Défenseur incontournable du FC Differdange 03, Kevin D’Anzico s’est rapidement imposé comme titulaire depuis 5 ans : auteur du but de l’égalisation dans le temps additionnel au cours du derby 2021, il a depuis soulevé la coupe en 2023, le trophée de champion et ses premières capes internationales l’année suivante, et il se dirige droit vers un deuxième sacre en 2025. Entretien long format avec celui à qui tout réussit.
Depuis ton arrivée à Differdange en 2019 de Käerjeng où tu étais depuis tes 11 ans, tu n’as cessé de progresser et d’être couronné de succès. Quelle est la prochaine étape ?
Kevin D’ANZICO : Faire le doublé ! C’est ce qui manque pour qu’on ait fait le tour en gagnant tout ce qu’il y a à gagner au Luxembourg. Je pense que si on ne le fait pas cette année, ce sera notre objectif pour la saison prochaine. On a l’équipe la plus forte du pays avec un large écart, et au niveau de la forme dans laquelle on est, c’est tout simplement le moment pour tout gagner.
Désormais, avec cette route toute tracée vers une deuxième titre consécutif, il va falloir assurer dans la campagne européenne.
Oui évidemment que jouer la phase préliminaire de la Ligue des Champions est la prochaine étape : la qualification en poules. On est en train de construire déjà pour franchir ce cap, car cela fait déjà deux-trois ans qu’on joue les matchs européens sans jamais passer malgré nos prestations. C’est l’ambition du club, de l’équipe mais aussi une ambition personnelle de tous les joueurs de réussir au moins une fois. J’espère que le groupe pourra se maintenir jusqu’à cette étape et qu’on restera unis. Mais en général, les meilleurs joueurs même en fin de contrat veulent se montrer pendant cette phase et on espère les avoir encore avec nous pendant la campagne européenne.
Qu’est-ce qui vous a manqué avec Differdange pour faire la différence face à Klaksvík et Ordabasy ?
La différence entre le niveau semi-pro ou amateur et le niveau professionnel, c’est les petits détails. On a peut-être pas été assez attentifs. C’est là que l’adversaire a montré qu’il était meilleur. À Klaksvík on manque complètement notre début de match et notre entrée en Ligue des Champions. À Ordabasy, désormais on en rigole tous ensemble, mais après avoir mené 1-0 à l’extérieur, tu loupes ta dynamique en te mettant un but toi-même, sans pression, juste parce que tu n’étais pas attentif… À Maribor, je n’en parle même pas, c’était un match complètement fou… C’est le foot : cela nous a donné de l’expérience, on a pris de la maturité et on abordera la nouvelle campagne avec plus d’intelligence.
Vous avez eu deux gardiens d’exception ces deux dernières saisons : Romain Ruffier et à présent Felipe Ventura. C’est rassurant pour un défenseur d’avoir une tour de contrôle aussi imperméable derrière soi ?
Oui c’est super rassurant ! Et malgré ces deux profils complètement différents, ça fait deux années de suite qu’on peut compter sur un gardien extraordinaire. Avec Romain, on pouvait compter sur le jeu au pied, lui qui montait en charnière centrale pour faire quasiment une défense à trois ! Je me souviens quand je suis arrivé à Differdange, les spectateurs et le comité disaient qu’on ne pouvait pas être meilleurs, car on n’avait pas un bon gardien. Je ne pensais pas que c’était si important, mais en fait ça fait aussi partie du tout. Si à un moment du match tu es un peu moins concentré, c’est lui qui vient te sauver. Là avec Felipe, ça fait 8 matchs qu’on n’a pas encaissé de but, sur les corners on n’est jamais inquiété : quand il sort, tu es sûr qu’il a le ballon ! À 41 ans, après tout ce qu’il a vécu, son parcours… il est incroyable. Après l’entraînement, si tu veux tirer des pénaltys, c’est lui qui va dans les buts et il plonge ! C’est un vrai amoureux du football, il a tout le temps envie.
Depuis 5 ans, tu formes avec Juan et Théo une charnière à trois insubmersible… On parle de 5 buts encaissés en 22 matchs, une seule défaite. On imagine que c’est à force de travail mais aussi d’entente sur et en dehors du terrain ?
Je pourrais parler de tout le monde : mon équipe est la meilleure aussi parce que individuellement on a les meilleurs joueurs à chaque poste. Mais on est devenu de vrais amis. Ça va au-delà d’une simple entente. Comme le disent les Brésiliens en rigolant : « Familia, Familia ! » Mais en fait c’est vraiment ça, on est amis dans la vraie vie. Et quand tu rentres sur un terrain, et que tu vois que tu n’es pas seulement avec des coéquipiers mais avec des amis, c’est une énergie supplémentaire. C’est un truc à part : tu veux jouer avec lui, serrer les dents ensemble. C’est difficile à expliquer, mais c’est pour ça que les directeurs sportifs parlent toujours de « créer un groupe ». Avant je ne comprenais pas pourquoi c’était si important. Là, je comprends… Tu peux avoir les meilleurs joueurs, tant que tu n’as pas un groupe et une force ensemble, tu ne réussiras jamais. C’est ce que Remy Manso et Pedro Resende ont compris : avant d’avoir les meilleurs joueurs, les plus chers, les plus forts, il cherchent à créer un projet et un groupe.
Qu’est-ce qu’un coach aussi exigeant que Pedro Resende vous a apporté depuis deux saisons ?
Tactiquement c’est tellement fort… Il comprend le foot et il analyse énormément. Chaque semaine, on s’adapte à l’adversaire : on fait des séances vidéos, on change l’entraînement, la tactique et même parfois la composition en fonction de ce qui arrive le week-end. C’est la marque des plus grands. Quand on entre sur le terrain, on sait exactement ce qu’on doit faire, dans chaque cas de figure. Si dans ton travail, tu arrives le matin dans ton entreprise et que tu ne sais pas ce que tu dois faire, le travail ne sera pas bien fait : tu peux savoir te servir d’un ordinateur, être bon en mathématiques ou en comptabilité, si tu ne sais pas ce que tu dois faire, ça ne sert à rien. Au foot, tu peux savoir faire des passes, être bon techniquement, si quand tu rentres sur le terrain, tu ne sais pas où te placer, tu ne sais pas exactement quoi faire en fonction des situations, ça n’ira pas. Se préparer avec un bon coach comme Pedro, ça apporte une confiance qui change tout. Je trouve même dommage pour lui qu’il n’ait pas eu la reconnaissance extérieure qu’il mérite, que ce soit du club, des supporters ou des médias. Pour moi, ce qu’il a fait est tout bonnement exceptionnel. Tu peux regarder les stats, les matchs, les performances : tout a changé. Ça ne peut pas être un hasard ! En plus de la tactique, il sait gérer tout le monde, personne ne conteste jamais son autorité. Il a une ligne de conduite et il est toujours le même : le Pedro qui est là aujourd’hui, c’est exactement le même que celui qu’il était il y a 5 ans quand il est arrivé à Differdange la première fois. Il parle avec les mêmes principes, il respecte l’adversaire de la même façon. Il ne se laisse pas influencer par tout ce qui vient de l’extérieur. Il ne regarde pas le tableau, les résultats des autres. Là on va rentrer dans la période de gestion du mental avec le groupe. Lui il est vraiment très fort mentalement et il arrive à nous le transmettre.
Même si tu étais suspendu lors du derby, on a pu voir une différence de niveau entre les deux rivaux, c’est une satisfaction d’avoir atteint un tel degré de maîtrise collective ?
Cette année on est vraiment très bon, et là c’était la première fois que je le voyais depuis l’extérieur du terrain. Je voyais tout ça et je me disais franchement que tout fonctionnait. Là aussi on s’est adapté à Niederkorn. À un moment on était à 6 derrière, pour contrer Sacras et Jousselin qui voulaient apporter la supériorité numérique. Et on était préparés à tout. C’est ça notre force, et ça vient entièrement du travail du coach. À la mi-temps, tout le groupe avait l’impression qu’il nous manquait quelque chose, que Mendy et Trani étaient isolés. Le coach est arrivé, tellement calme, et a juste demandé de continuer exactement le plan initial. Il nous a dit que les espaces allaient s’ouvrir tout seuls et qu’ils ne tireraient plus une seule fois vers notre but. C’est exactement ce qui s’est passé… Il pourrait largement entraîner à un meilleur niveau. Généralement c’est le coach qui ramène des joueurs, mais si moi un jour je passe le cap, j’aimerais dire à mon nouveau club « prenez ce coach, il est trop fort ! ». Pedro, je suis convaincu qu’il réussirait en pro. Je lui souhaite et je pense le voir réussir un jour à niveau vraiment plus haut, dans un club de Liga Portugal. Peut-être pas Benfica, mais des équipes de milieu de tableau comme le club de Gerson Rodrigues. Chaque club où il est passé, il a eu des résultats. Et comme joueur, quand tu as un maître au-dessus de toi qui te dirige, tout le mérite lui en revient. Pedro on l’appelle « le boss ». Quand il dit quelque chose, tu dois le faire. C’est facile dans la vie : s’il y a une hiérarchie, respecte-la et tout se passera bien. Fais ce que tu as à faire, entraîne-toi bien, ne fais pas la gueule, et le coach s’en apercevra.
Toi aussi, tes stats et ton aura te permettent d’espérer évoluer en pro dans un avenir plus ou moins proche ?
Si tu ne l’espères pas, tu es sur le mauvais chemin ! Quand tu joues à un haut niveau, tu es obligé d’espérer. Mais je suis toujours réaliste, et je ne partirai que si ça en vaut la peine. L’environnement comptera beaucoup aussi : la ville où je vais vivre, le club, les gens avec lesquels je serai au quotidien. Je pense que c’est important d’être heureux dans la vie si tu veux t’épanouir sur le terrain. On ne parle pas souvent de ces aspects, mais il y a des choix qui te rendent malheureux et qui peuvent nuire à ta carrière. J’ai connu des amis qui sont partis pour être pro, pour avoir le statut et un salaire supérieurs, et ils ont fini en déprime à ne plus vouloir jouer au foot. Mais forcément le groupe va changer l’année prochaine. Quand tu as tout gagné, après tant d’années et avoir eu tellement de réussite, c’est logique.
L’année 2024 a aussi été celle de ta première sélection en équipe nationale. Tu as été appelé dès le mois de septembre par Luc Holtz, et en octobre, tu rentres en jeu pendant une demi-heure face à la Bulgarie. Tu démarres même titulaire en défense centrale contre la Biélorussie.
Très content de ma prestation en Bulgarie, beaucoup moins en Hongrie, je ne vais pas l’embellir… Ça n’était pas un début réussi mais je n’ai absolument pas perdu ma confiance. J’en ai parlé après le match avec le capitaine, avec Barreiro, avec le coach : personne n’était inquiet. Ça arrive tout le temps et ce soir là c’était pour moi, ce sera peut-être une bonne leçon. Après, Moris a sauvé le pénalty ! (Rires) Mais honnêtement, pour la première fois, je ne me suis pas inquiété. C’est dans ces moments-là où tu montres si tu es fort. C’est pas difficile d’être confiant après le match contre la Bulgarie… J’avais gagné chaque duel, le coach m’avait félicité, c’est facile d’avoir la confiance. Quand pour ton premier match titulaire, tu concèdes un pénalty, tu prends un jaune et tu sors à la mi-temps, là c’est plus difficile !
Souvent, on souligne davantage le travail des offensifs, dans les onze type, les récompenses… Sortir du lot en qualité de défenseur et être sélectionné pour représenter le pays, ça doit être d’autant plus valorisant pour toi qui as toujours évolué au pays ?
Bien sûr ! C’est une fierté de porter ce maillot. La deuxième fierté, c’est de rejouer avec des joueurs qui ont fait les étapes avec moi en équipes de jeunes, en U18, U19, U21, et de jouer aux côtés de Leo Barreiro… J’ai joué avec lui en U19, et là il est à Benfica, c’est incroyable ! Et c’est aussi une fierté supplémentaire parce que je sais combien c’est difficile dans ma position, dans la BGL Ligue, en tant que défenseur, d’intégrer actuellement cette équipe nationale. C’est un sentiment à part : si l’entrée était facile, ce serait différent, mais là je sais que le billet d’entrée est très cher. Chaque jour je veux donner 120%, car j’ai conscience que ce ticket n’est pas une carte blanche. Luc Holtz te le donne, mais il faut le mériter pour le garder. Ça lui donne encore plus de valeur, surtout quand je ne suis pas encore pro.
Pour toi, où se situe notre niveau ?
Je pense qu’on peut espérer des hautes performances, encore plus de réussite que celle qu’on a déjà eue. Peut-être une participation à une coupe d’Europe ou un championnat du monde. J’ai confiance parce que je vois la qualité qu’il y a. Le futur est entre de bonnes mains, avec Seid, Tomás, Yvandro, Alessio et bien d’autres noms : toutes les individualités dans le groupe sont vraiment très fortes.
En mars 2026, nous affronterons Malte pour un barrage afin de rester en Ligue C. Ce serait une catastrophe si on perdait ce match ?
Notre niveau n’est pas celui de la ligue D. Bien sûr que ce serait une catastrophe, on le sait tous. Le coach l’a dit aussi : il faut tout faire pour ne pas descendre. Même s’il faut garder les pieds sur terre, il faut aussi savoir ne pas s’y enfoncer trop profondément, dans la terre… Il faut avoir un certaine confiance, et c’est ce qui nous manquait toujours avant. « Nous le Luxembourg, on est tellement petit, on ne peut pas gagner contre l’Italie… » Ça, il faut vraiment le changer. Et ça a déjà changé. On a des joueurs qui jouent au plus haut niveau ! Barreiro est titulaire en Ligue des Champions, Kiki Martins est l’un des meilleurs joueurs du championnat russe, tout le monde joue à très haut niveau… Il ne faut pas tomber dans l’excès de confiance non plus, mais sans confiance, tu ne peux pas jouer au foot. Tu peux avoir le meilleur joueur du monde, un Messi, un Mbappé : on l’a vu, un joueur sans confiance est un joueur mort. Et la confiance ça se travaille. Le coach a un rôle là-dedans, on le voit : le coach il aime le groupe, il croit en chaque joueur individuellement. Il pense à chaque match qu’on peut le faire, il croit à la victoire, et je pense que c’est exactement la bonne mentalité. Même si on est réaliste : face à l’Allemagne on sait que ça va être très très difficile, mais il faut partir sur le plan A : on peut le faire. Luc Holtz l’a bien compris. C’est comme à l’école : c’est le professeur qui donne l’exemple. Si le professeur a confiance dans sa capacité à réussir, l’élève va y croire aussi et se surpasser. J’ai déjà vécu des situations autrefois où j’étais confiant avant un match, mais après le speech du coach j’avais perdu toute la confiance…
Entre la défense à trois et une charnière à deux, quel est ton système de jeu préférentiel ?
Je préfère à trois. Même en équipe nationale. C’est normal, si tu joues d’une certaine manière et que tu vois que ça marche bien, la réussite donne envie. Bien sûr que je suis convaincu de ce système : c’est un système qui permet à la fois d’être très fort défensivement, de garder un bloc équilibré, et de se transformer en dispositif très offensif si besoin. C’est ça la force de la défense à 3. Tu peux y intégrer beaucoup d’individualités différentes. Parfois je me sens comme un arrière droit, j’ai la liberté de couloir, je peux avancer avec le ballon, je peux aller au duel beaucoup plus haut… Et en phase offensive, on laisse juste Bedouret et Brusco : je monte, les pistons Franzoni Lempereur montent, tu as huit joueurs complètement offensifs, c’est redoutable ! Mais il faut le maîtriser, il faut savoir exactement où se placer. Et compenser : s’il y en a un qui part, on coulisse.
Quel est le joueur dont tu t’inspires pour te transcender ?
Je suis supporter de Barcelone depuis tout petit, mais je dois avouer que je me suis toujours inspiré de Sergio Ramos : un guerrier, à la fois avec un côté fou mais calme balle au pied, capable de se projeter vers l’avant et de marquer beaucoup de buts… C’est quelque chose que j’aimerais bien améliorer. Pas forcément au niveau des stats, mais participer au jeu offensif. On est en train de le changer : Bedouret et moi on a plus de libertés. C’est dommage que contre Mondorf mon but soit signalé hors-jeu. Sinon je suis vraiment fan du joueur de Barcelone Cubarsi, il est tout simplement exceptionnel. À cet âge-là, avoir cette maturité, je le regarde chaque semaine, je trouve qu’il est vraiment très fort au niveau défensif comme balle au pied, bon de la tête, dans les duels…
Dans le vestiaire de Differdange, qui met l’ambiance ?
Le Brésil ! (Rires) Honnêtement tout le monde met l’ambiance, mais les Sud-Américains apportent quelque chose avec leur musique, leur joie de vivre… S’ils pouvaient choisir, ils feraient la fête du matin au soir ! Et pourtant ils sont totalement engagés. On a aussi le clown de l’équipe, Artur, qui adore faire des bêtises pour faire rire le groupe. Lempereur est notre DJ attitré, il se sent bien dans ce rôle. Et chaque joueur, y compris ceux qui ont un faible temps de jeu, participe à mettre l’ambiance.
Crédit photo : Steve Birtz, Jules Regrenil
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