À trente ans passés, le capitaine des Roud Léiwen s’épanouit aujourd’hui du côté du Waldhof Mannheim, en troisième division allemande. Il raconte les expériences qui l’ont forgé, de son départ pour le monde professionnel en 2015 à une relation avec la sélection qui fut compliquée chez les jeunes.
Formé au poste de numéro 6, comment t’es-tu retrouvé à jouer latéral droit ?
Oui, j’ai été formé au poste de numéro 6 et de défenseur central, même quand je suis passé de Norden – où j’ai joué toute mon enfance – au Fola Esch. C’est Luc Holtz qui m’a fait jouer en premier latéral droit, et Jeff Strasser a fait la même chose ensuite. À partir de ce moment-là, je n’ai plus jamais quitté ce poste.
Tu as tout de suite apprécié de jouer à ce poste ?
Quand j’étais plus jeune, je n’avais pas la taille pour être défenseur central, mais il y avait aussi moins d’impact physique, moins de duels, donc ça allait. Au fur et à mesure que tu grandis et que tu joues contre des hommes, ça devient de plus en plus compliqué. Ça m’arrive de dépanner en défense centrale en sélection, mais aujourd’hui je joue avec plus d’expérience. Donc je suis passé de défenseur central à numéro 6, puis latéral droit. Au début, j’ai dû m’adapter parce que c’était tout nouveau pour moi, mais je m’y suis fait et c’est grâce à ça que j’ai eu une carrière professionnelle. À un autre poste, je pense que ça n’aurait pas été le cas.
Comment te définirais-tu ?
J’ai toujours été un joueur très discipliné, c’est pour ça aussi que j’ai aimé mes expériences en Allemagne, tout est carré, c’est structuré. Physiquement, j’ai toujours été très bon et c’est sur ces atouts que je me suis appuyé pour passer des paliers dans ma carrière.
En 2015, tu quittes le Luxembourg direction la Belgique, plus précisément à Beveren. Comment as-tu vécu le passage vers le monde professionnel ?
Ce moment-là, ça a été un gros cap à passer, pas seulement dans ma carrière. J’ai toujours vécu ici, je suis très proche de mes parents, de mes frères et de mes amis. Le jour de mon déménagement en Belgique, quand mes parents m’ont quitté, je me suis retrouvé tout seul dans mon appartement pour la première fois et je me suis dit : « Ça va être compliqué. » Tu arrives dans un nouveau club, dans un nouveau pays… De prime abord, je suis quelqu’un de calme, qui observe beaucoup, mais une fois que je suis bien installé dans une équipe, je me lâche. Mais les premières semaines, ça n’a pas été toujours facile. Et finalement, les années Beveren, ce sont peut-être les meilleures de ma carrière. C’était tout nouveau de jouer dans de grands stades… Mon premier match, c’était face à Anderlecht, et il y avait des joueurs comme Youri Tielemans ou Dennis Praet, des mecs qui jouent dans de très grands clubs aujourd’hui. Petit à petit, j’ai pris mes marques, j’ai été rapidement titulaire indiscutable et ça m’a bien aidé. J’étais accepté, respecté, et ça m’a aidé à m’adapter à cette nouvelle vie.
À peine un an plus tard, des rumeurs font état d’un intérêt de Southampton, en Premier League. Était-ce vrai ?
Je ne sais pas. En tout cas, moi je n’ai jamais parlé avec qui que ce soit ! Il y a eu des contacts avec Bruges, mais il y avait déjà Thomas Meunier au poste à ce moment-là. Moi aussi, je n’ai pas vu l’intérêt de partir de Beveren après seulement une saison. J’étais jeune et j’avais besoin de continuer à jouer dans un club où je me sentais bien.
En 2018, tu signes à Metz en Ligue 2, et l’expérience s’avère mitigée puisque tu y joues seulement 16 matchs…
Metz, ça a été très compliqué. Jusque-là, j’étais titulaire indiscutable pendant trois ans à Beveren, j’étais apprécié par le public et j’étais le joueur le plus capé de l’effectif. J’ai dû trouver d’autres repères, m’adapter à une nouvelle mentalité, un nouveau championnat. Je n’ai pas eu beaucoup de temps de jeu, et j’ai commencé à douter, je me suis demandé si j’avais vraiment le niveau. Avec quelques années de recul, je me dis que d’un point de vue mental, ça m’a bien aidé dans ma carrière. Ça permet de se remettre en question.
Pourquoi ça n’avait pas fonctionné ?
D’abord, c’est à cause de moi. Je n’étais pas à mon niveau, j’ai commencé à douter et dans le football, la confiance joue beaucoup. Il y avait aussi trois joueurs au poste de latéral droit : Jonathan Rivierez, Ivan Balliu et moi. Ivan devait partir et finalement, il est resté, et c’était un super joueur ! Donc il y avait une grosse concurrence et le coach faisait beaucoup tourner. Je me souviens d’un match contre Monaco en coupe de France où on gagne 3-1 et où je fais un gros match. Une semaine plus tard, en championnat, je suis sur le banc. Ce n’est pas toujours facile d’accepter ça, mais le coach a fait ça avec tout le monde. Cette année-là, on était tellement au-dessus des autres que l’on pouvait faire tourner tout l’effectif.
Tu pars alors en prêt à Paderborn…
Oui, tout le monde était surpris, peut-être même moi (rires) ! Je ne jouais pas beaucoup en Ligue 2 et j’ai eu une offre pour partir en Bundesliga, le championnat que j’ai suivi toute mon enfance. Donc je n’ai pas hésité une seule seconde, d’autant plus que Metz venait d’acheter Fabien Centonze. C’était l’occasion parfaite.
Comment as-tu vécu cette saison ?
On savait que ça allait être très compliqué de se maintenir, mais on a quand même reçu beaucoup de compliments parce qu’on a proposé du jeu tout au long de la saison. Avec Steffen Baumgart, qui est à Cologne maintenant, on jouait vraiment bien. À Dortmund, on gagnait 3-0 à la mi-temps, même si ça a fini 3-3. Face au Bayern, on a mené deux fois. J’ai beaucoup appris à Paderborn. Je suis arrivé comme la doublure de Mohamed Dräger, qui était à ma place, et je n’ai pas joué les six premiers matchs. Mais le coach m’a toujours dit que j’aurais ma chance si je continuais à m’entraîner comme je le faisais. En novembre, au deuxième tour de Coupe d’Allemagne contre Leverkusen, je joue et je fais un bon match. Le week-end d’après contre Hoffenheim, je suis remplaçant et on perd 3-0 à la mi-temps, mais au retour des vestiaires, je rentre en jeu. Après ça, je crois que je n’ai plus quitté le onze de départ pendant vingt matchs.
L’été dernier, tu quittes le Sparta Rotterdam pour Mannheim, en troisième division allemande. Penses-tu à ce moment-là que ta carrière est sur la pente descendante ?
Oui, je ne vais pas mentir, je descends forcément en passant de l’Eredivisie à la troisième division allemande. Mais si les gens ne regardent pas les matchs ou ne viennent pas au stade, ils ne peuvent pas réellement connaître le niveau. Ici, il y a un bon niveau et ça joue au foot.
Vous avez réalisé une saison plutôt correcte en terminant à la 7e place. L’équipe pouvait-elle viser plus haut ?
On a longtemps été dans la course pour la montée, mais on a raté nos derniers matchs. Dans l’effectif, on a des joueurs comme Marco Höger, un mec qui a près de 200 matchs en Bundesliga et des matchs en Ligue des Champions. Il s’est fait les croisés et tu ne peux pas remplacer un joueur comme lui. Offensivement, Adrien Lebeau faisait aussi la différence, mais il a aussi été souvent blessé. Avec un effectif au complet, on aurait pu viser plus haut. Mais en troisième division, j’ai l’impression que la moitié du championnat veut monter, et l’autre moitié veut se maintenir.
La mentalité du football allemand est-elle celle qui te correspond le mieux ?
Ce que j’aime le plus en Allemagne, c’est la ferveur, les supporters. Même en troisième division, c’est incroyable, tu retrouves des ambiances que tu n’as pas dans des premières divisions ailleurs. À Dresde, il y avait 30 000 spectateurs. Ici, les supporters vivent pour le football et pour leur club.
Ton objectif, c’est de retrouver un championnat plus huppé ?
Oui, ça reste dans un coin de ma tête, mais je n’ai pas envie de bouger tous les ans. J’ai fait beaucoup de déménagements ces dernières années, je suis allé en Allemagne, en Belgique, en France. À un moment, tu as envie de t’installer un peu plus durablement. Quand j’ai signé à Mannheim, j’avais l’objectif de monter en deuxième division. Mais aujourd’hui, je ne cherche pas à tout prix à partir.
Donc on reverra Laurent Jans à Mannheim la saison prochaine…
Pour l’instant oui, mais j’ai appris dans le football qu’on ne pouvait rien prévoir. On ne sait jamais.
Et reverra-t-on un jour Laurent Jans en BGL Ligue ?
C’est très difficile à dire ! J’espère finir ma carrière à l’étranger, mais le jour où je reviendrai, si un club veut me prendre et que j’ai encore les jambes, pourquoi pas ?
Quel regard portes-tu sur l’évolution de la sélection nationale depuis que tu as fait ta première apparition en octobre 2012 ?
On voit déjà une différence sur le terrain, avec tous les joueurs qui sont partis à l’étranger. Je me souviens de mon premier match en sélection, il y avait un joueur professionnel, Mario Mutsch. Après, il y avait Aurélien Joachim. Maintenant, on a peut-être encore un ou deux joueurs qui évoluent encore en BGL Ligue. Au niveau de l’organisation, du staff médical, des coachs, on a énormément évolué. On est comme un club professionnel. On a fait un pas énorme et ça se voit aussi sur le terrain. Si l’entourage est bon pour le joueur, il performe mieux. Aujourd’hui, on arrive à prendre beaucoup de points dans des campagnes de Ligue des nations ou de qualifications, c’est quelque chose qui était impensable il y a dix ans. Et avec tous les jeunes que l’on a, je sais que l’on peut encore progresser.
Aujourd’hui, beaucoup parlent d’une qualification pour une phase finale d’une compétition internationale comme l’Euro. Est-ce que dans un coin de ta tête, tu te dis que vous le ferez un jour ?
Il faut beaucoup de choses pour se qualifier dans ce genre de compétition. Si tu as un groupe avec deux gros, c’est déjà compliqué. Le plus important aujourd’hui, c’est de rivaliser avec des nations qui sont un peu au-dessus de nous, pas seulement contre des plus petites équipes. Je dis toujours qu’il faut garder les pieds sur terre et ne pas oublier d’où l’on vient. On peut encore progresser. Et quelque part, si tu es sportif, c’est forcément dans ta tête, tu dois y penser. Si tu te dis d’emblée que ça n’arrivera jamais, alors tu fais le mauvais sport.
Il y aura éventuellement les barrages de Ligue des Nations qui vous offriront une demi-finale…
Oui, c’est une chance supplémentaire. C’est pour ça que je croise les doigts pour la Turquie, j’espère qu’ils se qualifieront, pour que l’on ait une demi-finale de Ligue des nations à jouer. Quoi qu’il en soit, une qualification pour l’Euro, c’est plus facile qu’une qualification pour la Coupe du monde.
Ressens-tu que l’avis général a changé sur le Luxembourg ? Qu’il n’est plus le petit pays qu’il était il y a dix ans ?
Oui, et je le vois surtout à l’étranger, avec mes coéquipiers et les supporters que je croise. Ils voient qu’on fait de bons résultats. Au début, ils me disaient parfois : « Vous avez trouvé onze joueurs pour faire une équipe », ils blaguaient un peu. Maintenant c’est fini, et des résultats comme ceux qu’on a faits contre la France, ça nous aide beaucoup. De temps en temps, on prend des raclées, ça peut arriver, mais l’image du Luxembourg a énormément changé.
En parlant de ce match contre la France, c’est ta plus grande émotion sous le maillot luxembourgeois ?
Oui, de loin. C’était un moment incroyable. Je savais que ça allait être très difficile, et après vingt minutes, ils avaient déjà eu beaucoup d’occasions. Plus le temps passait, plus on se disait qu’on pouvait faire un immense exploit. Et quand Gerson Rodrigues touche le poteau en fin de match, tu te dis que tu peux gagner. Il y avait tellement d’émotions à la fin du match, avec tous les supporters qui étaient présents avec nous. C’était juste exceptionnel.
Quel rôle a eu Luc Holtz dans ta carrière ?
C’est grâce à lui que je suis professionnel. C’est lui qui m’a retenu dans les catégories jeunes de l’équipe nationale. Contrairement à beaucoup de mes coéquipiers, je ne suis pas passé par le centre de formation de la FLF étant jeune. À chaque fois, ils me disaient que ça n’allait pas, que j’étais trop petit. À un moment donné, j’ai dit à mes parents que je n’y retournerais plus. J’habitais dans le nord du Luxembourg et pendant des semaines, je faisais le trajet tous les jours jusqu’à Mondercange pour que l’on me dise finalement que j’étais trop petit, mais ils le savaient déjà au départ ! J’aurais préféré qu’ils me disent que je n’avais pas le niveau, ça ne m’aurait pas posé de problème. Donc j’ai dit que je n’irais plus.
C’est donc lui qui t’a convaincu de revenir ?
À un moment, Luc Holtz était coach des U21 et je jouais en 1.Division. Il est venu me voir et m’a proposé de jouer avec la sélection U21. J’ai refusé, j’étais concentré sur mes études et je ne pouvais pas faire les trajets tous les jours, je n’avais pas le permis, pas de voiture. Ils ont alors mis en place les navettes et ils sont venus me chercher jusqu’à Clervaux. Il m’a tout de suite dit que ce n’était pas un test et qu’il me voulait vraiment. Donc j’y suis finalement allé, et une semaine plus tard, il prenait en main la sélection A. Mais je savais qu’il m’appréciait et après deux ou trois semaines, il me faisait monter de temps en temps pour jouer avec les seniors. C’est lui qui m’a fait jouer à un nouveau poste, et avec qui j’ai participé à mon premier match en équipe nationale.
En Israël ?
Oui, c’est un moment que je n’oublierai jamais. À l’entraînement, il ne m’avait pas dit que je jouerais. Il y avait toujours un joueur qui ne finissait pas dans le groupe et c’était souvent moi ou un autre jeune. Pendant la causerie, j’ai regardé sur la feuille les joueurs sur le banc pour voir si j’y étais et je n’y étais pas, donc je me suis dit que j’étais sûrement en tribune. Après, le coach a donné les noms des joueurs, et j’étais titulaire pour la première fois. J’ai été sur le banc le match d’après, mais ensuite j’ai toujours gardé ma place.
C’est lui aussi qui t’a confié le brassard de capitaine au moment où les Dan Da Mota, Aurélien Joachim, Mario Mutsch et Jonathan Joubert sont partis…
C’est Mario aussi qui a dit qu’il fallait donner le brassard à quelqu’un d’autre. Pour moi, l’équipe nationale, c’est quelque chose qui me tient vraiment à cœur, c’est plus fort que tout. Jouer pour ton pays, c’est une fierté énorme et tout le monde ne le comprend pas. Tu le représentes à l’étranger, donc c’est très fort pour moi d’être capitaine.
C’est un rôle que tu apprécies ?
J’étais déjà capitaine à Norden, sur la fin à Beveren. Comme je l’ai dit, j’observe beaucoup, je suis calme, mais quand le groupe m’accepte, j’aime bien parler avec tout le monde et notamment les jeunes. Il faut demander aux autres, mais je pense que c’est un rôle que j’occupe plutôt bien.
Quel joueur t’a le plus impressionné sous le maillot luxembourgeois actuellement ?
Il y a tellement de joueurs, mais là tout de suite, je pense à Christopher Martins. Quand il est arrivé, il était nonchalant, il s’en foutait un peu, ce n’était pas le plus discipliné. Il a eu un déclic et il a progressé d’un coup. Aujourd’hui, il joue avec une certaine légèreté, tu as l’impression qu’il joue à 50 %, mais il est tellement facile sur le terrain… Je pense qu’il peut faire une très grande carrière. Après, il y a aussi Leo Barreiro, mais lui, on a tout de suite vu sa détermination et qu’il allait faire son chemin.
De quel joueur es-tu le plus proche en sélection ?
Ralph Schon, c’est mon meilleur ami de jeunesse. Je le connais depuis plus de vingt ans, j’ai joué avec lui à Norden. Avant, je partageais ma chambre avec Chris Philipps, mais aujourd’hui je suis avec Ralph.
Que fais-tu pour déconnecter du football ?
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas si facile. Mais j’ai des rituels, une fois par semaine, je vais me promener seul, juste avec de la musique, sans regarder mon téléphone. Je vais au cinéma, je fais un peu comme tout le monde pour déconnecter. Je n’ai pas de hobbies particuliers comme la pêche, je ne peux pas attendre des heures sans rien faire (rires).
La trentaine, c’est généralement la décennie de la retraite sportive. Te vois-tu encore dans le milieu du football, ensuite ?
Je n’y ai pas encore trop pensé. Je sais que je peux encore faire quelques années dans le football professionnel. Je ne peux pas dire jusqu’à quel âge je jouerai, mais tant que mentalement et physiquement ça va et que je prends du plaisir, je continuerai. Ce qui est certain, c’est que je vois ma vie au Luxembourg. Je ne pense pas que je prendrai un poste de directeur sportif à Beveren, par exemple. Après, ce que je vais faire, ça, je ne le sais pas…
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