La fête foreign

23 minutes

Ils sont des dizaines, chaque saison, à signer au Grand-Duché, en BGL Ligue, en Promotion d’Honneur ou encore dans les divisions inférieures.
Français, Japonais, Argentins, Australiens ou encore Comoriens : focus sur ces expatriés qui ont décidé de faire carrière dans le football luxembourgeois.

En foot – comme dans le monde du travail, d’ailleurs – les pays européens font appel à de la main-d’œuvre étrangère. Il y a eu le Shakhtar Donetsk et ses Brésiliens en Ukraine, Newcastle et ses frenchies en Angleterre, pour ne citer qu’eux. Le Luxembourg ne déroge pas à la règle : 58 % des joueurs de BGL Ligue et 54 % des joueurs de Promotion d’Honneur sont étrangers. Et c’est loin d’être une exception en Europe. Pour preuve, la France compte 55 % d’étrangers en Ligue 1 et la Premier League monte à 68 %. Seule l’Espagne et ses 41 % de légionnaires sortent quelque peu du rang. Forcément, le Grand-Duché fait la part belle aux Français, qui représentent 43 % des étrangers.


Chaque année, des dizaines de footballeurs franchissent les frontières du Luxembourg pour vivre leur passion du football. Ils viennent habituellement de France, d’Allemagne, de Belgique ou du Portugal mais depuis quelques saisons, des joueurs des quatre coins du globe parcourent parfois des milliers de kilomètres pour faire carrière au Grand-Duché. Le résultat d’une stratégie à la fois financière et humaine. Le FC Differdange et sa communauté hispano-lusophone ne diront pas le contraire. Prudence, toutefois, car nombreux sont ceux qui se sont cassé les dents. La gloire peut ainsi parfois être éphémère, et certains font un petit tour et puis s’en vont. Mais pour d’autres, la fête se prolonge pendant plusieurs décennies et ils deviennent des légendes vivantes locales, à l’image de Tomasz Gruszczyński et Jonathan Joubert. Le joueur étranger coûte-t-il moins cher ? Quelles sont les raisons qui le poussent à venir au Luxembourg ? Cette stratégie peut-elle mener vers une professionnalisation du championnat ?

« Un mec qui vient d’Argentine […], il ne vient pas pour l’argent mais pour le succès footballistique, donc il sait qu’il doit se battre pour réussir. Le gars de la frontière, si ça
se passe mal, il s’en fout, il va
à Amnévilleou ailleurs »

RÉMY MANSO

On connaissait le recrutement made in France au Luxembourg, voici désormais le mercato made in America du FC Differdange. Avec 8 nationalités différentes, Differdange fait partie des clubs les plus cosmopolites du Luxembourg. Avec un accent espagnol et portugais prononcé, le club de Fabrizio Bei fait depuis désormais quelques saisons ses emplettes du côté du Portugal et de l’Amérique latine. Néstor Monge, par exemple, vient de découvrir l’Europe pour la première fois à 33 ans, en provenance du Costa Rica. « Differdange m’a appelé et on s’est rapidement mis d’accord. J’ai l’opportunité de découvrir l’Europe et la Conference League », nous confiait le milieu de terrain avant d’affronter Maribor. Derrière ce recrutement, Rémy Manso, bien connu de la section futsal du FCD03. « On a un très bon contact sur place, Maxi », explique le nouveau directeur sportif du club. « Cette relation est basée sur la collaboration. Quand tu as une personne de confiance, avant de penser business et à te débarrasser d’un joueur de merde pour prendre une petite commission, tu penses plutôt à aider le club, car si ça se passe bien, celui-ci va t’aider en retour. On a essayé, on était satisfaits avec Juan Bedouret, donc on a voulu retenter le coup. S’il n’y a pas de restriction de la ligue, on va continuer. » L’homme à la tête des restaurants de Manso Group est immédiatement plongé dans le grand bain de ses nouvelles fonctions dans la période la plus bouillante de l’année, celle du mercato. « Je viens de commencer, j’ai des centaines de messages de toutes les couleurs, tous les pays, toutes les tailles (rires). » Le mercato de Differdange semble atypique, pour ne pas dire exotique, mais il n’y a pourtant aucune volonté d’en faire le club le plus hispanophone du Luxembourg. Simplement l’envie de privilégier l’humain avant le sportif. « Ma logique, c’est de trouver un profil de joueur qui a encore plus envie de gagner que moi. Qu’il soit noir, blanc, Chinois, Africain, peu importe ! La seule différence, c’est qu’un mec qui vient d’Argentine pour gagner 2 000 balles, même s’il en gagne 500 ou 1 000 dans son pays, il ne change pas de vie, de continent, ou abandonne sa famille pour 1 500 euros. Il ne vient pas pour l’argent, mais pour le succès footballistique, donc il sait qu’il doit être correct et se battre pour réussir. Le gars de la frontière, si ça se passe mal à Differdange, il s’en fout, il va à Amnéville ou ailleurs. Il est dans sa zone de confort. » Avant de sortir de leur zone de confort, en laissant femmes et enfants pour certains comme Néstor Monge, les recrues latines differdangeoises passent d’abord un entretien avec Rémy Manso. Encore une fois, l’humain avant tout. « On s’appelle en visio, je leur pose quelques questions, je leur fais quelques blagues. L’objectif est de cerner leur profil, voir s’il n’est pas négatif. Je me renseigne sur leur personnalité, comment ils étaient ailleurs. Je ne me contente pas de regarder une vidéo. Ma stratégie est simple : je ne cherche pas à convaincre le joueur. Je lui explique ce qu’il se passe chez nous et c’est lui, de lui-même, qui va vouloir venir chez nous. C’est en quelque sorte “Je te montre ce que tu vas manger et si tu veux manger, tu viens”, je ne leur dis pas “Tu vas vraiment bien manger tu verras” et quand ils arrivent, il y a de la viande alors qu’ils n’en mangent pas. » La métaphore culinaire est limpide pour l’homme à la tête de plusieurs restaurants à Luxembourg, qui met les petits plats dans les grands à l’arrivée de ses convives sur le sol luxembourgeois. « Si tu ne t’occupes pas d’eux, ça ne peut pas marcher. La plupart n’ont jamais travaillé, n’ont jamais vraiment été indépendants, entre les parents, la copine, le centre de formation. Pour nous, c’est facile de prendre un abonnement Internet, mais pour eux il y a la question de la langue. Cependant, une fois que tout le monde se connaît, la langue n’est pas un problème. Ulisses Oliveira a été l’un des meilleurs joueurs la saison passée et pourtant, soyons honnête, il ne parle pas français. Il a 34 ans, au Portugal on ne le prendrait plus au sérieux, mais ici, il peut nous donner encore trois ou quatre ans. Si je prends l’exemple de Nestor Monge, il a 33 ans, joue en première division et en sélection du Costa Rica. Je lui parle du financier, il me dit qu’il ne vient pas pour l’argent, mais pour réussir en Europe et se qualifier pour la phase de groupe de Conference League. C’est cette mentalité que l’on veut. » Certains arrivent sur le tard, d’autres sont dans la vingtaine et dans la force de l’âge, prêts à rebondir en cas de succès, à l’image d’un Lucas Comachi, passé par les équipes de jeunes de Boca Juniors ou Amine Naïfi, qui viennent profiter de l’exposition offerte par les matchs de Coupe d’Europe. « Il peut y avoir un Luxembourgeois qui a encore plus envie qu’un étranger, mais de manière générale, un étranger est quelqu’un qui a plus envie. J’ai vu des mecs très forts me dire “Ce week-end je rentre chez moi, aux Pays-Bas”, celui qui fait 15 000 kilomètres pour gagner trois fois rien, il ne peut pas rentrer voir sa femme le week-end, donc il se donne à fond. Sinon, à quoi bon venir ? Il fait moche, c’est loin et il n’y a pas la plage (rires). Si le mec est un animal qui ne parle à personne, ça ne m’intéresse pas. Il vaut mieux quelqu’un de moyen qui donne tout, qu’un très bon qui se donne à moitié. Ce sont des hommes avant d’être des joueurs et je veux être fier de ce groupe quand je vais dans mon club. Je ne fais pas ça pour l’argent, donc il faut qu’il y ait du plaisir et se sentir comme dans une deuxième famille ici. Le jour où je serai au Real Madrid, je réfléchirai autrement, mais je ne pense pas que j’irai (rires). »

Les clubs français pillés ?

Avec 120 joueurs français en BGL Ligue, les footballeurs tricolores représentent indéniablement l’exode des étrangers vers le football luxembourgeois. Confort de vie, salaires plus attractifs et la compétitivité d’une première division nationale poussent les footballeurs de l’Hexagone à franchir la frontière. Les dizaines de kilomètres en valent la chandelle. Mais qu’en est-il des clubs dans tout ça ? Sans indemnité de transfert, les équipes françaises se retrouvent parfois avec la queue entre les jambes. Cet été, l’US Sarre-Union a manifesté son mécontentement dans les colonnes de nos confrères du Quotidien. Le club, pourtant situé en Alsace, à 150 kilomètres de là, a vu partir six joueurs au Grand-Duché en l’espace de six mois, dont cinq lors de ce mercato estival. Jordan Swistek, Souleymane Baldé, Elvis Delgado et Jérémie Branca se sont tous engagés à Mondercange, alors que Ludovic Rauch a rejoint Amine Naïfi à Differdange, arrivé l’hiver dernier et déjà reparti à Sarrebruck. « Déjà qu’ils sont correctement rémunérés chez nous, alors j’imagine assez facilement qu’ils ne vont pas à Mondercange pour “sucer les glaçons” », lâchait Julien Lampert dans Le Quotidien. Celui qui gère les transferts va même plus loin. « Vous pouvez me raconter ce que vous voulez, mais entre un club qui joue les premières places en N3 en France et un autre qui joue contre la relégation au Luxembourg… ils ne les ont pas attirés avec une merguez et un Ice Tea après le match ! Qu’on arrête de me dire qu’il n’y a plus d’argent au Grand-Duché, sauf peut-être au Racing, qui a même essayé de nous refiler des joueurs. Branca vient même de “mettre une crampe” à Thionville alors qu’ils ont un projet qui pourrait les amener à terme en N1 et qu’ils rêvent de devenir pro. Tout ça pour aller à Mondercange. Je ne comprends pas. Au moins, vous découvrez ce merdier dans lequel on vit ! »

Si au Luxembourg, les clubs sont contraints d’aligner un certain nombre de joueurs luxembourgeois sur la feuille de match […], les écuries françaises sont aussi tenues par le règlement. Le nombre de joueurs mutés est limité et les clubs affaiblis par le mercato peinent davantage à se reconstruire. Pour Eric Breckler, le club paie sa politique sportive. « Je comprends leur réaction. Elle est normale, depuis le temps qu’ils se font piller et pas seulement par nous. Mais le problème vient aussi de leur politique. On dirait qu’ils font tout pour ne pas garder leurs joueurs, en ne leur parlant que le plus tard possible dans la saison et alors qu’ils n’ont plus de contrat. Ils ne sont pas assez vigilants et ne font rien pour se protéger. La première fois, je comprends, mais quand ça arrive deux ou trois années consécutives… », justifiait le directeur sportif du FC Mondercange.

Seulement une question d’argent ?

Mais le joueur étranger est-il forcément moins cher que le joueur luxembourgeois ? Manou Goergen, directeur sportif du F91 Dudelange, répond : « De manière générale, on peut dire que c’est le cas, mais il faut faire la différence entre joueur luxembourgeois et première licence. Une première licence est plus chère qu’un joueur étranger. Néanmoins, ce n’est pas une généralité et une des caractéristiques du joueur étranger, c’est que le plus souvent, il demande un contrat de travail, alors que les premières licences sont quant à eux soit des jeunes Luxembourgeois qui font leurs études à côté, soit des joueurs qui ont un travail et qui n’ont donc pas besoin d’un autre contrat de travail. » Une autre spécificité du Luxembourg.

De là à influencer la stratégie opérée durant le mercato… pas vraiment. « Il faut un quota suffisant de premières licences, donc on ne peut pas regarder uniquement du côté de l’étranger. D’autant plus que le mercato des premières licences a lieu beaucoup plus tôt que le mercato international. Le marché luxembourgeois doit se terminer au 15 juillet, et la priorité des clubs est d’assurer sur les premières licences avant de voir ensuite comment apporter de la plus-value avec les étrangers », poursuit Manou Goergen.

« Dans les divisions inférieures,
les gens viennent VOIR
LES JOUEURS LOCAUX »

MANOU GORGEN

Avec une proportion de joueurs étrangers toujours aussi croissante, les clubs prennent le risque de perdre des supporters luxembourgeois en chemin. Les plus anciens, surtout, plus attachés à la culture locale que la nouvelle génération et, par ricochet, aux joueurs du cru. « Je pense que ça jouait beaucoup plus dans le passé et dans les divisions inférieures, où les gens viennent voir les joueurs locaux. En BGL Ligue, je ne pense pas que l’on voit encore beaucoup cela, mais de manière générale, on s’identifie effectivement davantage aux joueurs présents au Luxembourg depuis plusieurs saisons, parce qu’on les connaît depuis plus longtemps. Jonathan Joubert, qui a fait toute sa carrière ici, et Samir Hadji, qui est longtemps resté au Fola avant de jouer au F91, en sont de parfaits exemples. »

Pourquoi les étrangers viennent-ils au Luxembourg ?

Ces deux derniers, Franco-Luxembourgeois pour le premier et Franco-Marocain pour le second, sont une belle vitrine du nombre de joueurs issus de l’Hexagone, qui représente la majeure partie des joueurs étrangers du foot luxembourgeois, soit 118 actuellement. Les clubs du Grand-Duché ont l’habitude de prospecter de l’autre côté de la frontière depuis maintenant des décennies. Dans les années 90 et 2000 déjà, les Français débarquaient au Luxembourg pour faire carrière, après avoir manqué le coche du monde professionnel, comme Tomasz Gruszczyński, passé par le FC Metz. « Le football luxembourgeois était méconnu à cette époque », se souvient le meilleur buteur de l’histoire du F91 (129 buts). Le natif de Wałbrzych, non conservé par le club messin en 2002, était parti tenter sa chance sur ses terres natales. « J’étais en essai en Pologne dans un club de première division quand David Carré m’a appelé pour me dire que Dudelange cherchait un attaquant. » Finalement, l’attaquant ne goûtera pas au monde pro au pays et privilégiera le Luxembourg. « Je devais finir mon essai par un match, car je n’avais fait que des entraînements. J’ai rencontré Flavio Becca, qui est venu me récupérer lui-même. C’était à 35 kilomètres de la maison, un projet intéressant. J’aurais pu faire comme beaucoup de mes collègues, continuer à faire des essais pour chercher une carrière plus professionnelle, mais je ne voulais plus. J’avais ma petite copine, qui est devenue ma femme, je voulais rester proche de la famille. Toutes les conditions étaient réunies pour que je signe ici et je me dis que j’ai réussi à faire une petite carrière sympathique. »

« Je disais à mes amis de venir à 20 ans, ils sont venus dix ans après,
en fin de carrière »

TOMASZ GRUSZCZYNSKI

Arrivé au début des années 2000 au Grand-Duché, Tomasz Gruszczyński évolue dans un contexte bien différent de la BGL Ligue que l’on connaît actuellement. À l’époque, les frontaliers français ne s’exportaient pas autant qu’aujourd’hui. « Quand je disais à mes amis de venir parce que c’était bien, personne ne voulait. Ils sont venus dix ans après, quasiment en fin de carrière », précise Gruszczyński.

Jonathan Joubert, modèle d’intégration

Au Luxembourg, certains destins se croisent. Non conservé par Metz, où il échoue aux portes de l’équipe professionnelle, Jonathan Joubert retrouve Tomasz Gruszczyński à Dudelange. Mais d’abord, le gardien pose ses valises à Grevenmacher, en 1999, à l’époque pensionnaire de Division nationale. « J’aurais pu aller à Caen après avoir fait un essai là-bas, seulement s’ils montaient en Ligue 1, mais malheureusement ils ont fini 4e », racontait Joubert dans Club House – notre émission sur le football luxembourgeois – il y a quelques mois. « J’ai refusé Tours et mon essai à Rennes a été mauvais. Un dribble qui n’a pas marché, une mauvaise sortie, merci au revoir (rires). » Faute de meilleure proposition, le gardien accepte l’offre de Grevenmacher et plonge dans l’inconnu, comme Tomasz Gruszczyński le fera quelques années plus tard. « Je ne connaissais pas grand-chose du Luxembourg, donc avec ma famille, on a décidé de venir y vivre tout de suite », se souvient le natif de Metz. « C’était peut-être un mal pour un bien, ça m’a permis d’avoir les cinq ans de résidence, d’obtenir la nationalité et de jouer pour l’équipe nationale. » En effet, après cinq années passées à l’est du Luxembourg, Joubert fonce vers le sud, direction Dudelange. Son passage au F91, où il devient joueur emblématique du club, lui ouvre les portes des Roud Léiwen, dont il porte le maillot à 90 reprises, faisant de lui l’un des joueurs les plus capés. Un modèle d’intégration pour celui qui officie désormais comme entraîneur des gardiens au club de la Forge du Sud.

Les étrangers, moteurs de développement

Malgré quelques sollicitations à l’étranger, notamment du côté de Groningen après un match abouti avec la sélection nationale face aux Pays-Bas, Joubert est resté toute sa carrière au Grand-Duché et vient de raccrocher les crampons. Leur carrière désormais derrière eux, les Joubert, Gruszczyński et consorts ont participé activement au développement du football au Luxembourg et à l’essor du championnat. « Ça fait plaisir », reconnaît Gruszczyński. « Dudelange est un des clubs avec le plus d’étrangers et ce sont les étrangers qui font évoluer le pays. D’année en année, on voyait que le championnat progressait. Aujourd’hui, le Luxembourg n’est plus le tout petit pays et on le voit avec les résultats en Coupe d’Europe. Chaque année, les clubs passent des tours. Les gens voient ce qu’il se passe. Un cap a été franchi quand Dudelange a participé à l’Europa League en 2019 », précise l’illustre attaquant du F91, également passé par le Progrès. « Ça a véritablement poussé les étrangers à venir au Luxembourg sans se poser de questions. Certains ont mis dix ans à venir, mais ils sont quand même venus, c’est qu’ils ont été convaincus de terminer ici. »

Des joueurs venus des 4 coins de la France

Aujourd’hui, les Français qui posent leurs valises au Grand-Duché viennent d’un peu partout en France et parfois de très loin : Kévin Quinol de la région lyonnaise, Alexis Bourreau du Nord, Guillaume Trani et Nicolas Perez de Marseille ou encore Laurent Pomponi de Corse, sans parler des nombreux joueurs issus de région parisienne. « Les finances permettent aujourd’hui d’attirer ces joueurs-là », estime Tomasz Gruszczyński. « Il y a vingt ans, faire venir un joueur de Marseille pour 500 ou 800 euros était impossible. Aujourd’hui, les clubs ont les moyens de proposer 2 000 euros par mois à un joueur, qui peut s’en sortir et en vivre. De cette manière, les clubs attirent de meilleurs joueurs, comme le Swift avec Alioui. » La Coupe d’Europe est l’un des meilleurs arguments pour les clubs de haut de tableau afin d’attirer les meilleurs talents dans leurs filets. Plutôt que de rester dans l’anonymat des divisions inférieures, les joueurs s’offrent un véritable coup de projecteur avec les matchs de Coupe d’Europe. 

« À Dudelange, nos résultats en coupe d’Europe nous ont fait connaître
à l’étranger »

MANOU GORGEN

Les infrastructures font également pencher la balance dans la réflexion des joueurs, qui quittent l’Hexagone pour tutoyer les conditions des joueurs professionnels. Les conditions de travail évoluent au même rythme que le niveau affiché sur les pelouses du pays, elles aussi de bien meilleures qualités. Ainsi, les joueurs intéressés par l’aventure luxembourgeoise sont totalement séduits par la perspective de jouir d’une carrière au Grand-Duché. « Un joueur qui vient visiter un club ne sera pas déçu. Les infrastructures des clubs se sont vraiment améliorées, les petits clubs ont investi, il y a de nouvelles salles de sport. Quand j’ai démarré, très peu de clubs avaient leur propre salle. Un jour, quand je faisais un essai à Sarrebruck, le coach m’a demandé si on faisait de la musculation au Luxembourg. On avait une salle de malade, mais lui pensait qu’on avait des dizaines d’années de retard ! C’est fou l’image qu’avait le Luxembourg à cette époque, les gens ne savaient même pas où c’était sur la carte », se remémore Gruszczyński. 

Depuis l’ère Tomasz Gruszczyński, les choses ont bien évolué. Le Luxembourg souffre toujours d’un déficit de popularité sur l’échiquier du football mondial, mais les résultats de la sélection nationale et des clubs mettent la lumière sur le Grand-Duché. Avec deux campagnes d’Europa League consécutives, de 2018 à 2020, le F91 Dudelange a fait rayonner le pays à l’international. « À Dudelange, les très bons résultats en Europe ont joué en notre faveur et désormais, on est connus à l’étranger, au moins dans les pays limitrophes. Et si ce n’est pas le cas, le bon travail qu’on fait sur les réseaux sociaux permet également de bien représenter le club à l’international. Donc aujourd’hui, il n’y a plus cette crainte-là, en tout cas plus à Dudelange. »

Un projet à long terme

Recruter loin, c’est bien. Recruter pour longtemps, c’est mieux. Comme à Differdange, où le FCD03 mise sur la durée pour construire une équipe compétitive sur plusieurs saisons, à même de titiller la première place du classement. « On a parlé de projets sur trois ans. Les autres équipes ont gagné avant nous, car elles font bien les choses. Il y a beaucoup d’argent, de l’expérience, un peu de chance, mais elles ont gagné et il faut respecter ça. Tu ne peux pas débarquer en disant que tu vas les battre du jour au lendemain. Il y a le Swift, le Progrès, il y a eu Dudelange auparavant, Pétange fait aussi un super boulot, Strassen s’améliore également, le Racing reste le Racing et a eu le courage de dire “OK, on n’a pas de budget donc on reste calmes”. Il faut bien se structurer pour être au même niveau, pas avec le même effectif, mais avec d’autres choses, le côté humain et la force du groupe notamment. Tu ne peux pas envoyer un enfant de trois ans se battre avec un adolescent de quinze, là c’est le même principe. Il y a eu une phase de crise économique dans le foot luxembourgeois en raison de la crise immobilière, mais je vois qu’en contrepartie, le football évolue. »

« Avant, quand tu signais au Luxembourg, c’était quasiment mort pour en sortir »

TOMASZ GRUSZCZYNSKI

Les nationalités se multiplient en BGL Ligue : Thiago Pato (Brésil) et Yanick Kissi (Angleterre) à Rosport, Oege-Sietse Van Lingen (Pays-Bas) à Dudelange, Lado Akhalaia (Moldavie) à Hesperange, autant de profils qu’on ne voyait pas il y a quelques années. La Division nationale était jusque-là la terre d’accueil des diasporas traditionnelles (France, Belgique, Allemagne, Portugal), avec des joueurs Français sur la fin après une riche carrière comme Cyrille Pouget, Tony Vairelles ou encore Florent Malouda qui, lui, est venu lancer un business dans la restauration, sans succès. D’autres ont vu dans le Luxembourg un tremplin pour rebondir vers le monde pro, plus ou moins haut. Rayan Philippe a été recruté au début de l’été par Braunschweig en 2. Bundesliga (D2 allemande) après une saison exceptionnelle et Elias Filet a pris la direction de la Croatie, au NK Istra, après avoir brillé au Progrès. En toute fin de mercato, Érico Castro s’est lui engagé au NK Maribor, qu’il avait affronté quelques semaines plus tôt au deuxième tour de qualification à la Conference League. Excellent lors de cette double confrontation, buteur à l’aller et au retour, l’attaquant angolais a tapé dans l’œil des Slovènes et retrouve le monde pro à bientôt 31 ans. « Avec l’arrivée du Qatar, de l’Arabie Saoudite sur le marché, les pays comme la Slovénie arrivent en bout de chaîne et aujourd’hui, ils sont obligés de se rabattre vers ce genre de profil de joueurs, car ils sont moins chers. Donc même à 30 ans, tu peux encore avoir une chance »,décrypte Rémy Manso. « Les championnats étrangers s’intéressent de plus en plus aux joueurs du Luxembourg et de plus en plus signent pro », estime Tomasz Gruszczyński, passé par Niederkorn, qui s’est fait une spécialité dans le départ de joueurs vers le monde pro ces dernières saisons. « Avant, quand tu signais au Luxembourg, c’était quasiment mort pour sortir de là. Je me souviens que les journaux et les radios en Pologne parlaient de moi à l’époque, mais l’entraîneur néerlandais de la sélection avait dit que je n’évoluais pas dans un championnat assez fort pour que je puisse atteindre le niveau national. J’avais beau marquer en BGL Ligue et en Coupe d’Europe, aux yeux des pays étrangers, le Luxembourg ne valait rien. Aujourd’hui, c’est un pays qui, grâce à ses résultats en club comme en sélection, progresse et commence à compter. »

En Promotion d’Honneur, aussi, les étrangers sont légion : Finlande, Hongrie, Rwanda, États-Unis… Au total, 33 nationalités sont représentées dans l’antichambre de la BGL Ligue. Les plus nombreux sont les Français (81), suivis par les Portugais (30) et les Cap-Verdiens (16). Certains, comme Mickaël Jager du FC Mamer, s’assurent en Promotion d’Honneur une certaine qualité de vie, avec notamment moins d’entraînements et des déplacements plus courts qu’en France. En BGL Ligue, aussi, les trajets moins importants que dans les divisions inférieures françaises attirent les joueurs qui veulent football et vie de famille. Les courtes distantes entre les différentes villes, l’opportunité de jouer l’Europe et les conditions parfois quasi professionnelles font perdurer la tradition des étrangers dans le foot luxembourgeois. « Le potentiel financier est plus important qu’avant et les clubs ont de meilleurs moyens qu’Amnéville ou Thionville », concède Tomasz Gruszczyński. Pour autant, le championnat n’a toujours pas le statut professionnel, alors que certains joueurs mènent une vie de véritable footballeur. « On ne va pas me dire que le Luxembourg n’a pas d’argent. Il y a tout pour passer le cap d’être pro. Quand j’étais à Dudelange, j’avais ma société et le jour de la Champions League, je me levais à 5 h du matin, avant de rejoindre mes coéquipiers à midi. Aujourd’hui, de plus en plus de joueurs s’entraînent comme des pros et ne font que ça. Le problème du Luxembourg, c’est que les joueurs doivent préparer l’après et ce n’est pas avec 2 000 ou 3 000 € par mois que tu prépares ton avenir. Si tu ne bosses pas à côté, c’est impossible. C’est ce qu’il manque pour franchir le cap, que le foot devienne vraiment leur métier pour professionnaliser la Ligue », poursuit Tomasz Gruszczyński. « J’ai tellement confiance en ce pays et son évolution, même si elle est lente. En 20 ans de temps, le championnat devrait être professionnel, je n’arrive pas à comprendre pourquoi c’est aussi long, surtout avec les résultats actuels en Coupe d’Europe, ou ceux de la sélection. Ce pays a du potentiel, c’est d’ailleurs pour ça que ma fille a signé ici en provenance du FC Metz. Je me dis que si j’ai fait une belle carrière ici, elle peut avoir cette chance. »

Dans le même temps, des footballeurs des quatre coins du globe, de l’Asie à l’Afrique en passant par l’Amérique du Sud et l’Argentine, mettent leur vie de famille entre parenthèses, non pas pour courir après l’argent, mais pour accomplir leur European Dream. Et oui, il faudra encore attendre avant de voir l’argent pleuvoir comme en Arabie Saoudite. Qui sait, peut-être que Kylian Mbappé finira sa carrière au Grand-Duché.

admin

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