2022 a été l’année de la consécration pour vous : après avoir été vice-champion d’Europe d’autocross, catégorie Buggy 1600 à trois reprises en 2014, 2018 et 2021, vous avez été sacré champion d’Europe le 18 septembre dernier. Un objectif que vous visiez depuis des années. Racontez-nous ce que vous avez ressenti ce jour-là.
Avec le team (mon père et un copain), on courait derrière ce rêve depuis longtemps… Mon père l’a été en 1996. Je voulais tellement moi aussi accrocher ce titre ! Là, à deux courses de la fin de la saison, ce 18 septembre à Saint-Igny-de-Vers en France, je savais que je pouvais le faire. Quand je franchis la ligne d’arrivée, que le drapeau s’agite, je comprends que ça y est, c’est fait… C’était incroyable, j’avais mon père dans l’oreillette qui me répétait que j’étais champion d’Europe. On a tous ressenti beaucoup d’émotion, surtout mon père qui est derrière moi depuis que j’ai 8 ans et qui a tout fait, toujours, pour m’aider dans cette quête.
Comment s’est construit ce titre au fil de la saison ?
On avait vraiment bien préparé cette saison, j’avais beaucoup de sponsors derrière moi. Du coup, j’ai pu me concentrer à 100 % sur la voiture. Sur la mécanique, mon pote l’a préparée de façon impeccable à chaque fois. Mon père a super bien bossé sur les moteurs, il n’y avait aucun problème.
On ne se rend pas toujours compte des sacrifices que représente votre parcours dans ce sport, car l’autocross est votre passion et non votre gagne-pain. Comment vous organisez-vous depuis des années ? À quoi ressemble la vie de Kevin Peters au quotidien ?
La vie de Kevin Peters est bien remplie, il n’y a pas de temps mort ! Il n’y a pas assez d’heures dans une journée. Je commence par le boulot dès 7 h du matin, jusqu’à 15 h. Après, j’ai une famille, une femme et deux enfants, je suis à la maison jusqu’à 18 h environ. Ensuite, je pars travailler sur la voiture avec mon père, dans le garage, pour une bonne partie de la soirée. En ce moment, elle est complètement démontée et on prépare des ajustements pour la saison prochaine. La famille joue un rôle important dans tout ça, en acceptant et en soutenant.
Pour les non-initiés, quelles sont les spécificités de votre discipline par rapport à d’autres sports automobiles ?
L’autocross n’est pas un sport que l’on choisit pour l’argent, déjà. Cela reste familial. L’avantage c’est que l’on peut vraiment travailler sur la voiture comme on le souhaite, sans injecter un budget trop conséquent. L’investissement est raisonnable par rapport à du rallycross, par exemple. On n’est pas contraints de tout élaborer autour d’un constructeur comme dans d’autres disciplines, à part pour les châssis et les coques qui sont fournis par un fabricant, mais pour le reste, on est toujours libres de faire ce que l’on veut. Cette liberté est intéressante, on bosse les pièces nous-mêmes, on soude, etc.
Quand et comment avez-vous commencé à développer cette passion pour l’autocross ?
Tout petit je suivais déjà mon père sur ses courses. À 8 ans, il me demande ce que je veux faire comme sport et je lui dis que je suis intéressé par la motocross, qui me fascinait. J’ai fait ça jusqu’à 16 ans, en réalisant de belles performances, notamment un titre de champion d’Europe, et je roulais également au niveau le plus élevé en Belgique. Mais c’est un sport tellement intensif pour le corps, tellement chronophage… Il fallait faire du vélo et de la musculation en plus. Les choses devenaient trop compliquées, notamment avec les études, alors j’ai arrêté. C’est à ce moment-là que mon père me relance, l’air de rien, et me sort : « Tu ne veux pas faire de l’autocross ? » Au début, je lui réponds non catégoriquement, en lui disant que jamais je ne ferai ça ! Il insiste, me dit « essaie une fois ». Je craque et j’accepte, à 18 ans, en commençant avec une voiture basique, avec une simple cage et uniquement des pièces de série. J’ai fait quelques courses en Allemagne, puis le niveau est progressivement monté et je me suis pris au jeu. En 2008, on construit la première buggy et on attaque des courses régionales et le Championnat d’Allemagne (notamment pour obtenir une licence luxembourgeoise internationale). Je remporte le titre en 2009-2010. Et puis on s’est lancés sur le Championnat d’Europe une fois la licence obtenue. Alors au début, je ne faisais que deux ou trois courses chaque année, car le budget était trop serré, en continuant le Championnat d’Allemagne. En 2012, j’ai fait le championnat complet pour la première fois. Et comme mon père avait conquis ce titre de champion d’Europe, c’est vite devenu un challenge pour moi d’aller le chercher à mon tour !
Vous citez souvent l’importance de votre famille, de vos proches, dans votre vie de champion. Justement, comment est composé votre team ? Quel est le rôle de chacun ?
Mon père travaille beaucoup sur la voiture avec moi à la maison. J’ai deux copains qui m’aident aussi, notamment un sur les courses. Gilles vient juste sur les courses et connaît la voiture par cœur. Jeannot, lui, prépare les pièces usinées et donne aussi un coup de main de temps en temps sur les courses. Et la famille, qui me soutient tout le temps ! Si on part sur une course, on prépare la voiture tous les soirs de la semaine qui précède, avant de partir le jeudi soir, le plus souvent. À ce moment-là, ma femme va faire quelques provisions pour qu’on ait de quoi manger et boire. Nous, on charge tout ce qu’il faut dans le camion. On arrive le vendredi matin tôt sur site, on installe le stand, le matériel, et c’est parti pour le week-end.
Pour revenir sur ce titre de champion d’Europe, qu’avez-vous modifié pour franchir ce cap et enfin passer de la deuxième place du podium à la plus haute ? Sur quoi cela s’est-il joué ?
Je pense que c’est surtout moi ! J’ai été très à l’aise dans la voiture, je n’ai pas fait de fautes contrairement à d’autres années. J’ai appris à mieux gérer mes courses, à accepter parfois de prendre des points en terminant seulement deuxième plutôt que de prendre trop de risques. C’est sûrement dû à l’âge (35 ans), à la maturité ! Il faut dire aussi qu’on n’a eu aucun souci matériel, mon père a fait un boulot énorme sur la voiture pendant tout l’hiver, et les copains aussi. On a notamment réussi à changer un moteur sur une heure chrono à un moment clé de la saison, entre une manche et une demi-finale, avant que je remonte dans la voiture couvert d’huile et de liquide de refroidissement. Après des péripéties de ce genre, les émotions sont encore plus fortes.
Maintenant que le titre de champion d’Europe est acquis, comment voyez-vous la suite ? Êtes-vous tenté par autre chose, un changement de catégorie, voire de discipline ?
L’étape d’après, c’est déjà de défendre mon titre de champion d’Europe. C’est le plus important pour moi. Le deuxième objectif c’est que le constructeur de la voiture, JRR Racing, veut m’offrir la voiture pour rouler dans la catégorie Super Buggy, mais je ne peux pas parce qu’il est impossible de rouler dans deux catégories différentes sur une même saison dans les Championnats d’Europe. Je vais quand même faire deux ou trois courses du Championnat hollandais et en Allemagne avec cette voiture pour faire des tests. Et peut-être qu’en 2024, je tenterai l’Europe en Super Buggy.
À 35 ans, après des années de carrière, d’où tirez-vous encore votre motivation ?
Les choses fonctionnent par étape. Au début, je me disais « je veux gagner une ou deux courses » puis gagner Nova Paka, la course mythique en République tchèque où l’autocross est un sport national. Ensuite, j’ai voulu terminer dans les cinq premiers du championnat, et ainsi de suite. On en veut toujours plus. Maintenant que j’ai presque tout réussi, le titre, gagner Nova Paka deux fois (ce qui est vraiment très spécial, c’est une ambiance de fou là-bas), je veux malgré tout encore gagner, conserver mon titre, et on verra ensuite pour d’autres catégories, pourquoi pas. La question centrale reste souvent celle du budget.
Justement, cela revient souvent. Combien coûte une saison aujourd’hui en buggy ? Et quel serait l’écart avec une catégorie au-dessus comme le Super Buggy ?
C’est toujours difficile à dire précisément. Juste pour partir sur les dix courses, pour les voyages, on est à 70 000 euros la saison. Sans la voiture, uniquement pour l’organisation. Si on ajoute le camion qu’on a transformé pour vivre dedans et y entrer la voiture, c’est aussi un gros investissement. Et si on ne casse rien sur la voiture, on atteint 100 000 euros. Pour franchir le pas en Super Buggy, c’est surtout le prix des moteurs qui change la donne. Un moteur Volvo 3 litres par exemple coûte 60 000 euros, et une boîte c’est entre 15 et 20 000 euros. Pour l’instant, c’est un peu trop pour moi. Mais avec le constructeur qui m’offre la voiture, ça pourrait le faire.
Un titre de champion d’Europe, ça doit quand même automatiquement ramener des sponsors, non ?
C’est sûr, oui. J’ai déjà conservé les mêmes que l’année dernière, qui étaient impressionnés par ma performance et restent derrière moi. Certains vont donner un peu plus pour la prochaine saison. Et un ou deux nouveaux devraient s’engager. Je dois aussi regarder au niveau du ministère avec les congés sportifs et voir ce qu’ils peuvent éventuellement donner pour les courses.
Tout votre parcours en autocross, votre carrière depuis toutes ces années, qu’est-ce que cela vous a appris en tant qu’homme et en tant que sportif ?
Beaucoup de choses se sont passées, il y a eu des hauts et des bas, beaucoup de hauts, mais aussi beaucoup de bas. Et quand on est en bas, il faut toujours se motiver, c’est un sport. Il faut trouver des solutions, remonter. Il y a eu des années difficiles, notamment après mon accident en 2016 lorsque mon buggy a pris feu et que j’ai été brûlé. Mon père n’a pas compris que j’avais réussi à sortir de la voiture quand elle était en feu, il a eu très peur. Après ça, il voulait que j’arrête… Mais j’ai dit non et deux mois après je remontais dans la voiture. Donc ma carrière m’a appris à avoir un gros mental, à me battre dans toutes les situations. J’essaie aussi de garder les pieds sur terre et de rester un homme simple, comme tout le monde.
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