C’est peut-être le premier vrai beau week-end de l’année 2021. Un enchaînement de deux jours dans lequel pour la première fois, ciel bleu, soleil et chaleur idéale sont au rendez vous. Cela tombe bien, car en ce samedi 29 mai, les joueurs de l’équipe du golf de Kikuoka se sont donnés rendez-vous pour un entraînement. Le programme : un 18 trous commencé aux alentours de 9 heures du matin et divisé en deux équipes.
L’objectif de cette session : se préparer pour le championnat inter-clubs qui se disputera début aout au golf de Belenhaff. Après avoir remporté la compétition en 2019 (l’édition 2020 fût annulée pour cause de COVID), l’équipe de Kikuoka espère conserver son titre, remporté après une très longue période de domination du golf du Grand-Ducal. Et estime avoir l’équipe pour mener à bien ce projet. Néanmoins, pour Rudy Scholer, capitaine depuis maintenant sept ans, loin de lui de s’enflammer. Quand on lui demande de confirmer que son équipe est favorite pour cette prochaine édition du championnat inter-clubs, trois mots sortent de sa bouche : « Sur le papier ». Signe d’un leader d’équipe qui ne vend pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué, mais qui compte bien tout faire pour sortir vainqueur de la lutte. Pour aller chercher ce titre, Rudy y consacre du temps. Beaucoup de temps. A raison de six fois par semaine, il est sur le parcours. Un dévouement monstre pour cette passion dans sa vie, qui ne l’empêche pas une fois à la maison de regarder des compétitions à la télévision. Il n’y a pas besoin de parler plus de dix minutes avec lui pour comprendre clairement sa raison de vivre : Rudy mange, boit, dort et respire golf. « C’est une passion que j’ai depuis que je suis tout jeune. Quand j’avais 13, 14 ans, on gagnait un peu d’argent en faisant caddie au Grand-Ducal. C’est vraiment là que j’ai pris le gout de ce jeu. »
Une fièvre pour un sport qu’il pratique de manière quasi hebdomadaire avec une auto-critique assez marquante. Ce qu’il recherche avant tout, c’est l’amélioration constante : « Dans le petit jeu, c’est là où je perds le plus de point. C’est pour ça que je ne suis pas dans l’équipe. Le neuvième de l’équipe a un handicap de 0,9. Avec mon 3, cela fait quand même une différence ». Le capitaine ne se sélectionne donc pas, conscient que les chances de l’emporter sont plus élevés sans lui parmi les joueurs. Une attitude totalement en adéquation avec le personnage et qui montre bien à quel point cette compétition est prise au sérieux. Pas pour un semblant de rivalité, ou par égo. Loin de là. Tout simplement parce qu’il est capitaine, et que ce tournoi pourrait être le dernier pour lui avec ce rôle clé : « Il va sûrement être l’heure de passer la main à la prochaine génération ». Un départ qu’il peut appréhender, mais qui pourra le décharger de certaines tâches douloureuses : Le capitaine est sélectionneur, organise l’entraînement, l’attendance, la stratégie de jeu, qui joue dans quel ordre… C’est parfois difficile. En particulier pour la sélection de l’équipe. On a à peu près une vingtaine de bons joueurs et vu qu’il y en a que neuf qui jouent… Certains sont sûrement déçus. C’est pas toujours simple. Dans l’ensemble, on se base sur les handicaps. Mais il peut y avoir quelques jeunes, qui sont moins bien classés mais en pleine progression qui peuvent faire partie de l’équipe. » Devoir annoncer à des personnes que l’on côtoie souvent, voire des amis qu’ils ne feront pas partie de l’équipe peut en effet être une certaine charge mentale. Mais Rudy Scholer aime ce poste de capitaine, et n’est pas encore dans une optique de nostalgie. Car en attendant, il reste cette compétition, dans un peu plus d’un mois, et un titre à conserver.
Une équipe, sept nationalités.
Et pour atteindre son but, Rudy sait qu’il peut compter sur son équipe, tout aussi motivée. Ils sont sept ce jour-là à répondre présent. Et, à bien analyser la team, on se rend compte véritablement d’à quel point le golf est un sport universel. Avec un Ecossais, un Irlandais, un Américain, un Portugais, un Français, un Anglais vivant en Allemagne, et un Luxembourgeois se promenant sur les fairways, c’est là la quasi totalité des communautés du Grand-Duché qui se retrouve. Un entraînement organisé, mais avant tout, un vrai plaisir pour tous les membres du groupe. À commencer par John Wildt, expatrié américain depuis maintenant quelques années au Luxembourg : « Cette météo, c’est magnifique. Je ne serais allé nulle part ailleurs aujourd’hui. » « De toute façon, dès que j’ai le temps, je suis sur un parcours, quel que soit la météo ». Se définissant lui même comme « L’américain inculte cliché », John est arrivé au Luxembourg il y a de ça quelques années. « Ma femme écrit un livre sur la seconde guerre mondiale, donc venir en Europe, près de ou tout s’est passé paraissait nécéssaire. Quant elle m’a proposé de changer de vie pour venir ici, je suis allé à la bibliothèque pour en découvrir plus sur le Luxembourg. Je n’y connaissais rien ». Avocat chez Amazon, l’américain s’est noué d’amour pour le pays et a aussi pu reprendre sa passion pour le golf. « Vivant à Brooklyn, il était devenu très difficile pour moi de jouer. Dès que je suis arrivé ici, j’ai recommencé à pratiquer le golf. » Il n’hésite d’ailleurs pas à égratigner un tant soit peu, mi-rieur mi gêné le golf du Grand-Ducal. « Je les ai appelé, confiant. La réception que j’ai eu au téléphone m’a vite fait comprendre qu’on n’appelle pas simplement le Grand-Ducal pour solliciter une adhésion », rigole t’il encore. « Ensuite, j’ai contacté le Kikuoka, et cela a été beaucoup plus simple ». John partage avec Rudy et les autres membres de l’équipe le désir de progression. Pour preuve, il a récemment engagé un coach privé à qui il envoie des vidéos pour travailler son jeu.
Dans la catégorie des profils inattendus, Sean Nevin décroche assurément le lot. Militaire depuis plus de trente ans, cet anglais vivant en Allemagne est aussi passé par les équipes de jeunes d’Everton au football, et a eu une carrière semi-professionnelle. « J’ai toujours été passionné de sport. J’ai eu une « carrière » en Angleterre. J’ai plus de 40 matchs de FA Cup à mon actif, j’ai voyagé à travers le monde avec l’armée. Avec l’âge, je ne pouvais plus faire les sports que j’aimais tant. Le golf est venu naturellement. C’est une activité dans laquelle il faut toujours se remettre en question, et où l’adversaire principal, c’est toi. C’est quelque chose qui me plait ». Et à laquelle le retraité est assurément talentueux, avec un handicap descendu en dessous de 0 après un long travail. « Après avoir divorcé de ma première femme, mon handicap est descendu en flèche » s’esclaffe t-il. « Mais plus sérieusement, le descendre à 0 a été une tâche extrêmement ardue. Et c’est aujourd’hui encore plus compliqué de le conserver. » Sur quoi estime t-il devoir encore s’améliorer ? « Gérer la pression. Le jeu est là, je le sais. Mais il faut savoir le maîtriser. Tout est dans la tête. Bien jouer après un joli coup, ok. Mais savoir réagir sans vriller après s’être raté dans les grandes longueurs : c’est bien là le défi. » Une phrase qu’un bien grand nombre de joueurs connaissent, et qu’il faudra maîtriser pour s’adjuger le titre en août.
Plus que la victoire, Sean ne cache pas son envie de battre une équipe du Grand-Ducal qui, à ses yeux, est loin des valeurs qu’il attend de ce sport : « Ils ne savent pas gérer la défaite. Et ne sont pas élégants dans la victoire. Une fois en jouant ici, ils se sont tout simplement jetés dans la rivière pour célébrer leur victoire. C’est à ce moment là que j’ai du partir. Avant que mes nerfs ne lâchent totalement » nous raconte t-il avec le flegme britannique si classique. Mais cela n’est pas tout : « Lors de la dernière compétition, alors que nous sommes à égalité au dernier trou, l’adversaire réussit un birdie. Il se met à courir dans tous les sens sur le green, alors que j’ai encore un coup à jouer pour moi aussi jouer -1. Je n’avais jamais vu une telle attitude. Et j’ai raté mon putt. Ma tête n’y était plus, j’étais trop en colère. Evidemment que j’ai envie de gagner, mais ça n’est pas l’objectif de ma vie. Si on le fait, génial. Si on perd, la vie continue ».
La compétition, reportée en août, se fera bien avec lui. Alors que le casse-tête est réel pour les divers capitaines pour composer leurs équipes dans une période de l’année où grand nombre sont en vacances, Sean répondra présent, et donnera tout pour offrir son A-game. Face au Grand-Ducal, mais aussi Belenhaff dont il vante allègrement le niveau des joueurs « Junglinster a d’excellents joueurs. D’excellents joueurs. Mais ce qui leur manque, c’est la profondeur. Pour vraiment être à son meilleur, il faut 12-13 top players. Ils n’en sont pas encore à ce chiffre là-bas. » Dur avec lui-même, critique de son niveau quand bien même ses partenaires le félicitent pour une belle approche, Sean n’hésite tout de même pas à se moquer de ses partenaires de jeu. Et en particulier d’Alan Botfield. Il faut bien dire qu’entre un Anglais et un Écossais, il en faut peu pour se charrier. Et les deux n’y vont pas de main morte. Vannes sur le niveau de jeu, la vie privée et autres : tout y passe. Ce qui ne les empêche pas de se concerter longuement quand un débat a lieu d’être sur un coup particulier.
La quête éternelle d’amélioration
Alan, qui s’apprête à rejoindre une boîte de recrutement n’hésite pas à utiliser le golf pour parfaire ses aptitudes au boulot. Particulièrement intéressé dans sa vie professionnelle à comprendre les qualités et défauts de personnes, l’Ecossais dresse extrêmement vite le parallèle entre l’attitude sur un parcours, et celle dans un bureau. « On voit énormément de choses sur quelqu’un en faisant un 18 trous avec. Son attitude dans la victoire, la défaite, son taux de patience, de self-control, son acceptation de ses limites… Tu peux en savoir énormément sur qui est une personne en quelques heures sur un fairway ». Au-delà de ça, l’Ecossais est un profond adepte de l’auto dérision, et se proclame – par modestie ? – comme le moins bon joueur présent ce jour-là. Un constat qui ne l’empêche pas d’être confiant sur la victoire, et en particulier sur le niveau de ses partenaires.
À commencer évidemment par Cedric Bourdy. Aux yeux d’Alan, un monde se dresse entre lui et les autres joueurs. « Il est bien au-dessus de nous. Je pourrais dire qu’il frappe plus fort, ce qui est vrai et procure en effet un avantage indéniable. Mais tout dans son jeu est meilleur. Le petit jeu, l’analyse du parcours, le self-control. Il est bien, bien supérieur. Et on a énormément de chance de pouvoir l’avoir dans notre équipe. »
Si Alan ne tarit pas d’éloges sur Cedric Bourdy, ce n’est assurément pas par hasard. Ce dernier, aujourd’hui gestionnaire de fortune chez la BOS Wealth Management Europe est tout simplement un ancien champion de France Junior et universitaire. Et a baigné dans le golf depuis son plus jeune âge : « Mes parents se sont rencontrés autour du golf. Ma mère est arbitre internationale et a été en équipe de France senior. Mon père, lui, c’est équipe de France junior. Mon oncle est enseignant de golf et mon cousin a joué plus de quinze ans sur l’European Tour et gagné quatre tournois majeurs. Dès mes quatre ans, j’étais au club de golf. A la garderie pour commencer, et puis très jeune sur les fairways. »
S’il affirme n’avoir jamais voulu devenir pro, l’idée d’être au sommet du monde amateur l’a longuement titillé. Et, à l’écouter, cette hésitation ne lui a pas apporté de bénéfices, que cela soit au golf ou dans sa vie privée : « Il y a évidemment des périodes où je ne joue pas très bien. La plus longue période devait être quand j’avais vingt ans, et que j’étais dans le top 15 français. D’un coup, mon jeu s’est déraillé, j’ai perdu la confiance et le cercle vicieux a commencé à se mettre en place. Quand j’étais sur le parcours, je me demandais ce que je foutais-là, je ne prenais plus aucun plaisir. Paradoxalement, je me suis sorti de cette phase en me concentrant sur les études, en donnait moins d’importance au golf. Je voulais être un des meilleurs amateurs, mais il fallait aussi que je me concentre sur mes études. Et quand j’ai réussi à me dire « prends le golf un peu plus à la légère », alors tout est revenu. Mon niveau, la confiance, tout. » Un avis que rejoint l’américain John. « Il y a eu des moments dans ma vie où j’avais décidé de mettre mon boulot de côté pour me focaliser complètement sur le golf. Cela a toujours été une catastrophe. Mélanger plaisir et obligation ne fonctionnait pas pour moi. Maintenant que j’ai moins de temps pour jouer, chaque fois que je suis sur un parcours, je savoure chaque instant ».
Après avoir écumé les parcours et touché au haut niveau, on pourrait légitimement se poser des questions sur la motivation de Cedric sur cette compétition moins prestigieuse. Des doutes balayés dès les premiers trous, où l’exigence du joueur envers soi-même est assez intimidante. « Je veux toujours gagner. Mais ça peut-être dans n’importe quel domaine. Je peux vite m’énerver si ça ne se passe pas bien. C’est dans mon sang. » Une attitude qui a pu lui jouer des tours plus jeune, mais que le temps semble avoir atténué. Aussi, l’ancien champion universitaire est aujourd’hui plus conscient de ses forces et faiblesses. « Avec l’âge, je ressens que le petit jeu est là où je suis le moins bon. Ça s’explique simplement avec le manque d’entraînement. Quand tu vieillis, tu perds le petit jeu. Le grand jeu lui en vieillissant va s’améliorer parce que tu connais ton swing depuis vingt ans, t’as une meilleure connaissance globale de toi, de ce que tu sais et ne sais pas faire. » Une chose qui n’a pas changé, c’est sa routine de préparation. A chaque coup, la même gestuelle rigoureuse, les jambes fléchis et l’analyse de la distance le séparant du trou. La recherche, encore et toujours, de la perfection…
Une réponse ferme aux clichés
Alors que nous approchons de la fin du parcours, les membres de l’équipe se sont habitués à notre présence, et ne cachent plus leur personnalité. Après s’être vanté de jouer en premier deux trous consécutifs, Alan Botfield perd l’honneur, et ses partenaires ne se privent pas de le charrier. Un « Back in the bus, bitch » asséné par Sean fait exploser de rire l’équipe. Aussi, plus à l’aise, les joueurs n’hésitent pas à moins manier le discours de facade, et donnent leurs réels opinions sur de nombreux sujets. A l’image de l’éternelle question sur le golf, toujours considéré comme un sport de riche, et élitiste.
Pour John Caulfield, ce débat n’a pas lieu d’être. Car pour lui, irlandais de naissance, le golf ne peut assurément pas être considéré comme une activité de niche : « Là où j’ai grandi, le golf est aussi accessible que le football. C’est une manière de voir les choses totalement différente. Tout le monde joue. Et pour ce qui est de l’image élitiste du golf… Oui, il doit surement avoir de ces personnes. Mais de mon expérience, 90% des gens que j’ai rencontré autour des parcours sont juste passionnés de ce sport ». Et n’hésite pas à mettre en valeur le côté atypique du Kikuoka : « Dans ce club, beaucoup sont des expatriés comme moi. Il y a des gens d’un peu partout. Comment peut-on être élitiste dans ce contexte-là ? Et au final, pour quelle raison sommes nous-là ? Pour nous amuser. Si le golf doit survivre, il ne peut pas être élitiste. Et le nouveau système de handicap universel va dans ce sens également ». Cédric Bourdy confirme lui aussi être en profond désaccord avec cette image.
« Le vélo, on dit que c’est un sport populaire, mais un vélo de compétition, c’est entre 5 et 10 000 euros. On ne mettra jamais de telles sommes au golf. Ce qui donne cette image, c’est plus la difficulté de rentrer dedans. Si tu n’as pas la famille ou un groupe d’amis pratiquants, c’est compliqué. Tu ne peux pas t’y mettre comme n’importe qui peut un jouer taper dans un ballon et faire un foot. C’est dans ce sens que j’estime que la Fédération luxembourgeoise doit faire un travail d’éducation dans les écoles. Pour que déjà là, cela soit une vraie possibilité. Si on fait découvrir aux enfants jeunes, on va réussir à créer plus d’engouement et démocratiser le sport. Le développement passe par là ». Une critique à peine voilée de la Fédération, coupable selon lui de ne pas bouger assez. Après avoir critiqué le site internet aux airs archaîques, la grande majorité estime réellement qu’il est nécessaire de faire un pas vers la nouvelle génération. « Avec notre expérience de jeu, de vie la passion et rigueur que l’on a, on peut aujourd’hui aussi la transmettre aux plus jeunes. Et ils peuvent aussi voir que ce n’est pas parce que c’est un sport sérieux qu’on ne peut pas se marrer sur le terrain » clame Alan Botfield. Un objectif que Paolo a eu du mal à transmettre à ses enfants « J’aimerais qu’ils jouent plus. Mais l’envie n’est pas réellement la. Enfin si : quand ce n’est pas au Kikuoka et que donc il faut dépenser 160 euros dans un Green Fee, là soudain mes enfants ont envie de jouer » rigole t-il. Absent pour l’interclubs en aout, le Portugais a néanmoins répondu présent ce jour-ci, pour faire ses dix-huit trous avec sa team. Un parcours qui s’achève d’ailleurs, alors que midi est dépassé.
Malgré ces quatre heures passées sur le parcours, l’équipe se prête avec plaisir à une dernière séance photo. Toujours aussi complices, nos mannequins d’un instant jouent le jeu et suivent les consignes de notre photographe. Un instant de détente après l’effort où les sourires et rires succèdent à la concentration intense aperçu lors du parcours. En espérant que les joueurs aient une telle bonne mine après le championnat inter-clubs du week-end du 7 et 8 août. Sinon, il faudra sûrement regarder du côté du Grand-Ducal pour apercevoir des visages rieurs.
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