Alors que les petites rues du quartier de Beyoglu fourmillent de vie et d’un bruit signe d’une grande activité sociale, il ne faut que peu de temps pour s’imprégner de l’atmosphère locale si particulière. Après un kebab succulent au Durumzade, considéré par feu Anthony Bourdain comme le lieu où manger le meilleur durum au monde, la balade dans les rues d’une ville si vivante offre un constat implacable. Il ne se passe pas une minute, cent mètres sans que le football ne soit présent, d’une manière ou d’une autre. Cela peut être sur ces écrans qui diffusent tous la rencontre entre l’Ecosse et l’Ukraine, pourtant bien insignifiante pour les locaux. C’est aussi ces affiches monstrueuses, signées Netflix, sur la légende locale Fatih Terim qui va se voir assigner un documentaire que tout un pays devrait regarder.
Une légende qui, d’ailleurs, a posé son nom à l’enceinte qui accueillera demain les Roud Léiwen. Le Fatih Terim Stadium, situé à Basaksehir, quartier bien moins glamour que les entrailles vrombissantes d’Istanbul, sera donc le théâtre de la joute entre la Turquie et Luxembourg. Dans un stade au modernisme déconcertant, où les posters de légendes locales s’entremêlent à celles de joueurs du club, la passion turque pour le ballon rond ne peut que sauter aux yeux. Et confère à cette enceinte, pourtant vierge de tout supporters, une ambiance déjà hostile. Comme si le bruit assourdissant qui attend les joueurs de Luc Holtz, ce soir sur les coups de 20h45, peut déjà s’entendre.
Pourtant, le stade ne devrait pas faire le plein. Sur les 17 000 places disponibles, la presse locale table sur un remplissage aux alentours de 80 à 90 pourcent. La faute à un adversaire pas assez glamour, mais aussi une localisation compliquée de l’enceinte, bien loin d’un centre habitué à des courts déplacement pour supporter son club de coeur. Mais, questionné, un membre de l’organisation de la rencontre assure que ce taux de remplissage est plus élevé que celui attendu. L’explication ? Des résultats plus que positifs de la sélection depuis le flop de l’Euro 2020 (ou 2021, c’est selon), qui ravive à nouveau les espoirs d’un public versatile et enfermé dans une relation de haine et d’amour avec sa sélection.
Les montagnes russes sont en effet légion au sein de la Turquie, tout autant lassée qu’impatiente de voir sa sélection revenir à des résultats conformes à la passion démesurée de ses supporters. Si la ville d’Istanbul est une anomalie rare, avec chaque quartier au soutien d’un club différent, toutes ces rivalités disparaissent au moment de voir la crème de la crème revêtir le maillot rouge si emblématique de la sélection. Et c’est tout un pays qui, après une campagne qualificative plus qu’enthousiasmante, voyait en les Ay-Yıldızlılar des légitimes outsiders à l’Euro 2020. Pourtant, tombée dans le groupe de la Suisse, l’Italie et les Pays de Galles, la Turquie avait profondément échoué, avec, au-delà de résultat calamiteux, offert une attitude bien loin de la furie habituelle.
Un sérieux camouflet qui a coûté son poste à une idole locale, Senol Günes. Le sélectionneur a dès lors laissé sa place à Stefan Kuntz, chargé de redorer le blason de la Turquie malgré une nationalité étrangère (une habitude pour le pays, qui a déjà eu comme entraîneur Mircea Lucescu ou encore Guus Hiddink). Malgré des résultats intéressants, Kuntz n’aura néanmoins pas réussi à qualifier le groupe pour la Coupe du Monde 2022, avec une défaite en play-off contre le Portugal. Un revers qui n’aura pas empêché le sélectionneur allemand de continuer son parcours, avec l’objectif, certes moins glamour, de replacer la Turquie dans un chapeau plus conforme à ses standings en Ligue des Nations.
Assignée dans un groupe comportant les Iles Féroe, la Lituanie et évidemment le Luxembourg, la Turquie a jusqu’à présent réussi un parfait sans faute. Quatre victoires en autant de rencontres, une moyenne de 3,5 buts par rencontre, et aucun pion encaissé. Un bilan tutoyant la perfection qui permet à la nation d’aujourd’hui avoir l’occasion de valider sa promotion dans le chapeau 2 de la compétition. Au-delà de résultats plus qu’encourageants, la sélection a aussi su intégrer avec brio de nouvelles pousses, tout en assurant un équilibre très intéressant avec les profils les plus expérimentés. Ainsi, aux vétérans Calhanoglu, Gürler, ou encore Dursun se retrouve des jeunes avides de croquer à l’euphorie de la sélection, à l’image du chouchou Under, ou de la charnière centrale composée de Soyuncu et Demiral. Un mix intéressant qui permet à la sélection de proposer aujourd’hui un football enthousiasmant sans pour autant céder à la naïveté.
Bien sûr, les oppositions récentes ne permettent pas de véritablement jauger la force de résilience d’un groupe qui ne s’est pas réellement frotté au gotha du football mondial. Mais les succès amènent la confiance, et vice-versa. Il serait par conséquent bien illusoire d’imaginer les hôtes d’un soir se contenter d’un quelconque autre résultat qu’un large succès contre les « petits luxembourgeois » selon les propos de Luc Holtz. Une manière comme une autre de réinstaurer un climat de confiance entre une sélection et un public qui ne cherche, encore et toujours, qu’une seule chose : à s’enflammer pour ce qui est au pays une religion, un mode de vie, une raison de se lever le matin : ce stupide ballon rond.
Tendai Michot, à Istanbul
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