« Je vous laisse le temps de vous imprégner » nous lâche Laurent Lefebvre au moment de s’occuper d’un client venu lui proposer son coupé Mercedes d’une trentaine d’années, mais d’un aspect quasi-neuf, jusqu’au velours des sièges, qui étonne même notre hôte. Le temps de quelques formalités, nous avons donc le loisir de déambuler autour du showroom en toute tranquillité, et ainsi admirer les véhicules mythiques qu’il renferme (voir l’article consacré).
Une fois en avoir pris plein les yeux, c’est autour d’un café que la conversation s’engage avec Laurent Lefebvre. L’occasion pour commencer d’en savoir plus sur son itinéraire, et ce qui l’a poussé à venir s’installer au pays afin de fonder LL Classic Cars: « L’entreprise a maintenant quatre ans révolus. Et en fait si je suis ici c’est totalement en raison du hasard. Je suis Parisien au départ, et j’ai fait il y a 23 ans la connaissance de ma femme qui habitait Metz. Je l’ai rejoint dans la région, et forcément à un moment donné je me suis rapproché du Luxembourg. »
Mais peu importe la région, c’est donc toujours par la passion de la voiture classique chevillée au corps que Laurent Lefebvre est animé. Et cela depuis son enfance et les heures passées dans l’atelier auprès de son père Oscar. « Dans ma famille, cela fait trois générations que l’on fait ça. Je suis toujours resté dans l’automobile, jusqu’à finaliser cette structure qui me rapproche véritablement de l’ADN familiale, c’est à dire la voiture de collection. On fait ça depuis toujours. »
La nostalgie, le meilleur des carburants
Petit-fils d’un concessionnaire Citroën et Panhard (les deux marques ont fusionné en 1965), et fils du propriétaire du plus grand atelier de restauration de véhicules anciens en Europe, au fond comment le destin de «LL» aurait-il pu être différent? «Mon père m’a transmis cette passion, aussi loin que je me souvienne, je ne me rappelle pas avoir jamais été attiré par les voitures de mon âge. Quand j’avais cinq ans, je regardais déjà les vieilles voitures! Je suis né en 1971, et petit je ne regardais pas les voitures sorties en 1976 par exemple. J’ai toujours été attiré par les anciennes voitures» se remémore Laurent. Son premier véhicule? «C’était une coupé Peugeot 504 de 1980. J’avais 19 ans en 1990 et je roulais déjà une voiture ancienne comme première voiture ».
Ce qui le séduit dans la voiture d’époque? La nostalgie d’une certaine époque, le caractère, les formes, les couleurs…: «Quand on se balade dans le showroom ici, on voit toutes ces voitures, avec des designs complètement différents. Et il suffit de se retourner et de regarder passer les voitures qui circulent sur la route d’Esch, si on reste là pendant dix minutes, on aura l’impression que c’est toujours la même voiture qui passe». Un style automobile contemporain devenu trop consensuel selon Laurent Lefebvre. «Pour ce qui concerne les voitures modernes, cela fait longtemps que je n’ai pas reçu une émotion forte, en en voyant une. Sans jugement de valeur, c’est juste purement émotionnel. Soit c’est trop classique, soit complètement délirant, regardez les Lamborghini, les Ferrari, les Corvette… Regardez la nouvelle Corvette C8, j’en ai vu passer une j’ai cru que c’était une Ferrari 488. Elles se ressemblent toutes maintenant, elles ont toutes le nez pointu à la Batmobile, mais ça n’engage que moi». Mais ce n’est pas seulement une question de style, le facteur conduite est lui aussi essentiel, à l’heure ou la voiture autonome n’est plus seulement un objet de science-fiction mais presque déjà une réalité: «Il se passe quelque chose d’émotionnel au volant d’une voiture ancienne, il y a un bruit, une odeur… Et une voiture moderne on ne l’a conduit qu’à 30, 40%. C’est difficile de mettre des mots sur ces émotions-là, mais il y a quelque chose de passionnel».
Passionnelle comme la relation qui unit les propriétaires à leur véhicule, mais pourquoi l’automobile est-elle finalement une des plus belles madeleines de Proust qu’il soit? Sorte de machine à remonter le temps à l’instar du célèbre film Retour vers le futur où les héros voyagent dans d’autres époques grâce à leur DeLorean. Laurent Lefebvre a une explication: «On regarde toujours le passé en ne gardant que le meilleur. Parce que c’était compliqué aussi il y a vingt ans, il y a quarante ans… Sauf que c’est fini! Donc on ne se rappelle que des bons moments. Et en général la bagnole on a que de bons souvenirs avec. J’ai vendu une Jaguar Type-E à une dame, dont le père lui avait offert un modèle réduit Dinky Toys de cette même voiture quand elle avait 5 ans. Elle s’est dit un jour je m’en achèterai une… Avec ces voitures, on se rachète un peu de passé en quelque sorte, c’est un voyage intérieur. En général quand on a passé une semaine pourrie, on monte dans la voiture et c’est le reset total ».
Fin connaisseur du marché de l’automobile ancienne, Laurent Lefebvre a été positivement étonné par la vivacité de celui du Grand-Duché lors de son arrivée ici: «Avant toute chose, je définirai la clientèle luxembourgeois comme très passionnée et connaisseur. Il y a beaucoup de voitures anciennes qui roulent ici, et les gens les utilisent vraiment. Il y a très peu de voitures qui sont purement stockées, avec comme on peut le voir parfois des autos achetées à un très grand prix et mises dans un coin en attendant qu’elles doublent de valeur. Il y en a bien sûr, comme partout dans le monde, mais ce n’est pas du tout la majorité» décrypte le patron de LL Classic Cars. «C’est vraiment des passionnés, la notion d’investissement dans 98% des cas n’est même pas abordée. On sait aujourd’hui que lorsque l’on achète un véhicule ancien de qualités, la seule chose qui importe, c’est qu’il ne perde pas de valeurs».
Ce qui est rare est cher
Parmi les nombreux véhicules du showroom, il y en a un qui attire particulièrement notre attention en raison de sa valeur marchande actuelle, aux alentours d’un quart de million d’euros. Cette voiture c’est la Porsche 911 2.7 RS Lightweight de 1973, première RS du nom mise au point par la firme de Zuffenhausen. Devenue mythique, ce modèle suscite bien des passions auprès des Porschistes, et tutoie parfois pour certains exemplaires en état concours quasiment le million d’euros! Comment expliquer une telle envolée des prix pour cette voiture en particulier? C’est simple il faut déjà composer avec le fait qu’elle a été produite à seulement 200 unités: «On revient bêtement sur une histoire de marché, c’est à dire l’offre et la demande. Lorsque l’on a un produit qui a été fabriqué à seulement 200 exemplaires, évidemment plus les gens veulent un produit rare, plus il a une grande valeur. C’est un effet de levier. Et il y a aussi en l’occurrence pour cette Porsche, le fait qu’elle soit la première RS, la mère de toutes les RS actuelles! Avant celle-ci, il n’y en avait pas. Il y en a eu 1500 au total, dont 200 Lightweight. Et comme c’était une voiture de course, autant vous dire qu’il n’y en pas autant qui sont arrivées jusqu’à nous aujourd’hui!».
Rareté, valeur, renommée du modèle, état de conservation… Autant de facteurs qui font varier les prix des véhicules anciens sur le marché. Mais ce que tient à rappeler Laurent Lefebvre, c’est que la plupart du temps derrière un prix affiché, il y a un travail considérable effectué en restauration, un labeur minutieux et évidemment chronophage. «Je prends comme exemple une Jaguar Type-E, parce que l’on en restaure beaucoup, c’est deux ans de travail. Et avec dix, quinze, vingt corps de métier différents, qui sont des artisans et qui travaillent à la main. Tout cela fait que évidemment on est sur des notions de prix totalement différentes de ce qui sort aujourd’hui d’usines de production».
Les anciennes converties à l’électrique, sacrilège ?
C’est une tendance qui commence à émerger depuis quelques années et qui attire de plus en plus de propriétaire d’anciennes, le rétrofit. Derrière ce terme un peu barbare, il s’agit d’une technique afin de convertir à l’électrique les vieilles mécaniques d’époque, jugées polluantes par les pouvoirs publics de plusieurs pays européens, et qui ont décidé de durcir la législation à leur encontre sur l’autel des exigences environnementales. Un sujet qui fait forcément réagir dans le milieu de l’automobile de collection: «Ce que j’en pense n’a aucun interêt, mais en réalité quand on regarde une voiture produite en 1965 par exemple, et si l’on compare avec une Tesla, que je vais acheter neuve ici à Luxembourg. La Tesla, par rapport à sa dette carbone, elle est beaucoup plus polluante que la voiture fabriquée en 1965, car la Tesla vient d’être produite, elle a eu besoin d’énergie dans une usine, elle est venue de l’usine de production aux Etats-Unis jusqu’au Luxembourg… Avant qu’elle rembourse cette dette, il va falloir qu’elle roule des milliers de kilomètres! Au fond il n’y a pas que l’impact de roulage à considérer, mais aussi celui en amont. Les voitures anciennes produites il y a trente, quarante, cinquante ou soixante, ne roulent qu’entre 200 et 2000km par an, donc leur impact réel est de zéro» explique Laurent Lefebvre, et pour lui, il ne faut pas chercher à tout prix à opposer thermique et électrique. «Au fond, on dit que pour être écologiste il faut recycler, et là ici il y a que des voitures qui roulent depuis soixante ans! Je suis peut-être même plus écologiste qu’une concession Tesla (rires)».
La généalogie appliquée à l’automobile
Autre partie essentielle dans le travail d’un négociant en voiture classique, la recherche des origines du véhicule, comment il a été entretenu, dans les mains de quel propriétaire il est passé… Un travail qui ajoute de l’authenticitéet qui permet de faire ressortir en quelque sorte le «pedigree» d’un véhicule: «Plus on monte dans la gamme de prix et plus c’est important de retracer cet historique. C’est d’autant plus difficile qu’aujourd’hui vu le niveau du marché, les gens aiment bien connaître cette historique, tout en oubliant qu’à une certaine période de leur vie il y a des voitures qui ne valaient rien, et c’est des voitures qui étaient mises à la casse. C’est très compliqué pour des voitures qui ont quarante ans, cinquante ans, d’avoir une traçabilité totale, mise à part si le véhicule est resté dans la même famille. Mais pour certaines autos spécifiques, d’une valeur estimable on va dire, il y a des historiens qui voyagent dans le monde entier, pour aller rechercher, retracer, et combler les blancs que l’on peut avoir dans l’histoire d’un véhicule» explique Laurent Lefebvre.
Mais cette recherche des origines d’un véhicule trouve parfois sa limite, notamment lorsque une auto est à un moment donné totalement restaurée, un historique détaillé et minutieux ne fait donc pas forcément tout: «A un moment donné on ne va pas inventer les éléments, lorsqu’on les a on les a, et lorsque on ne les a pas, on les a pas. Quand on a une voiture parfaite, les gens ne sont pas stupides, ils préfèrent avoir un véhicule parfait qui a une partie de son histoire, plutôt qu’une merguez avec un historique complet. C’est juste un truc en plus, cela ne joue en rien sur sa valeur ni sur l’aspect vendable du véhicule. C’est la petite cerise sur le gâteau».
Prochainement un atelier ?
Si LL Classic Cars se consacre actuellement seulement à l’achat, à la vente et à la négoce de véhicules anciens, Laurent Lefebvre aimerait un jour proposer d’autres services à sa clientèle comme la réparation et l’entretien de leur petit bijou: «C’est un projet, qui dépend seulement du fait de trouver la bonne personne, que je recherche depuis un moment mais que je ne trouve pas. C’est compliqué de trouver quelqu’un qui fait les anciennes. Les mécaniciens maintenant sont habitués à ouvrir leur laptop, à se brancher sur la voiture et c’est elle qui dit où elle a mal. Le jour ou je trouve la bonne personne j’investirai dans un atelier». Il ne reste plus qu’à dénicher la perle rare…
Thibaut Goetz
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