Quel a été ton parcours dans le tennis, pour arriver jusqu’au club d’Esch ?
J’ai commencé à jouer assez tôt, vers l’âge de 5-6 ans. Je faisais beaucoup d’activités sportives comme du tennis, mais aussi du football et autres… J’ai été parmi les meilleurs joueurs de Franche-Comté assez jeune, période où je me suis focalisé exclusivement sur le tennis. Après, j’ai intégré une structure d’entraînements car lorsque j’étais cadet / juniors, je faisais partie des meilleurs français. J’avais fait demi-finale aux championnats de France cadets, reçu une invitation à Rolland-Garros Juniors.. J’ai aussi participé à quelques tournois en Juniors, j’ai été 152e mondial. Mais dès la première année dans cette catégorie j’ai arrêté.
Pourquoi ?
Cela n’était pas forcément la chose la plus importante pour moi. C’était un véritable investissement de partir à l’autre bout du monde pour des Juniors. A 18 ans, après mon bac, j’ai fait un an, un an et demi de tournoi pro futures comme celui qui se déroule actuellement à Esch. J’ai réussi à monter dans les 1300 premiers joueurs mondiaux. Et derrière ça, j’ai arrêté un tout petit peu avant 20 ans, assez tôt. Je me suis focalisé sur un double projet d’étude mais aussi de continuer à avoir un bon niveau national mais sans faire des tournois pros. J’ai fait ça à Grenoble, dans une structure qui s’appelle le Centre National Universitaire de Tennis, où cela me permettait d’avoir des aménagements pour les études. Après ces cinq ans, je suis devenu professeur d’EPS, avec une mutation dans le coin. J’ai toujours voulu garder un pied dans le tennis, comme je connaissais Ugo Nastasi, il m’a proposé de venir dans son club à Esch-sur-Alzette, et c’est comme ça que j’ai commencé à jouer et entraîner ici.
Tu participes aussi à un projet de solidarité du Tennis Club d’Esch, tu peux nous en parler ?
Cela s’appelle « Tennis pour tous ». L’idée est de permettre à des personnes qui n’ont pas forcément les moyens financiers, sociaux, ou qui sont pénalisés par des handicaps physiques de pouvoir se faire plaisir au tennis sur quelques créneaux. Offrir du tennis inclusif donc, et je m’occupe des entraînements. L’âge des joueurs est assez large, puisqu’on peut avoir des jeunes réfugiés de 6 à 12 ans, mais aussi des adultes en situation de handicap.
Revenons sur le tournoi : tu as passé le premier tour des qualifications avant d’échouer au tour suivant. Mais comment s’est passé ton inscription dans la compétition ? Est-ce que cela a été une surprise ?
Oui, c’était une surprise. Je n’avais pas fait de tournois pros depuis 2013, donc je n’avais plus du tout le pied là-dedans. Pour cette première, il était aussi nécessaire et sympathique d’avoir des joueurs locaux, donc ils m’ont proposé une invitation en qualifications. J‘étais très heureux de pouvoir rejouer sur ce type de tournoi et de me confronter à de très bons joueurs ce qui fait toujours plaisir.
As-tu ressenti de la pression, ou as-tu été capable de mettre en place ton jeu tranquillement ?
Je n’avais pas spécialement la pression. J’avais l’avantage contrairement à d’autres de ne pas jouer ma vie sur ce tournoi. Je suis arrivé avec pas mal de détachement, avec la simple envie de faire un bon match et jouer mon jeu. J’ai quand même ressenti de la pression au moment de conclure mon premier match (NDLR : une victoire 6-1 / 7-5 contre Andrew Felton, 1138e mondial) mais cela a fini par le faire. J’y étais allé juste dans l’idée de faire un bon match et essayer d’embêter l’adversaire, et force est de constater que ça a plutôt bien marché (rires) ! Le deuxième match a été plus difficile, car j’ai joué un adversaire qui avait un jeu qui ne me convenait pas vraiment. Un gaucher qui tactiquement a réussi à jouer sur mes points faibles, donc plus difficile. Mais dans l’ensemble, cela a été une super expérience et je suis très reconnaissant d’avoir eu une invitation pour ces qualifications.
Tu bats un joueur qui gravite autour de la 1000e place Mondiale et qui a 21 ans. Quand tu le bats, est-ce qu’il n’y a pas une petite part de toi qui se dit « Putain, j’aurais peut-être pu aller plus haut, plus loin, si aujourd’hui j’arrive encore à gagner des rencontres comme ça » ?
Il ya toujours dans la tête ce genre de réflexions. Après, personnellement, dans ma situation actuelle je suis très heureux. Sur une rencontre, oui je peux me dire « ah bah tiens, c’est un peu dommage », mais sur le long terme, la réflexion là n’est pas présente. Je suis juste content de pouvoir jouer. Je n’ai pas fait beaucoup de matchs cette Anne à cause du Covid notamment, j’ai été content dans les rares occasions que l’on a eu cette saison de jouer en équipe. C’est clairement ce que je préfère aujourd’hui.
En voyant les prize-pools, les déplacements, les sacrifices, on se dit quand même que c’est une vie vraiment difficile pour tous ces joueurs qui sont quand même d’un excellent niveau… Et la ligne pour pouvoir vivre du tennis est extrêmement compliquée à atteindre. Est-ce que tu penses que le système actuel tient la route ou il faudrait plus de soutien pour tout ce qui est classé au dessus de la 350-400e place ?
C’est sur que c’est compliqué pour ces personnes-là. Si on regarde les prize-pools en ITF… Alors oui, il y a toujours la possibilité de gagner un peu d’argent en jouant des doubles, etc… Mais ça reste toujours compliqué car pour jouer des tournois ITF, il faut des points et inversement… Il y a une répartition qui est, il faut bien le dire, inégale, mais c’est tout de même le cas dans tous les milieux. Si tu prends le milieu des grandes entreprises, le PDG gagne je ne sais pas combien de plus que les salariés. C’est la même chose dans le monde du tennis. Pour un premier tour passé de l’ITF, on doit gagner quelque chose comme 100-150 euros alors qu’en même temps le vainqueur de Roland Garros va repartir avec trois millions de dollars. Donc c’est compliqué de se lancer sur le circuit, en particulier si l’on n’a pas beaucoup d’aides de la part de sa Fédération. Il faut bricoler, accepter de passer par étape, et je pense qu’il est important d’avoir des temps de passage qui, une fois franchie, doivent amener à des questions sur la situation, le potentiel, et la décision de peut-être s’arrêter.
Tu le mettrais à quel âge ce temps de passage ?
C’est difficile mais… Si à 20 ans, en analysant la concurrence, ce que font les mecs de 17 et 18 ans, on se sent loin d’eux… Il faut se poser les bonnes questions. C’est le dilemme de beaucoup de sportifs. Je suis professeur d’EPS et je vois beaucoup de jeunes qui veulent devenir pro au football, c’est un rêve, mais il faut savoir le confronter avec la réalité. C’est quelque chose de très difficile, en particulier jeune, mais important. Se donner les moyens de ses ambitions coûte énormément. Ce sont des sacrifices constants. On parle du point de vue financier, mais il y a beaucoup d’autres difficultés : le temps passé, seul, dans les transports entre chaque tournoi. La solitude à l’hôtel, dans une période de la vie où beaucoup sortent, il va falloir ensuite attendre toute la journée avant de jouer son match. C’est beaucoup de patience, d’ennui et de solitude. On n’a pas tous la chance non plus de pouvoir avoir son entraîneur ou ses amis qui se déplacent avec nous sur le circuit. C’est énormément de sacrifices, mais ça se tente. Il faut juste savoir se poser les bonnes questions, aux bons moments. Si quelqu’un le fait jusqu’à 30 ans et qu’il est 900e mondial, bon… C’est compliqué.
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