Quels sont les principaux freins aujourd’hui qui empêchent de passer certains caps ?
Mathieu Lafond : Si l’on a l’ambition d’être sportif de très haut niveau, dans beaucoup de sports, il faut sortir du pays. Lis Fautsch, que l’on soutenait, a été obligée d’aller s’entraîner en Allemagne à un moment. Dans certains sports individuels, en face, il n’y a souvent pas assez de répondant au Luxembourg, de concurrence. Je vois Christine Majerus aussi, elle est dans une équipe pro hollandaise. Au karaté, on a la chance d’avoir des filles qui font des médailles, mais c’est pareil, elles sont quatre ou cinq, elles sont donc aussi obligées de faire quelques entraînements à l’étranger parfois, de multiplier les tournois ailleurs. Même dans un sport co, si l’on veut être dans le top mondial, il faut partir. Les meilleurs volleyeurs vont par exemple en Italie… Pour le foot, le niveau de la BGL Ligue a beau augmenté, c’est pareil, les meilleurs doivent partir.
Lis Fautsch : L’argent est pour moi un des soucis majeurs. C’est toujours une question de budget.
Mathieu Lafond : Pour les sports collectifs, des clubs ne s’inscrivent pas en Coupe d’Europe parce que c’est à perte, ça coûte trop d’argent. Certains le font quand même pour l’expérience, de temps en temps. Le hand au Luxembourg par exemple, c’est semi-pro. Si on passait un cap supplémentaire, c’est sûr qu’il faudrait davantage d’argent, notamment pour attirer des joueurs étrangers.
Norma Zambon : Pour être au niveau, il faut également participer régulièrement à des compétitions. L’équipe féminine de volley joue par exemple la Silver League désormais, même si l’on perd tous les matchs 3-0, on pratique contre des pros qui jouent à un très haut niveau en Turquie, en Italie, et c’est comme ça que l’on progresse. Et on sent que petit à petit, on réduit l’écart… Il faut jouer ce type de compétition régulièrement. Le problème, c’est que ça coûte beaucoup d’argent… On se pose toujours la question « Combien ça coûte ? », et la conclusion est que si l’on a l’argent, on doit jouer telle ou telle compétition. Et le ministère aide beaucoup de côté-là, avec les subsides… Il faut savoir par exemple qu’une campagne de Silver League, c’est 100 000 euros. Nous au Luxembourg on a quand même un problème : on ne gagne pas d’argent pour la diffusion des matchs, au contraire, on doit payer. Dans d’autres pays, on gagne de l’argent… C’est quand même un sacré frein. Il faudrait qu’un jour les choses évoluent de ce côté-là…
Lis Fautsch : Nous avons peut-être aussi encore un manque en termes de savoir-faire… Les entraîneurs n’ont pas nécessairement la formation adéquate pour réellement atteindre leur potentiel. Et il faut aussi trouver le moyen d’attirer les meilleurs. Si tu veux être au top, participer aux Jeux olympiques par exemple, alors il faut que tout soit mis à un très haut niveau. C’est un manque au Luxembourg : la bonne formation pour les bons entraîneurs. C’est évidemment une question d’argent, car la qualité, ça se paye. Beaucoup de personnes me disent avoir fait des masters de sport à l’université et vont ensuite devenir professeurs, car la différence de salaire est conséquente. Et au-delà de l’aspect financier, il faut aussi savoir rendre cela attirant. Que cela devienne un métier avec une vraie réputation, qui suscite le respect. J’ai une amie dont le mari est entraîneur, il n’est jamais là le soir, jamais là le week-end… Si tu veux avoir une famille, ce n’est pas facile. Donc il faut trouver une rémunération qui donne envie de le faire. Là-dessus, on est défaillants. Au niveau de l’escrime, on n’a même pas un entraîneur national, ce qui est catastrophique. C’est quelque chose de très important.
Norma Zambon : Quant à moi, je dirais le bénévolat. Au sein de notre conseil d’administration, on est dix bénévoles par exemple pour 3 000 licenciés au volley au Luxembourg. Chacun travaille ses 40 h par semaine… Le covid n’a pas facilité les choses, surtout au niveau club. Mais on doit retisser du lien pour attirer de nouveaux bénévoles, on en a besoin.
Lis Fautsch : Il est certain que le bénévolat est en train de globalement diminuer. Quand tu travailles tous les jours de manière intense, est-ce que tu as vraiment envie de sacrifier ton temps libre le week-end pour un club ou une fédération ? C’est très compliqué, et il faut trouver une solution pour relancer la machine. Offrir une rémunération ? Je ne pense pas que cela soit une bonne idée. On a besoin d’avoir des gens passionnés par le sport, et non pas intéressés par l’argent. Par contre, avoir plus de congés sportifs, d’autres manières de récompenser d’une manière pas forcément monétaire, cela me paraît être une solution envisageable. Pour le reste, je remarque que c’est difficile de trouver des gens motivés, et il faudrait leur offrir des prix ou quelque chose, pour leur montrer qu’ils ont une très grande importance. Mais pas avec de l’argent selon moi.
Roby Langers : C’est une ressource qui baisse d’année en année. En étant à la tête d’un des plus gros sponsors du sport (Loterie nationale, NDLR), je sais combien de demandes nous recevons pour avoir des dons. Beaucoup de clubs ont du mérite, car ils se battent avec peu de moyens, ce n’est pas évident pour eux. Le COSL fait ce qu’il peut, mais il a perdu un gros sponsor. C’est difficile pour tout le monde et ça n’aide pas à l’évolution.
Mathieu Lafond : Le bénévolat, c’est un challenge permanent. Le covid n’a pas aidé de ce côté-là. Mais récemment, le ministère des Sports a fait une campagne de communication pour justement le valoriser. On a besoin d’une plus grande reconnaissance de cet engagement et d’un meilleur accompagnement.
Et qu’en est-il des infrastructures ? Sont-elles au niveau, selon vous ?
Norma Zambon : Oui, absolument. En comparant avec d’autres pays, on est même au-dessus ! C’est un de nos points forts. Mais d’un autre côté, on a par exemple les lycées où il y a des piscines, des salles de sport de luxe, mais les clubs ne peuvent pas s’en servir après 20 h, car le concierge est parti… Tout est là, et on ne l’utilise pas. C’est dommage. Quand des étrangers viennent et voient nos infrastructures, ils les trouvent géniales.
Jenny Warling : Globalement, oui. C’est juste un peu dommage que tout ne soit pas regroupé sur un site, que les pôles ne soient pas davantage centralisés. Ça fait souvent beaucoup de déplacements pour les athlètes… Je vais chez le kiné à la clinique du sport à Esch, je m’entraîne à la Coque dans le cadre fédéral et au club à Strassen, ce n’est pas facile, ça fait pas mal de trajets. Et je pense que c’est comme ça dans beaucoup de sports. Dans la planification des projets, il me semble que ça aurait pu être davantage pris en compte. La Coque c’est bien, sauf que l’on n’a toujours pas le tatami du karaté… On est en mission pour ça (rires) ! Il y en a trois pour le judo, alors que dans notre centre d’arts martiaux, on est à 2/3 karaté et 1/3 judo, donc pour moi, c’est l’inverse à la Coque au niveau des tatamis.
Mathieu Lafond : Naturellement, le nouveau stade est un bijou. Il est magnifique. J’y suis déjà allé pour le foot et le rugby et c’est super appréciable pour le spectateur, la visibilité est top. Il y a des patinoires et tout ce qu’il faut. Ce qu’ils ont fait à la Coque, c’est parfait. Par contre, dans certains sports, et je pense notamment au rugby que je soutiens, ils ont un challenge au niveau des terrains, pour les clubs surtout. Je sais que c’est un combat qu’ils mènent depuis des années, et quand on voit le prix du terrain au Luxembourg, cela n’est pas évident. Il faut trouver des communes qui sont prêtent à en mettre à disposition ou des clubs de foot qui partagent le leur.
Luc Holtz : On est très dépendants des communes. On a de petites communes qui ont de belles infrastructures par rapport à d’autres plus grandes. Pour prendre l’exemple du stade de Luxembourg, je pense que l’on a perdu beaucoup d’années. Avec les moyens que le pays a, il y a eu trop de discussions et de décisions politiques qui ne sont pas allées dans le bon sens et qui démontrent que l’on ne s’intéresse pas assez au sport. Pour le vélodrome, c’est encore pire. La décision a mis des années à se mettre en place et tout a été beaucoup trop lent par rapport à cela, car on a les moyens.
Où en est-on dans la formation, à la fois des sportifs et des entraîneurs ?
Norma Zambon : Je pense qu’il fallait mettre certaines choses en route comme le Sportlycée, le LIHPS, le LTAD, on est quand même en train de bouger, et je pense que c’est ça qui manquait, et c’est pour ça que l’on n’arrivait pas à tenir le coup. Les fédérations ont avancé depuis, elles ont mis l’accent sur les jeunes, sur le coaching. Concernant ma fédération, c’est important d’insister sur le niveau des coachs pour les jeunes, avec les bonnes formations et des formations continues. Tous ces aspects ont été trop longtemps négligés.
Jenny Warling : Le Sportlycée est vraiment une bonne chose pour encadrer les jeunes sportifs, c’était par exemple idéal dans mon cas. Et pour les entraîneurs, c’est l’ENEPS. Tout cela évolue ces dernières années en tout cas, et on est sur le bon chemin. Et ça montre qu’il y a une grosse demande du côté des jeunes athlètes.
Luc Holtz : Pour parler du football et de ce qui se fait dans notre centre de formation à Mondercange, on essaie toujours de se développer et de progresser. Je pense aussi qu’il y a beaucoup de clubs qui essaient de mettre de l’importance dans la formation, donc je dirais que l’on a envie de faire plus, de mieux faire, parce qu’il y a une prise de conscience que les jeunes d’aujourd’hui sont les futurs joueurs des clubs et de l’équipe nationale notamment. Si on ne met pas de l’importance là-dedans, il viendra un jour où l’on sera en difficulté.
Norma Zambon : La LIHPS est en train de faire un très bon job à ce niveau-là. Les fédérations ont également fait beaucoup plus de campagnes, pour les arbitres également. Il existe encore un grand manque au niveau de ces derniers. C’est très important, notamment chez les jeunes, d’avoir des entraîneurs qui ont une bonne formation. Mais la LIHPS a de plus en plus de personnel et travaille sur tous les plans avec les fédérations. On est en train de faire de grands pas en avant.
La situation financièrement confortable du Luxembourg ne va pas pousser les enfants à avoir envie de réussir dans le sport pour s’en sortir dans la vie. Cette tranquillité, dans un pays où une carrière standard peut presque mieux payer qu’une carrière sportive, peut donc être un frein aux sacrifices, au besoin de rage pour se surpasser. Comment réussir à changer les mentalités dans ce contexte ?
Lis Fautsch : C’est certain que dans de nombreux pays, le sport offre tellement de possibilités que le rapport à celui-ci est différent. Le dévouement à la discipline peut en effet être bien plus intense qu’au Luxembourg. Mais je pense que ce problème est aussi dû à l’absence relative de concurrence ici. Ailleurs, si un enfant ne va pas en compétition, il y a en a trois derrière lui pour prendre sa place. Ici, si tu n’y vas pas, tu es souvent assuré de rester numéro 1. C’est quelque chose qui a beaucoup manqué, cette pression venant de derrière.
Jenny Warling : La concurrence interne, assez faible et notamment dans les sports individuels, est à la fois un avantage et un désavantage. L’avantage c’est que les moyens sont plus personnalisés, le désavantage est que l’on ne peut pas se confronter à un niveau assez élevé pour progresser plus rapidement et mieux.
Lis Fautsch : C’est un problème, en effet. Et ensuite, il y a la fierté que l’on doit réussir à développer. Si un enfant se dit « quelle différence cela fait-il si je suis numéro 1 ou numéro 2 ? », c’est un très mauvais départ. C’est alors un travail sur le plan mental qui se fait. Mais on doit aussi réussir à faire comprendre que si l’on est champion olympique, on reçoit une pension ! Il y a une très belle vie à avoir en tant que sportif, et il y aura une rentrée d’argent sécurisante qui récompensera tous tes sacrifices. Beaucoup s’arrêtent à l’âge de 18 ans en se disant que c’est trop risqué, qu’ils ont une situation confortable à côté.
Luc Holtz : C’est un peu la mentalitéluxembourgeoise. Il faudrait que l’on se pose tous les bonnes questions. Il y a une certaine manière de penser qu’il faudrait changer. Il y a de jeunes sportifs qui veulent devenir professionnels, mais derrière des parents qui ont tendance à jouer la carte de la sécurité en faisant passer les études en premier. Je m’y connais un peu, car je suis parti à 16 ans en centre de formation pour devenir professionnel, donc je sais que les parents sont inquiets pour le futur de leurs enfants. Ils se préoccupent de leur confort et de leur sécurité financière. Entreprendre une carrière sportive, c’est faire face à un certain risque d’échouer. Beaucoup de choses peuvent arriver, on est assez anxieux par rapport à ça.
Jenny Warling : Pour moi, le karaté reste justement un hobby pour cette raison, parce que je ne peux pas en vivre. Et il n’y a pas vraiment d’aides financières directes, je ne suis pas payée pour m’entraîner et combattre en tournois. Les déplacements, eux, sont pris en charge par la fédération. Dans d’autres sports, ça peut être différent. Heureusement que je bénéficie des subventions pour participer aux tournois internationaux, sinon je ne pourrais pas, évidemment. Il y a aussi le congé sportif qui me permet quand même de consacrer du temps au karaté, mais ça ne suffit pas pour que je m’y investisse à 100 %. J’ai un travail à côté.
Et c’est ce qui peut rebuter ou décourager certains athlètes… Tu fais partie des meilleures mondiales de ta catégorie, mais à quel prix ?
Jenny Warling : C’est sûr qu’il faut avoir un gros mental et beaucoup d’envie. Si pour passer des heures à l’entraînement, les champions de haut niveau avaient au moins une petite compensation financière, cela pourrait jouer positivement. Ça pousserait à s’entraîner davantage également… et ça ajouterait un devoir, une responsabilité supplémentaire.
Le dialogue est-il assez suffisant et constructif aujourd’hui entre tous les acteurs (fédérations, clubs, licenciés, pouvoirs publics) ?
Norma Zambon : Je suis maintenant très diplomate… et je dis que c’est encore améliorable. C’est loin d’être parfait, mais c’est aussi loin d’être catastrophique. Jusque-là, on a toujours trouvé des solutions quand on avait besoin. Entre fédérations de balles en tout cas, on se voit régulièrement, on mène un travail ensemble depuis quelques années déjà, notamment pour ajuster nos calendriers afin d’éviter que nos finales tombent au même moment.
Jenny Warling : Il y a une volonté politique de soutenir le sport et pas seulement le sport d’élite, mais aussi les amateurs, les bénévoles. Du travail est effectué là-dessus.
Lis Fautsch : On peut quand même encore améliorer les choses. J’ai eu beaucoup de problèmes avec la fédération en tant qu’athlète. Certaines personnes pensent plus à leur intérêt personnel qu’à l’intérêt général. Ils sont bénévoles, ils donnent énormément, ce qui peut expliquer cela. Mais si l’on veut vraiment continuer à progresser, il faut se focaliser sur ce qui est bon pour le mouvement sportif luxembourgeois. Et je pense que nous ne sommes pas assez ouverts aux nouvelles idées. Il ne faut pas être hostile à des approches différentes que nous n’avons pas eues auparavant. « On a toujours fait comme ça, alors on continue comme ça », cela n’est pas bénéfique. Il faut un esprit ouvert.
L’affluence et l’intérêt du public sont-ils satisfaisants aujourd’hui au Luxembourg ? Quel type de travail devrait être réalisé à ce niveau-là ?
Jenny Warling : C’est moyen. Je connais beaucoup de gens qui s’intéressent au sport car ils connaissent des sportifs, disons dans le cercle proche. Mais globalement, comme il y a aussi beaucoup d’étrangers au Luxembourg, je ne suis pas sûr que chacun connaisse le meilleur sportif luxembourgeois dans chaque sport… On peut progresser niveau visibilité et médiatisation.
Lis Fautsch : Les gens ne se rendent pas nécessairement compte de tous les efforts mis en place pour arriver au plus haut. Beaucoup semblent penser qu’un athlète qui va aux Jeux olympiques est juste coché sur une case et basta. Mais ils ne se rendent pas compte de tous les sacrifices, les difficultés, les challenges, les efforts constants ! Le travail est absolument énorme et les gens ne le réalisent pas. Le respect et l’intérêt seraient plus grands si la population avait conscience de tout cela. Ce que l’on entend beaucoup en tant que sportifs dans l’élite de l’armée, c’est qu’il y a un extra d’argent qui arrive sans tant de sacrifices, et que la vie est belle.
Norma Zambon : Nos salles ne sont pas remplies… Je pense qu’un des problèmes est que l’on n’a plus assez de jeunes gens de la commune évoluant dans l’équipe. Je me souviens quand mon père jouait, il y a longtemps, avec les garçons du quartier. Tout le quartier était là, on s’identifiait. Là, il y a beaucoup d’étrangers que les gens ne connaissent pas, et si ces joueuses/joueurs ne font pas l’effort de faire connaissance avec le public et se contentent de venir faire l’entraînement, jouer le match et repartir, ça ne prend pas. Mais on doit aussi peut-être davantage communiquer, faire de la pub pour les matchs, les différentes affiches.
Luc Holtz : C’est un fait que le nombre de spectateurs diminue. Il y a beaucoup de facteurs à retenir. Le covid n’a pas arrangé les choses et dans la mentalité de certaines personnes, il y a eu une réflexion de confort et de devoir à nouveau se déplacer. Ensuite, dans le football, on discute souvent des premières licences. Or il faut aussi se poser la question de savoir si ce n’est pas un argument chez les gens qui ont moins d’intérêt de suivre les équipes qui comptent des joueurs avec qui ils n’ont pas vraiment de rapport. Enfin, il y a aussi les moyens que les gens ont aujourd’hui pour suivre d’autres championnats et compétitions étrangères avec une facilité déconcertante…
Mathieu Lafond : Avec le développement de Live Arena, certains préfèrent aussi regarder les matchs chez eux. Mais pour ceux que je suis, je trouve qu’il y a quand même globalement du monde, notamment au handball, aussi bien hommes que femmes. La dernière journée, le premier contre le deuxième, c’était plein. Sur les matchs importants, il n’y a pas de souci.
Et en ce qui concerne la couverture médiatique ?
Roby Langers : Elle était bien plus importante dans la période où j’étais actif. Il y avait beaucoup plus de journalistes et d’intérêt pour le sport en général. Si je parle du Wort, qui n’est même plus capable de couvrir les résultats, c’est une catastrophe… Dans Le Républicain lorrain, il y avait le sport luxembourgeois et on avait Pilo Fonck qui était une véritable encyclopédie. Aujourd’hui, j’ai l’impression que tout ça diminue et qu’il y a de moins en moins de journalistes sportifs. C’est dommage.
Mathieu Lafond : Disons que pour les gens intéressés, je dirais que c’est OK. Entre votre revue, qui est quand même devenue la référence dans le sport, les quotidiens traditionnels, RTL… Les gens curieux ont un accès à l’information sportive assez aisément.J’ai un petit bémol concernant la couverture médiatique du sport féminin et c’est dommage. Au hand, on voit trois fois plus de personnes chez les hommes que chez les femmes… J’ai pourtant le souvenir d’une finale de coupe de hand féminin à la Coque entre Dudelange et Diekirch, et c’était magnifique ! C’était frustrant d’avoir moins de monde dans les tribunes.
Lis Fautsch : Je trouve que l’on peut faire mieux, avoir plus, en particulier dans la parité femmes-hommes. Les femmes sont moins représentées. Dans certains sports, les bons résultats sont à peine nommés. Il y a un vrai manque dans ce domaine. Et on remarque aussi un certain manque de spécialisation au sein de la presse écrite. Je ne veux pas citer de journaux en particulier, mais beaucoup vont couvrir des compétitions sportives sur des disciplines qu’ils ne maîtrisent pas. Ils vont regarder le résultat, écrire deux ou trois lignes là-dessus, sans prendre en compte le déroulement de l’affiche, avec des comptes-rendus absurdes.
Jenny Warling : Il y a en effet parfois des journalistes qui ne s’impliquent pas assez, qui écrivent sans suivre vraiment ou qui se contentent de reprendre. Ça m’est arrivé de perdre 6-0, et l’article ne reflétait que ce score final, alors que le combat avait été très serré et n’avait basculé que sur la toute fin.
Mais les fédérations et clubs n’ont-ils pas là aussi un travail à faire de leur côté pour se mettre en lumière ?
Mathieu Lafond : C’est vrai que l’on n’a jamais trop vu de grande campagne pour annoncer tel ou tel événement, même pour le football. Il y a eu les 75 ans de la fédération de handball l’année dernière, un match de gala entre l’Allemagne et le Portugal, deux nations importantes qui font partie du top 10 mondial à la Coque, et les gradins étaient clairsemés… Pour une affiche comme celle-là, prévue depuis deux ou trois ans, c’est dommage…
Lis Fautsch : On a des grandes et petites fédérations, et c’est finalement souvent une question de main-d’œuvre. Les fédérations auraient sûrement besoin de plus de support là-dessus. La communication est la clé, que cela soit avec les journalistes, le public, ou pour la recherche du sponsor. Mais il faut des bénévoles pour cela, qui ont aussi les capacités de faire les choses. Si tu as les bonnes personnes, cela marche. Sinon, ça devient très difficile… Les fédérations vont énormément critiquer l’absence de visibilité dans la presse, mais il faut aussi que les informations arrivent vers les journalistes, vers le grand public…
Norma Zambon : On en revient à la question du bénévolat…
Jenny Warling : Il y a sûrement des progrès à faire des deux côtés.
Certains sports sont-ils trop privilégiés par rapport à d’autres ?
Roby Langers : On parle forcément du football, car l’argent est plus présent et les résultats sont intéressants, donc le sponsoring suit. La FLF est l’une des fédérations avec le plus de moyens, et d’autres ont plus de problèmes pour établir leur budget. C’est dommage, mais s’il y avait des sponsors ou des mécènes comme dans le football, cela ferait du bien à tout le monde.
Norma Zambon : Je prendrais la question dans l’autre sens ; certains ne sont sûrement pas mis assez en évidence, surtout quand on regarde les résultats… Quand le volley fait une grosse perf à l’étranger, on a un petit encadré, et quand le foot gagne 1-0, il y a trois pages. Il y a quelques années, notre équipe masculine a battu l’Autriche qui était 30 places devant nous au classement mondial, et ça a fait une demi-page… Voilà.
Quelle est l’image du sport luxembourgeois à l’international ?
Norma Zambon : Il faut demander aux étrangers (rires) !
Avec de meilleurs résultats dans certaines disciplines ces dernières années, ne trouvez-vous pas que vous avez gagné du respect de la part de vos confrères ?
Luc Holtz : Oui, c’est certain. D’après les remarques que l’on me fait quand on joue à l’extérieur, la vision du Luxembourg et de l’équipe nationale a complètement changé.
Roby Langers : Absolument, et pas seulement en football, mais dans toutes les disciplines sportives. Ce n’est plus comme à mon époque où j’étais le petit Luxembourgeois. Désormais, quand on a affaire à un Luxembourgeois qui a fait ses preuves, on le prend au sérieux.
Jenny Warling : Si je regarde dans notre sport, on est davantage respectés. Quand on arrive sur le tatami, l’adversaire ne se dit plus « Chouette, c’est le Luxembourg, je vais passer tranquillement mon premier tour. » On est pris au sérieux maintenant.
Mathieu Lafond : Quand Jenny Warling arrive sur un tatami, je pense en effet qu’elle est respectée… Quand Lis Fautsch arrive pour son duel, je pense qu’elle l’est aussi. Quand Gilles Muller a battu Nadal, voilà, ça force évidemment le respect.
Norma Zambon : Pour le volleyball par exemple, on a maintenant de très bonnes relations avec les fédérations belge et allemande, ce qui facilite les échanges, les partenariats. Par exemple, des filles U19 de chez nous peuvent s’entraîner avec des U17 de chez eux ou vice-versa, et ce type d’actions montre que le respect est là. On a aussi de bonnes relations avec les Italiens. Les choses bougent, des portes s’ouvrent. J’ai également toujours de bons rapports avec Montpellier en ce qui concerne le beach-volley. On pense à envoyer une équipe là-bas pour leur tournoi qui est assez relevé.
Et dans l’autre sens ? Reste-t-il un complexe d’infériorité ?
Mathieu Lafond : Globalement, les sportifs luxembourgeois ont moins ce complexe d’infériorité que par le passé.
Lis Fautsch : Si l’on regarde les autres nations en se disant « waouh », c’est une bonne manière de perdre. Si tu viens quelque part, tu n’es pas là pour te cacher. Le monde voit que l’on met de l’argent dans le sport, que nous nous développons, que le niveau progresse. Nous sommes dorénavant sur la carte.
Le sport luxembourgeois doit-il se fixer des limites, notamment celles d’un petit pays, ou faut-il au contraire toujours viser plus haut ?
Mathieu Lafond : Ce n’est pas toujours une question de taille, si l’on regarde par exemple l’Islande qui arrive à sortir des super équipes au foot ou au hand… Je n’ai pas de vraie réponse. La richesse du Luxembourg, c’est la diversité de ses sports.
Luc Holtz : Pour moi, il ne faut pas se fixer de limites. Ce n’est pas parce que l’on est petits qu’il faut avoir peur, être anxieux et se limiter. Les Îles Féroé ont 50 000 habitants, mais ce qu’ils font dans le sport ou dans le football, avec le peu de moyens qu’ils ont, je trouve que c’est très intéressant. Il ne faut jamais se limiter à quoi que ce soit. Ce qui est important c’est de bien travailler, de savoir ce que l’on a, de ne pas être trop exigeants, de ne pas se fixer des objectifs trop élevés qui ne sont pas réalisables à court terme, mais il faut quand même en définir des clairs et nets, pour les atteindre dans le futur. Mais se fixer des limites, ce serait manquer d’ambition. En football, on parle aujourd’hui de se qualifier pour un grand tournoi. Je suis le premier à être preneur, mais pour réaliser cela, il nous manque encore certaines choses.
Mathieu Lafond : Tout le monde doit jouer son rôle. En tant que sponsor, l’aspect financier est important, évidemment. Mais le plus important, c’est d’aider les sportifs, les bénévoles en matière de communication et aussi en termes de présence. Il faut y aller ; ce n’est pas le chèque une fois par an, on fait une photo et voilà. En étant présents, le business se fait également, même si ce n’est pas le but premier. Cette présence du sponsor sur place permet d’accentuer l’ancrage local.
Pour finir, par curiosité : quel est selon vous l’événement sportif le plus marquant de l’histoire du Luxembourg ?
Norma Zambon : Pour moi, les jeux des petits États organisés ici en 2013. C’est un souvenir marquant.
Mathieu Lafond : Historiquement, il y a quand même la médaille d’or de Josy Barthel. Le nul de l’équipe de football en France, 1-1, à Toulouse pour les qualifications. C’était marquant sur le principe. Quelques mois plus tard, la France est championne du monde… Puis il y a quand même Dudelange en Coupe d’Europe ! Séville, Milan… Deux campagnes d’affilée en plus.
Roby Langers : Pour moi, on ne peut pas se passer de parler d’un Charly Gaul en cyclisme, tout comme de l’ère des Schleck.
Jenny Warling : Je dirais aussi les frères Schleck sur le Tour de France, et notamment la victoire d’Andy !
Luc Holtz : En parlant uniquement des années que j’ai pu apprécier, c’est certainement les frères Schleck qui courent pour gagner le Tour de France. Pour ces dernières années, je rends peut-être mal hommage à certaines personnes plus âgées, mais c’est cet événement ainsi que la victoire de Gilles Muller face à Rafael Nadal. J’ai suivi le match en direct, donc j’étais supporter de Gilles, et connaissant le personnage, ça a une saveur encore plus particulière.
Lis Fautsch : La médaille de Josy Barthel, c’est quand même quelque chose de fou. Et comme on n’en a pas eu d’autres depuis aux Jeux olympiques d’été, cela la rend encore plus forte. La prochaine fois que ça arrivera, cela sera vraiment énorme. Et on n’en est pas loin, on n’en est vraiment pas loin…
Entretiens réalisés par Tendai Michot, François Pradayrol et Julien Sins
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