout en Europe, joue et a envie de jouer, est en demande de compétitions, d’interactions, d’événements autour du gaming et du e-sport. Les marques comme Orange, Tango et d’autres se positionnent et veulent participer à ce développement. Les deux fédérations luxembourgeoises, la FLES et la LESF jouent leur rôle. Les institutions se réveillent doucement… Le potentiel est là, énorme. Il ne reste plus qu’à monter dans le wagon lancé à pleine vitesse, qui n’attendra pas les retardataires sur le quai de la gare. Laisser passer ce train qui mêle progrès, technologie, émulation et business serait bien dommage…
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