Les barrages, c’est sans conteste l’un des moments les plus intenses de la saison de football au Luxembourg. Il s’agit d’un pèlerinage auquel se rendent les supporters d’une équipe, les amis des supporters, les amis des amis… tout simplement tous ceux qui sont d’une manière ou d’une autre en relation avec le football. L’affluence – bien au-dessus des habitudes luxembourgeoises – et l’enjeu en font des moments inoubliables. Revenons ensemble sur la semaine sainte du football luxembourgeois.
Revenu du diable Vauvert
Nous sommes le 25 mai 2023. Il est 16 h 30. Je saute dans ma voiture, en direction du stade Achille Hammerel. Je voulais absolument être là à l’ouverture des portes. Car ce jour-là, c’était enfin le début de la Semaine sainte du football luxembourgeois.
Celle-ci est constituée de matchs quasi quotidiens entre deux équipes qui ne se sont pas côtoyées de toute la saison. Elles font un all in sur 90 minutes, voire plus si aucun vainqueur ne parvient à se dessiner. Les barrages ont une place tout à fait spéciale dans notre modèle de compétition. Hiérarchiquement, ils sont situés entre deux ligues. Le vainqueur jouera l’année prochaine dans la ligue du dessus, le vaincu jouera dans celle du dessous. Mais en attendant, ces équipes navigueront entre deux eaux l’espace d’une soirée. Les barrages, c’est le football de Schrödinger.
Ce soir-là, c’est Canach et le Fola qui se disputent une place de BGL Ligue sur le terrain du Racing Luxembourg. Une heure et demie avant le coup d’envoi, les portes s’ouvrent. Je fais partie des premiers impatients à gagner l’enceinte et comme tout bon fan de foot, c’est vers la buvette que je me dirige. Carlos est déjà en train de réaliser un geste qu’il fera encore une infinité de fois cette soirée-là, il verse délicatement le thé de houblon dans les verres en veillant à ce qu’il n’y ait ni trop ni trop peu de mousse.
Carlos est loin d’être un novice. Il s’acquitte de cette tâche à chaque match à domicile du Racing depuis cinq ans. Même si ce n’est pas son Racing qui sera sur la pelouse, sa motivation est communicative. « Ça s’annonce passionnant ! Aux barrages, il y a toujours de l’ambiance. C’est super. C’est la fête du football. Ce sera stressant pour nous à la buvette, mais j’aime le stress ! », nous lançait-il.
« C’est la fête du football. » Il ne pensait pas si bien dire. L’horloge tourne, les gradins se remplissent. Aujourd’hui, ce sera rouge contre bleu, ce sera Fola contre Canach, ce sera les flammes contre l’eau. Dans les tribunes, ces deux éléments sont bien visibles, disposés de manière hétérogène, séparés par une paroi invisible.
Les équipes arrivent sur la pelouse et on comprend vite qu’aujourd’hui, le spectacle sera aussi bien en tribunes que sur le terrain. Quoi de mieux que des ascenseurs émotionnels pour égayer la soirée ? Canach ouvre le score. Le Fola égalise, puis passe devant. Canach répond, puis reprend les commandes à la troisième minute des arrêts de jeu de la deuxième mi-temps. Dans les tribunes, on sent monter la fièvre chez les bleus et blancs. Aux trois coups de sifflet de l’arbitre, leur équipe serait promue, on s’apprête à monter sur le terrain. Les fumigènes se tiennent prêts. Mais avant de siffler trois fois, monsieur Da Rocha siffle une unique fois, pour accorder au doyen des clubs luxembourgeois un coup franc idéalement placé. Dans un instant suspendu, Mohamed Camara propulse d’un coup de tête le cuir hors de portée de Valentin Roulez. Le Fola est en vie. La partie gauche de la tribune exulte. « Mee d’Bier ass nach net geschielt » (« La poire n’a pas encore été totalement épluchée »), dirait-on en luxembourgeois. Ce but ne sauvait pas le Fola, il lui promettait 30 minutes supplémentaires pour faire la différence. C’est ce que parvint à faire Kévin Quinol. Devant 1 674 spectateurs, le Fola se maintenait en BGL.
La fête, l’envahissement de terrain, étaient rouges. Après le match, voir le portier et capitaine de Canach en pleurs me bouleversa. Le voir accepter ma demande d’interview me rendit admiratif. Il n’y a pas à dire, en positif comme en négatif, les matchs de barrages sont des moments émotionnellement très intenses.
Bis repetita
L’année dernière, la Jeunesse Junglinster avait failli toucher au graal. Engagée en barrages contre le FC Wiltz 71, elle avait poussé les nordistes aux tirs au but et menait d’un penalty au moment d’arriver aux deux derniers tireurs. Si du côté de Wiltz, Ibrahimovic et Giargiana convertissaient le leur, Rodrigues et Fernandes voyaient leurs envois repoussés par Schon. Si proche, mais en même temps si loin.
Cette saison-ci était moins glorieuse pour les vert et blanc. Le mercato estival a déforcé la révélation de la saison dernière et le réveil fut douloureux. Le championnat commença véritablement en février, moment où Junglinster se mit à remonter la pente, avec une philosophie de football-réalisme mise en place par Stephan Zwaag. L’équipe se vit néanmoins contrainte à disputer les barrages pour ne pas descendre.
À Hostert, dans la forêt verte (Gréngewald), Junglinster affrontait Beggen. Un ancien grand, très grand, de notre histoire. « Ce qui compte, c’est de gagner. Et si par malheur, on descend, eh bien on descend », nous expliquait Marco avant d’être interrompu par un autre supporter de Junglinster. « On ne descendra pas ! », s’exclamait ce dernier, avant que nous soyons tous inondés par l’arrosage automatique. Au moment de me redresser, j’apercevais David Jacinto, le président des Verts. « C’est le match qui compte. On va tout donner pour terminer là où l’on mérite de terminer », détailla-t-il. « Le FC Junglinster, c’est une famille. Regardez autour de vous, vous verrez nos joueurs des équipes de jeunes, vous verrez les joueuses de notre équipe dames. Comme à chaque match, on va tout donner pour l’équipe. C’est une fierté de pouvoir compter sur autant de monde. »
Du monde, il n’en manquait pas non plus du côté de Beggen. « On a eu une saison difficile, mais on est arrivés à accrocher les barrages. Aujourd’hui, c’est LE match de la saison », insistait Ricardo, actif dans les équipes de jeunes de Beggen. « Il est temps d’écrire un nouveau chapitre de la riche histoire de l’Avenir Beggen. » À côté de lui, Toto ne pouvait qu’acquiescer, lui qui a connu les glorieux déplacements européens, à l’image du match à Hambourg le 30 septembre 1987. « L’ambiance des jours comme aujourd’hui me rappelle notre belle époque. Nos titres de champions. Nos finales de Coupe. Nos matchs européens… Beggen, c’est pour moi une fascination, et je la sens plus forte que jamais dans des moments comme celui-ci. »
La fascination, les 1 114 personnes présentes commençaient à l’éprouver pour un joueur : Yassine Maziz. Malgré un début en fanfare de Junglinster, l’attaquant de Beggen égalisa sur penalty et amorça un véritable récital. Il trouva le chemin des filets par 4 fois, permettant aux siens de s’imposer 1-5. Le géant renaissait. Junglinster connaissait une deuxième désillusion en autant de saisons.
La victoire de l’obsession
Quand on tombe, deux choix s’offrent à nous. Soit on se relève, soit on se laisse abattre. Nathalie Ludwig a choisi la première option.
Le 30 mai 2022, la capitaine de l’Entente Rosport-USBC rencontrait en match de barrage le Red Black Égalité 07, dans le but de ne pas descendre de D1 en D2. Les deux équipes n’ont pas su se départager et par conséquent, la décision se faisait aux tirs au but. Nathalie Ludwig était la première tireuse, mais elle manquait le cadre. Cela amorçait un véritable cauchemar pour l’équipe de l’Est. Trois tirs au but, trois ratés. De son côté, le FCRBE07 convertissait les siens et actait son billet pour la D1.
Un an plus tard, jour pour jour, l’Entente Rosport-USBC avait l’occasion de faire oublier ce mauvais souvenir. Pour cela, il fallait battre l’Entente Wincrange/Wiltz. « On s’entraîne depuis 309 jours pour remonter en D1 », nous lançait Nathalie Ludwig. 309 jours. Elle les a comptés ! Cela témoigne de son ambition qui virait presque à l’obsession. 309 jours de labeur. De hauts, de bas. 309 jours qui allaient se résumer à un match de 90 ou 120 minutes. L’issue de celui-ci dirait si la saison était réussie ou non.
Inévitablement, on sentait de la nervosité. La première mi-temps se résumait à peu d’occasions, peu de phases de construction, beaucoup d’interruptions et de pertes de balles. Devant 550 personnes et poussées par des supporters munis d’un tambour et d’un porte-voix (« Dès qu’il y a de l’enjeu, ils sont là. Même s’il y avait aujourd’hui la Sprangprozessioun », nous confiait Nathalie Ludwig après le match), les Rosportoises passaient devant juste avant la mi-temps grâce à une réalisation de Nathalie Ludwig, qui se trouvait au bon endroit au bon moment pour mettre les siennes aux commandes. Les 309 jours de travail portaient leurs fruits. Mais l’ASW restait encore à portée de fusil. Il fallait donner un dernier coup d’accélérateur pour se mettre définitivement à l’abri. C’est ce que firent Miriam Margraff, Jana Wagner et Eileen Willems. La réduction de Julie Marques ne changeait rien. Rosport retrouvait la D1 365 jours après l’avoir cédée.
À la sortie des vestiaires, j’ai croisé Samra Mujanovic. La joueuse de Wincrange m’a annoncé qu’elle venait de disputer son dernier match. Évidemment, elle aurait aimé connaître un autre dénouement pour ses dernières minutes sur un terrain de foot, mais elle concluait sur une note positive : « Je souhaite aux jeunes beaucoup de réussite, j’espère qu’elles reconstruiront une belle équipe et qu’elles reviendront plus fortes que jamais en ligue 1. Moi, je ne serai peut-être plus sur le terrain, mais je serai encore souvent à côté. » Cela sonna à mes oreilles comme un sacrifice. L’une des mères de l’équipe faisait un pas de côté pour laisser briller les jeunes qu’elle avait encadrées. C’était la conclusion parfaite pour ma Semaine sainte du football luxembourgeois.
Andy Foyen
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