La peur de gagner
Ce mercredi soir, à Stamford Bridge, dans une demie finale indécise, Chelsea ou le Real Madrid se qualifiera pour le tour final. Une prouesse qui sera assurément fêtée à sa hauteur, puisqu’aussi bien pour le club londonien que madrilène, la perspective d’une finale de Ligue des Champions dépasse allègrement les attentes de début de saison. Ce sentiment du devoir accompli, en cas de qualification (voire de défaite) ne résonne pas du côté de l’Etihad Stadium. Car, plus que jamais, après tant d’échecs répétés dans la compétition, mancuniens et franciliens tiennent peut-être enfin là l’occasion rêvée de poser leurs noms sur le palmarès de la compétition européenne la plus prestigieuse. Et, à y regarder de plus près, l’un comme l’autre semblent presque inquiets de cette possibilité d’atteindre le graal. Car, si la victoire serait assurément un grand pas vers l’objectif final, une défaite serait perçue comme un énorme camouflet.
Pour Manchester City, la saison est pourtant presque parfaite. Hormis une élimination en demie-finale de FA Cup face à Chelsea, le bilan est tout simplement exceptionnel : le titre de Premier League semble être assuré depuis février, la EFL Cup a été remporté face à Tottenham, et le parcours en Champions League est impeccable. Pour ce qui est du parcours européen, c'est là aussi un sans faute. Après avoir survolé sa phase de poule (16 points sur 18), les cityzens ont remporté leurs quatre matchs à élimination directe face aux Borussia de Moënchengladbach puis Dortmund. Un parcours relativement aisé qui n’aura vu aucun grand ponte du gotha européen se dresser sur leur chemin. Et la perspective d’une finale abordable face à un adversaire de Chelsea ou Madrid pas si inquiétant doit forcément trotter dans la tête de De Bruyne et ses coéquipiers. Comme si tout ceci était trop facile, trop accessible. Après tant d’années à chuter en Europe, Guardiola a enfin l’occasion de renouer avec le succès. Et, au vu de la première mi-temps face à Paris la semaine dernière, la peur de l’emporter semble bien réelle. Incapables de proposer un jeu de possession efficace, avec des passes bâclées et pertes de balles idiotes, surclassés dans l’intensité, les Skyblues s’étaient littéralement fait manger. Il aura fallu une deuxième mi-temps bien plus propre aux standards du club anglais pour retourner une équipe de Paris tout de suite bien moins fringante.
Ce PSG, justement. Sur le point de perdre le championnat pour la première fois depuis 2017, l’effectif aux moyens colossaux ne peut passer à côté de la LDC, sous prétexte de s’offrir un bilan catastrophique en fin de saison. Mais, à bien y regarder, ne souffrirait-il pas du même syndrome que Manchester City ? À voir tous les matchs retours dans cette édition 2020/21, la peur de gagner semble en effet bien présente. Après avoir surclassé le Barça au match aller, la deuxième manche avait montré la fragilité apparente du club entraîné par Mauricio Pochettino. Et face au Bayern Munich, après une victoire à l’Allianz Arena d’un réalisme rare, le retour avait lui aussi montré une équipe incapable de bomber le torse, et bien moins létale sur ses rares occasions. Mais à chaque fois, le PSG est passé. Et aujourd’hui, il semble avoir enfin refermé certains chapitres douloureux de son passé européen. En éliminant les bavarois, la souffrance de la défaite l’an passé en finale a diminué. En surclassant le FC Barcelona, le club a pensé les plaies de l’inoubliable remontada. Et, en éliminant successivement deux cadors du football européen, les franciliens ont aussi mis les critiques de leur parcours abordable de l’an passé aux oubliettes. À dire vrai, des suites de ces qualifications face à deux clubs européens historiques, Manchester City apparaissait comme plus abordable. Mais, après avoir offert une masterclass le temps de 45 minutes, les vieux démons semblent être réapparus et le PSG a sombré. Une histoire qui semble se répéter, tenace et lancinante, et qui empêche encore et toujours le club de la capitale de réussir à adopter une attitude souveraine et conquérante durant l’intégralité d’une confrontation.
Le football comme solution
Ainsi, deux clubs qui ont ouvertement fait de la Ligue des Champions leur objectif ultime depuis des années sont en passe de se rapprocher encore un peu plus du précieux sésame. Et, l’on est en droit de penser qu’à leur meilleur niveau, ils sont intouchables. Ce niveau, précisément : peuvent-ils aller le chercher ? À l’image de City, trop cérébral, trop calculateur lors de quarante-cinq premières minutes indignes de son niveau, le score négatif lui a peut-être permis d’enfin arrêter de réfléchir et retrouver ses bons vieux préceptes : faire circuler la chique, encore et encore, avant de finir par trouver une faille et concrétiser. Un état d’esprit loin des considérations de prestige, gloire ou autre, mais simplement fait de ballon de foot et plaisir de jouer. En retrouvant cette légèreté, Manchester a d’ailleurs réussi à retourner une équipe parisienne qui, encore une fois, a semblé avoir peur de sa performance.
Bonne nouvelle pour Paris ? Ce soir, il n’y aura pas de quoi réfléchir. La donne est simple, et les yeux ne peuvent être tournés vers une hypothétique finale. Il faudra marquer, marquer, et marquer. Le salut proviendra nécessairement d’un minimum de deux buts. Ainsi, le chassé deviendra cette fois-ci chasseur. Une nouvelle approche qui pourrait être bénéfique à Neymar et cie. Et, hormis le doute subsistant sur l’état de forme d’un Mbappé boitillant hier, Pochettino pourra compter sur son groupe tout entier pour essayer de réussir l’exploit.
L’entraîneur argentin ne sera pas le seul à bénéficier d’un effectif au grand complet puisque son homologue catalan aura lui aussi accès à l’intégralité de ses joueurs. Et, avec des De Bruyne, Neymar, Sterling, Mbappe, Gundongan, Paredes, Ruben Dias ou autre Marquinhos sur la pelouse, il est fort à parier que l’affiche du soir devrait offrir une formidable opposition. Tant est soit-il que les joueurs arrivent, une bonne fois pour toute, à oublier les perspectives de résultat historique, et se concentrent simplement sur offrir la plus belle prestation possible. Et cela tombe bien, puisque leur salut ne viendra assurément que de là.
Tendai Michot.
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