« Se donner du mal pour les petites choses, c’est parvenir aux grandes avec le temps » – Samuel Beckett, 1951.
Aujourd’hui, Eli Lubambu ne peut s’empêcher de rire en contant l’histoire : « Mon patron de l’époque Stéphan Rebret me dit de lancer quelque chose de plus grand. Force est de croire que je l’ai pris au sérieux » rigole t-il. Présent au tout début de l’aventure et toujours engagé dans l’organisation de cet événement devenu phare, le COO de 11F se rappelle avec joie de la genèse de ce projet, organisé par une petite bande de passionnés qui travaillaient tous chez Saturn.
La particularité de Saturn, à l’opposé de nombreuses chaînes de grande distribution est que ses magasins sont décentralisées. Ainsi, chaque enceinte peut se voir proposer un panel de produits différents, et des gammes différentes ci et là. Aussi, chaque employé est affilié à un secteur particulier avec une spécialisation, là où d’autres proposeraient plus généralement un vendeur survolant tous les produits, mais peut-être mis en difficulté sur des questions plus poussées. De par ces choix stratégiques, Saturn se dote vite d’une communauté de gamers travaillant pour eux, et particulièrement talentueux pour satisfaire une clientèle là aussi passionnée de l’univers du jeu vidéo. Et le petit groupe se met alors à organiser des concours de gaming en magasin, sur le jeu Starcraft. L’idée prend, les gens affluent, et les messages demandant plus deviennent réguliers. Très vite, l’idée d’organiser un petit évènement se met en place, conscient du potentiel de la chose.
De l’idée à la conception, il y a un monde. Particulièrement quand l’intégralité du temps ne peut-être consacré à la mise en place de l’évènement, le travail « normal » prenant le dessus. Le choix est pris de faire la compétition sur LoL, jeu de référence de l’e-sport à l’époque. Si la tâche est difficile, certains éléments sont encourageants. Nintendo, Samsung, Microsoft, Orange et la BIL font partie de l’aventure. La première édition de LGX se déroule au Casino de Mondorf-Les-Bains et est un véritable succès, avec 2 500 personnes présentes tout au long du week-end. Une réussite qui s’explique par le sentiment d’immersion que ressentent les spectateurs : au-delà de se déplacer et regarder avec leurs yeux, ils peuvent participer, tester, tenter… Avec des concours de cosplay, de nombreux stands, les divertissements sont largement suffisants. Bien assez pour remettre le couvert l’année suivante.
Nous revoici donc lancés pour un nouveau round. Un an plus tard, avec cette fois-ci 3 500 personnes qui affluent le temps de deux jours, la machine parait lancée. Sauf que cette machine, aussi impressionnante soit-elle, commence à inquiéter Saturn. Un tel succès peut en effet dévier les gens de l’idée qu’ils se font de la célèbre enseigne. Les grands pontes décident alors, de demander à leurs employés de ne plus répéter ce genre d’évènements, qui donne l’image de Saturn comme étant spécialisé dans l’évènementiel, et non la vente de produits.
Pour les créateurs de l’event, le coup est rude. S’ils disent comprendre le positionnement de leur employeur, le fait de devoir tout abandonner après avoir construit un tel édifice est dure à encaisser. Le but est donc de s’assurer de la survie de LGX, que cela soit dans les mains de Saturn ou non. L’idée est alors émise de proposer à 11F, société locale spécialisée dans le gaming et présente pour la seconde édition, de reprendre le flambeau. Cette dernière accepte, pour une troisième édition qui se déroule encore une fois à Mondorf-Les-Bains. Nouvelle réussite, mais un enseignement précis : pour continuer de grandir, il faut changer de lieu. Si le casino est un excellent cadre, sa localisation, éloignée du centre du Luxembourg complique les choses. L’heure de passer aux choses sérieuses : LuxExpo. Cette fois-ci, un cap est véritablement franchi : 14 000 visiteurs, et rapidement, l’image d’évènement majeur de l’e-gaming au Luxembourg se colle à la peau de LGX. Le Grand-Duché, orphelin de manifestation célébrant une discipline grandissante ne peut que s’en réjouir. Enfin, une fois par an se déroule quelque chose à la hauteur des passionnés de plus en plus nombreux de l’e-gaming.
Parfaitement lancée, cette dernière ne sera arrêtée que par un terrible virus qui empêchera la tenue d’une nouvelle édition 2020, puis 2021. Un véritable coup dur quand, encore une fois, le plus compliqué avait été fait. Mais, à voir la détermination des créateurs de ce projet, il parait difficile de s’imaginer qu’une claque comme celle-ci soit suffisante pour enterrer les ambitions de Labambu et ses compères.
Si la société a depuis trouvé des alternatives en proposant des expériences online telles que LGX online (assez pragmatique comme nom), au sein d’11F, il ne fait guère de doute : 2022 sera l’année du retour en salle.
Vous étiez dans les tout débuts de LGX, et aujourd’hui vous êtes COO de 11F, qui est responsable de l’évènement. Aujourd’hui, combien êtes-vous au sein de la structure ?
Les choses ont changé au cours des deux dernières années. En effet, dans la structure, on a profité de ce confinement pour restructurer les choses. Avant, la structure 11F était plus anarchique, avec des gens qui travaillaient sur un peu tout. L’objectif maintenant, c’est d’avoir une personne qui est focalisée sur un sujet. Evidemment tu pourras recevoir un coup de main mais il faut être concentré au maximum sur quelque chose. Et LGX est maintenant repris sous l’entité NextLevel, où ils sont quatre personnes à temps plein.
Après deux années assez impactées par le COVID, peut-on imaginer la LGX reprendre en présentiel en 2022, toujours à la LuxExpo ?
On a décidé de le faire l’an prochain lors du dernier week-end du mois de septembre, toujours à la LuxExpo. On va tout faire pour que cela puisse se faire et on va s’adapter au mieux aux conditions sanitaires en vigueur. On y va, c’est l’état d’esprit aujourd’hui. S’il faut annuler, on annulera, mais ça n’est pas dans l’idée. Les choses semblent possibles aujourd’hui dans le respect des mesures en place.
Où situez vous l’e-sport au Luxembourg sur la carte mondiale ?
Il faut être honnête, en termes d’e-sport, donc quelqu’un qui vit véritablement de sa passion, il n’y en a pas ou très peu. On a pu voir que c’est difficile aujourd’hui depuis le Luxembourg de vivre de cet art-là.
Pourquoi ?
C’est avant tout pour moi une question de vision. Il faut qu’un gamer décide déjà de s’investir à fond dedans. Une fois que c’est fait, il doit accepter de se professionnaliser en sachant que cela prendra sûrement beaucoup de temps pour que cela marche. Il faudra donc un soutien tout autour de lui, pour que cela puisse se faire. On ne peut pas réussir sans tout un système solide avec soi. A côté de ça, il n’y a aussi pas énormément d’infrastructures. Ces jeunes-là, il faut leur donner envie. Ils ont vu un tournoi, y ont participé, ont trouvé ça cool, se sont trouvés pas mauvais, ont rencontré des gens, et continuent de se développer. Voilà le cheminement habituel pour rentrer dans le monde pro, c’est tout un processus. Enfin, l’e-sport doit commencer très tôt, c’est comme dans tout sport. Ce que l’on observe aujourd’hui, c’est que sur la partie d’e-sport professionnel on est à la traîne. Mais on se rend compte que depuis ces deux ou trois dernières années, cela bouge. Des compétitions se créent, la presse commence à jouer le jeu : les choses avancent.
Le COVID n’a-t-il pas paradoxalement aidé le monde du gaming a encore plus faire son trou ?
Oui, indéniablement, cela a boosté l’éco système du gaming. Paradoxalement, le COVID a en effet accéléré toute la discipline, et beaucoup de gens ont inévitablement passé du temps devant les écrans. Quelques mois après les lockdowns, on a organisé deux tournois sur Rocket League et Fortnite avec Orange, et on a atteint le record du nombre d’inscrits, avec plus de 500 joueurs sur Fortnite, pour un évènement complètement digital. Tout ceci peut s’explique entre autres avec cette pandémie qui a crée un grand mouvement mondial.
Quels sont les obstacles que vous affrontez aujourd’hui majoritairement ?
Le plus gros obstacle, c’est le Covid. Dans l’évènementiel, cela a mis un gros coup de frein. On était dans une très bonne dynamique, avec de plus en plus de partenaires enthousiastes, et cela a été cassé. Les budgets de nombreuses sociétés ont aussi été impactées. Nous restons dans une période incertaine. Nous avons lancé LGX online mais aussi LGX Arena, qui est la vraie partie Gaming. LGX Arena nous donne la possibilité de faire des tournois assez rapidement sur tel ou tel jeu. En fonction de la demande de la communauté, on peut donc s’adapter au plus vite et répondre présent. Mais le défi c’est – si on se rend compte que pour des raisons de santé le physique pose problème – arriver à digitaliser les choses et que les partenaires adhèrent aussi. Les gens ont encore besoin du papier, de la présence humaine. Sur la partie digitale certains sont donc encore un peu réfractaires. Ce sera donc un défi de toujours pouvoir organiser des évènements. Et il faut derrière continuer d’élaborer des concepts qui plaisent de plus en plus.
Il y a eu beaucoup de scandales ces derniers temps sur le harcèlement dans les compagnies d’éditions de jeu vidéo. Est-ce propre à certaines compagnies ou le pensez-vous plus global ?
Je pense que c’est général, et que ça ne se limite pas au monde du gaming. Pour combattre ces sujets-là il faut travailler de manière proactive. Récemment, on se plaignant de ne pas avoir suffisamment de présence féminine dans nos tournois. On a déja collaboré avec des associations comme WIDE qui prône l’activité des femmes dans le gaming. On aimerait réellement allouer d’office des places pour des femmes, mais ça pourrait se tourner contre eux. Mais c’est clair que pour moi ce modèle doit changer. Quand on regarde dans le milieu politique, il y a quelques années en arrière on trouvait rarement des femmes. Au départ, ils ont fonctionné avec des quotas et après c’est devenu naturel car on s’est vu que les femmes étaient capables de briguer des posts du même niveau. Dans notre éco-système il y a des femmes gameuses, nous en avons déjà eu et on a vu qu’elles étaient capable de faire de grandes prestations. On veut tout faire pour intégrer le maximum de femmes dans ce milieu, mais cela demeure un challenge, c’est certain.
Mental Médias SARL
15 Rue Emile Mark
L-4620 Differdange LUXEMBOURG
m : moien@mental.lu