Début novembre, la meilleure nageuse luxembourgeoise de l’histoire a décidé, à 25 ans, de brutalement raccrocher maillot et lunettes. Une lassitude et un besoin de dire stop qui viennent de loin et sur lesquels la championne se confie. Au moment de baisser le rideau, elle revient sur une carrière riche, auréolée de résultats magnifiques, et témoigne aussi sur la dureté de son sport. Entretien avec – encore… – un petit goût de chlore.
Revenons sur cette décision importante dans votre vie. Comment s’est produit le déclic ? En lisant vos déclarations, on a le sentiment que c’est venu assez subitement ?
Oui et non. Oui, parce que d’un côté je m’étais quand même mis pour objectif de faire les Championnats du monde à Melbourne en décembre, et avec le COSL on avait également élaboré tout un plan pour aller aux Jeux à Paris. Finalement, j’ai vite décidé d’arrêter… Mais les premiers signes remontent à plus loin. Après le covid, j’ai vraiment eu du mal à repartir… Trois ans de pandémie, c’est long. La natation peut être un sport horrible… J’ai eu deux semaines de congés par an pendant dix ans de ma vie. Et avec le covid, encore moins ! À un moment, on n’avait plus d’entraînements du tout, mais en même temps on ne savait pas si les Jeux de Tokyo allaient être repoussés ou pas. L’incertitude était permanente. On avait beau plus s’entraîner à la piscine, on allait courir, on faisait de la musculation, on n’était pas en vacances. Dès que les bassins ont rouvert, on est retournés nager comme durant une saison normale… Donc il n’y a eu aucune pause, au final ! Tout le monde a repris, avec du stress partout, certains avaient progressé, d’autres régressé.
On a vraiment l’impression que cette période de covid a été encore plus dure pour les athlètes…
Oui. Pour tous les gens avec qui je nageais, ça a été très dur. C’était l’année des J.O. Moi, je n’étais pas encore qualifiée donc ça m’a mis une pression énorme ! Et en recommençant, tu sens que tu n’as pas nagé pendant deux mois. On essaye de se rassurer. Mais j’ai eu beaucoup de mal à reprendre, j’ai senti que ce n’était plus la même chose. Il y a un an à peu près, je suis revenue au Luxembourg et j’étais littéralement épuisée. Je n’avais aucune énergie, j’étais morte. Mentalement, il n’y a pas eu de pause, on a été en surentraînement. En revenant, on a dû faire comme si tout allait bien, car les J.O. arrivaient… alors que ça n’allait pas.
C’est cette accumulation de difficultés et un calendrier post-covid démentiel qui ont précipité votre décision ?
Exactement. Et en janvier l’année dernière, je disais déjà : « Stop, on fait une pause, sinon on ne va jamais y arriver. » Je me suis quand même arrêtée de janvier jusqu’à juin… Et puis j’ai remarqué que la natation me manquait, que j’aimerais bien décrocher ces demi-finales des J.O. à Paris, et j’ai retrouvé de la motivation. Mais je ne me suis pas rendu compte que cela allait être si difficile… En juin, la reprise a été très dure. J’ai recommencé avec mon premier entraîneur. Ça marchait bien, je suis allée à Rome. Puis j’ai eu une nouvelle pause avec les vacances. J’ai ensuite commencé un nouveau travail et c’est devenu compliqué avec les horaires. La natation, c’est un sport où il faut vraiment arriver à l’entraînement avec la batterie chargée à 100 %. Et avec le travail – c’est ma première année comme prof de sport, de luxembourgeois et d’anglais – ça demande de la préparation… J’adore, mais cela prend du temps, il faut s’adapter, et je n’avais plus l’énergie en sortant pour nager. Faire ce sport à 80 %, ça ne vaut pas la peine. Surtout quand on vise une demi-finale aux Jeux. Je suis partie en stage début novembre, pendant les vacances de Toussaint, et je me suis interrogée. J’en avais parlé un peu avec mes parents, notamment de trouver une autre organisation pour m’entraîner plus. Mais je me suis demandé : « Est-ce que tu as vraiment envie de nager à nouveau neuf fois par semaine ? » Je ne savais pas si j’étais encore capable de tout redonner pour la natation. Je me suis rendu compte que j’avais besoin d’autre chose. J’ai fait ça pendant quinze ans, ça ne pouvait plus prendre toute la place.
On ne se rend pas toujours compte des sacrifices que demande le haut niveau, du caractère répétitif, monotone, notamment des entraînements. Est-ce en partie pour cela que vous dites stop ?
Oui, aussi. Le covid, au-delà de son aspect perturbant et horrible dont on a parlé, nous a également permis, paradoxalement, de parler davantage à certains proches, de prévoir des projets pour l’après-covid… Cela m’a fait prendre conscience de pas mal de choses. Quand j’étais plus jeune, au Sportlycée, et que mes amis allaient boire un verre, moi j’allais à l’entraînement et ça ne me dérangeait pas parce que je voulais faire ça ! J’ai tout donné à la natation pendant quinze ans, je n’ai aucun regret… mais j’ai envie de souffler, de voyager. Il y a deux semaines, j’ai dit à ma mère : « Je visiterais bien plein de pays et de villes que j’ai déjà traversés, mais toujours la tête dans les bassins. Je n’en ai finalement rien vu. » J’ai toujours rêvé de skier par exemple, et jusqu’ici je n’avais pas le droit.
Vous étiez pourtant qualifiée pour les Championnats du monde à Melbourne en décembre. Vous rêviez des Jeux de Paris. Vous ne vouliez pas attendre encore un peu ? C’était le moment et c’est comme ça ?
J’ai l’impression qu’il y a deux sortes d’athlètes. C’est soit tu te mets une date et tu te dis là, c’est la dernière compétition, le dernier objectif. Pour moi, quand mentalement c’est décidé, que je ne le sens plus, c’est fini. Je veux vraiment arrêter avec tous les bons souvenirs. La majorité des mauvais viennent des deux ou trois dernières années… L’année dernière à Abu Dhabi, je n’ai pas bien nagé du tout, c’était la première fois sur une compétition internationale. Et j’ai eu honte. Et des choses comme ça, je ne veux plus les revivre. Ça marque. C’est plus facile de retenir les mauvais moments que les bons… Aujourd’hui, je suis très loin du niveau d’une demi-finale à Paris. Je n’ai plus l’envie d’aller me torturer à l’entraînement pour rattraper ce retard.
Au moment d’arrêter, quel bilan faites-vous de votre carrière ?
Avec du recul, en regardant en arrière, je pense que j’ai obtenu de très bons résultats. Aucune autre fille luxembourgeoise n’a réussi à atteindre ce niveau. Je pense que je peux être fière de moi là-dessus. Il y a aussi eu ma 12e place aux Championnats du monde à Gwangju et c’était super. Mais à ce moment-là, alors que tout le monde voyait ça comme une belle performance, moi je retenais que je ratais la qualification pour les Jeux d’un centième… J’ai passé toute la soirée enfermée dans ma chambre à pleurer. À l’instant T, on veut toujours plus, mais maintenant que c’est fini, je me dis que j’étais bien bête de pleurer, parce que 12e au monde, c’est super.
Quel est votre plus grand souvenir dans les bassins ?
Je n’ai pas un moment précis à citer. Je me rends compte que ce ne sont pas les résultats sur le papier que je retiens ou les médailles… Je garde plutôt le fait que c’est beau de réussir à se marrer et à se sourire en équipe alors qu’on est en train de souffrir et de se faire mal en même temps, notamment aux entraînements. On se soutient et on se motive les uns les autres. On apprend beaucoup de choses en natation, qui sont très utiles pour tout dans la vie, et c’est cela que je retiens.
Vous avez passé cinq ans à l’université d’Auburn aux États-Unis. Quelle place prend cette expérience à la fois dans votre carrière et dans votre vie de femme ?
Pour moi, aller aux États-Unis est le meilleur choix que j’ai fait dans ma vie. Le premier semestre n’était pas évident, j’avais un copain au Luxembourg, j’avais 19 ans, je voulais rentrer… Et puis, j’ai dit ciao à tout le monde et je ne suis rentrée que dix jours par an pour Noël. Et cela a été une expérience incroyable ! Je suis très heureuse d’avoir saisi cette chance. Pour progresser, il y a un monde entre le Luxembourg et les États-Unis… Là-bas, tout est organisé, pour les cours, pour les entraînements. C’est difficile à expliquer, vraiment. Pour eux le sport, c’est tout, quand pour nous en Europe c’est considéré comme du loisir. C’est toute une mentalité.
De quoi sera faite votre vie désormais, dans les mois qui viennent ? Quels sont vos projets ?
Ça, c’est une bonne question. Les vacances au ski pour commencer ! Je vais profiter de ne pas avoir un agenda fixe. J’ai postulé pour travailler en temps plein comme prof, comme j’ai plus de temps. Mais je vais profiter d’avoir des moments d’imprévus, de pouvoir sortir le soir sans restrictions, etc. Et je vais refaire du sport, ça, c’est sûr. J’adore tout dans le sport… sauf la course à pied ! (Rires.)
Vous allez malgré tout rester investie dans la natation ? Transmettre votre expérience ?
Oui, aux États-Unis j’ai eu cette chance de faire des week-ends de formation pour encadrer des enfants et les entraîner, et pour les aider également mentalement. Je trouve qu’on n’a encore pas assez conscience du rôle du mental dans le sport. Durant toute ma carrière, je n’ai eu aucun support pour ça… J’en ai pris un, moi, en 2020. Il faut apprendre aux athlètes à gérer la pression. On fait 40 h par semaine pour le physique et finalement rien ou pas grand-chose pour le mental. Et j’aimerais bien participer à ce changement avec la Fédération. Je garderai toujours un pied dans l’eau, quoi qu’il en soit.
Julie Meynen
25 ans (née le 15 août 1997)
12e des Championnats du monde de Gwangju en 2019 sur 50 m nage libre.
Championnats du monde : Gwangju-2019, Budapest-2017, Kazan-2015, Barcelone-2013.
Championnats d’Europe : Rome-2022, Londres-2016.
Jeux olympiques : Tokyo-2020 (26e sur 50 m nage libre, 32e sur 100 m nage libre), Rio-2016 (26e sur 50 m nage libre et 25e sur 100 m nage libre).
Étudiante-athlète de l’année 2020 aux Auburn Tigers (rookie de l’année en 2017), 11 médailles en SEC (South Eastern Conference).
Multiples médailles aux JPEE (Liechtenstein-2011, Luxembourg-2013, Islande-2015).
Participante aux J.O. de la jeunesse à Nankin (4e sur 50 m nage libre et 6e sur 100 m nage libre).
Médaillée de bronze aux Championnats d’Europe juniors à Poznań sur 100 m nage libre en 2013.
Détentrice des records nationaux sur 50 m nage libre (24″78 en grand bain et 24″75 en petit bain), 100 m nage libre (54″44 en grand bain et 53″39 en petit bain), 50 m pap (27″66 en grand bain et 27″13 en petit bain), 100 m pap (1′ 00″ 90 en petit bain), 50 m brasse (31″95 en petit bain).
Propos recueillis par François Pradayrol
Mental Médias SARL
15 Rue Emile Mark
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