Quel processus a mené à votre reprise de la présidence ?
Le processus s’est déroulé sur quelques mois. Suite aux démissions du président et du vice-président aux mois de mai et juin, la question s’est posée de qui prendrait la relève. Le comité m’a alors dit que le but était de continuer les affaires jusqu’à trouver un prétendant convenable. Il y a eu une grande solidarité parmi les membres du conseil d’administration pour maintenir le navire, ce qui a permis de ne pas se précipiter. Nous avions prévu de convoquer les membres au mois de septembre pour approuver les comptes et expliquer la gestion. À ce moment-là, je ne pensais pas à ce poste. J’imaginais que quelqu’un allait se manifester ou que Jean-Claude Conter, vice-président depuis des dizaines d’années, allait reprendre le poste. Quand, aux alentours du mois d’août, il m’a dit qu’il ne comptait pas briguer le poste de président, la question s’est alors posée pour moi. On a fait le tour au comité, et comme j’étais très impliqué dans les affaires courantes, j’ai estimé qu’il était temps d’avoir un président. On ne pouvait pas continuer à attendre des mois dans une atmosphère incertaine et floue. J’ai annoncé être prêt à assumer cette présidence, évidemment avec le soutien des membres du comité pour résoudre les problèmes existants.
Vous n’auriez pas pu rêver meilleur départ, en tout cas, avec une belle victoire pour débuter. (NDLR L’interview a été réalisée après la victoire 14-1 de la Jeunesse contre Les Ardoisiers Perlé.)
Oui, c’est juste, mais disons que s’il n’y avait pas eu de victoire contre un club de troisième division, cela aurait été un véritable tremblement de terre. (Sourire) Ce qui m’a donné le plus de satisfaction c’était la manière, mais aussi l’engagement des joueurs. Cela peut parfois être des matchs pièges, et nous avons réussi à l’éviter. Les prochaines semaines vont devoir prouver que l’on est capables de faire de bons matchs et de conclure victorieusement au sein du championnat.
Dans quel état estimez-vous que se trouve le club de la Jeunesse aujourd’hui, concernant le staff, le comité ou les joueurs ?
Ce que j’ai constaté et que l’on voit, je pense, au niveau de beaucoup de clubs au Luxembourg, c’est que d’un point de vue administratif et structurel, il y a beaucoup à faire. La manière dont les clubs sont gérés date d’une époque qui n’est plus celle d’aujourd’hui. L’adaptation n’a pas suivi l’évolution structurelle et administrative du football. À l’époque, on avait une demi-douzaine de joueurs professionnels, aujourd’hui on en a une quarantaine. Nous avons une école de football pleine de succès à Mondercange. On est exigeant vis-à-vis de nos joueurs, il y a de l’argent, mais de l’autre côté, notre gestion se fait encore sur une base de bénévolat, et avec toutes les demandes d’aujourd’hui, on ne peut plus suivre.
Comment sortir de cette habitude culturelle ancrée depuis des décennies ?
C’est compliqué. Il y a déjà un problème général vis-à-vis du bénévolat, et la période covid a assurément laissé des traces dans ce domaine. Beaucoup de gens n’ont plus besoin de sortir comme auparavant, ou ont trouvé d’autres divertissements et occupations. Une excellente étude a été faite par la LUNEX et le ministère des Sports sur les effets du covid dans le contexte du sport luxembourgeois lors de la première phase de l’épidémie. On aurait dû suivre ces résultats qui n’ont même pas été publiés pour répondre aux problèmes se dressant face à nous dans le présent et le futur. C’est très triste que le ministère, originalement moteur de cette initiative, ne soit pas allé au bout. On doit étudier pourquoi, quelles sont les causes, comprendre comment les structures dans le monde du sport sont totalement archaïques et ne tiennent plus compte des exigences d’aujourd’hui. Et, une fois les constats faits, on pourra agir. Il manque de la formation, des gestionnaires, et il va falloir faire des efforts bien plus grands, que cela soit de la part du ministère, du COSL ou des fédérations, pour moderniser le sport au Luxembourg. On voit par exemple d’excellents résultats au tennis de table : cela s’explique aussi par une fédération qui est très bien structurée. Il n’y a pas de miracle. Le côté organisationnel, administratif et gestionnaire est la source des bons résultats. Au sein de la Jeunesse, nos structures sont encore assez archaïques, et il va falloir tout remettre en place, avec une réponse adaptée aux besoins d’aujourd’hui. Ne faudrait-il pas par exemple au moins un professionnel au sein de chaque club pour travailler le financier, le juridique, l’administratif ? Cela me paraît vraiment nécessaire aujourd’hui.
Mettre cela en place est-il faisable ou faut-il une aide extérieure ?
Je peux donner des idées par rapport à mon expérience dans le monde administratif du sport national et international, mais je ne suis pas magicien. Je ne peux pas déplacer des montagnes. J’essaye simplement, avec mon savoir, de contribuer à mettre en place des structures qui permettent de faciliter la tâche et de devenir plus efficaces. On doit avoir des méthodes similaires à celles sociétales. Ce n’est plus possible qu’aujourd’hui les comités se réunissent une fois par semaine, investissent un nombre d’heures incalculable pour s’occuper d’absolument tout ! L’organisation de la buvette, des entrées, des matchs, du transport, de la logistique, etc. Ce n’est plus tenable. Il faut aujourd’hui un président, un secrétaire, un trésorier et ainsi de suite, qui dirigent un pan spécifique d’un club. Et avec un ruissellement derrière, avec un responsable du volet sportif, un autre du marketing, etc. C’est la même chose pour l’aspect football : aujourd’hui, il n’y a pas qu’un entraîneur. Il y a des adjoints, des entraîneurs de gardiens, des directeurs sportifs. On ne peut pas tout faire.
Mais vous parlez ici de semi-tâche professionnelle…
C’était la même chose lorsque j’étais président du COSL. Attention, je n’ai pas inventé ces idées, mais j’ai insisté sur le besoin d’avoir, au-delà d’un président bénévole, des professionnels à certains postes. Il faut au minimum avoir un secrétaire général à plein temps, un directeur administratif, un directeur sportif, etc. Des clubs comme Dudelange ou Hesperange sont dorénavant organisés au niveau administratif pour mener à bien les challenges sportifs qu’ils se donnent. C’est extrêmement important. J’essaye donc de contribuer, avec mes idées, à la mise en place de ces structures. Nous avons au club de réels atouts, comme nos infrastructures. La Jeunesse a un stade mythique qui va être paré de nouveaux gradins, et potentiellement d’une salle VIP. La commune nous soutient d’ailleurs beaucoup, je tiens à le dire. Pour l’entraînement, nous avons ce qu’il faut. Il faut maintenant utiliser cela comme une plateforme pour vendre un produit qui est le foot. Il faut donc donner plus de confort aux spectateurs, un bon football et de belles conditions.
Cela implique des investissements assez conséquents…
On a besoin d’argent de la part d’investisseurs, mais aujourd’hui, il faut pouvoir expliquer ce que ça leur apporte en retour. L’époque où le seul nom de la Jeunesse suffisait pour recevoir une somme est révolue. Il faut donc organiser des événements, faire progresser le streaming, combiner le football avec des célébrations, rassembler tous les parents de nos équipes de jeunes… C’est un chantier qui est vaste, où il faut avancer étape par étape. On peut rendre notre club plus attractif, ainsi que notre football et notre championnat. Si la Jeunesse est un club mythique, le plus titré, il faut savoir le mettre en valeur…
Vous parlez du statut historique de la Jeunesse, de son passé flamboyant… Cette histoire prestigieuse n’a-t-elle pas paradoxalement été un frein au développement, où certains ont pu se dire : « Nous sommes la Jeunesse, ça va aller… » ?
Oui, peut-être. C’est dur à dire. Il y a toujours un risque qu’un grand club perde de sa splendeur. Prenez Kaiserslautern en Allemagne. C’était tout de même une équipe au grand succès et qui a en effet bien chuté au fil des ans. Ce qui est certain, c’est que l’on ne peut pas simplement se reposer sur un glorieux passé. Nous sommes-nous trop appuyés sur cela ? C’est possible. Il faudrait puiser dans les causes et origines, mais cela serait pour moi une perte de temps. Le passé, c’est le passé. Soyons fiers de nos succès d’antan, de nos anciens joueurs qui viennent encore régulièrement au stade, mais cela ne nous apporte rien actuellement. Notre passé glorieux s’imbrique dans bien d’autres éléments, et il faut aujourd’hui regarder vers le futur.
Ces changements sont-ils faisables sur le court terme ?
Non. D’abord, il faut changer les mentalités, et regarder la réalité. Si nous avons une situation financière tendue, il faut commencer par voir où l’on peut réduire nos dépenses sans trop freiner la progression du volet sportif. Il faut trouver le bon équilibre. Si vous construisez une maison, il faut avant tout vous focaliser sur de bonnes fondations. On ne peut pas commencer par les fenêtres, le toit, etc. On doit se concentrer afin de créer une bonne assise, saine, basée sur trois piliers : sportif, administratif et financier. Ensuite, on pourra grandir. Mais personne ne peut dire si cela prendra un, deux, trois ou cinq ans… Ce que l’on sait, c’est que l’on doit freiner les dépenses sans réelle plus-value. La direction précédente, avec tout le respect que j’ai vis-à-vis d’elle, a énormément investi sans avoir nécessairement les structures et moyens pour se le permettre. On a terminé 8e l’an passé avec une masse salariale tout simplement énorme, qui n’a pas apporté un rapport qualité-prix suffisant. Il faut donc compenser les erreurs d’un passé récent en bon père de famille, et avec les idées que l’on a, reconstruire quelque chose et fidéliser notre public.
Dans ce contexte, est-il possible de cibler de grands objectifs sportifs ?
Je ne veux pas dire que c’est compliqué, mais cela n’est pas réaliste. Si vous regardez aujourd’hui dans le foot, il y a de véritables locomotives comme Hesperange et Dudelange, qui ont aussi des budgets bien plus élevés. Leurs moyens n’ont rien à voir avec les nôtres, et ils paraissent dorénavant inaccessibles. Je les félicite pour leurs résultats, mais ce n’est pas possible pour nous d’espérer rivaliser rapidement. L’objectif de cette saison est clair : terminer à un classement honorable et éviter trop d’angoisses dans le dernier tiers du championnat, qui risque d’être très dur. Il y a aujourd’hui deux équipes au-dessus des autres, puis le Racing, Differdange et Niederkorn. Tout le reste crée un gros peloton. Tout le monde peut avoir une saison compliquée. Et, contrairement à d’autres périodes, nous n’avons pas d’équipe complètement larguée. Cela va être un combat à chaque rencontre, on ne peut pas le nier.
Le fait qu’il y ait tant de clubs situés approximativement au même niveau est-il inquiétant pour le championnat ?
Il y a dans tous les cas un souci d’attractivité. Ce que l’on voit, c’est une diminution du nombre de spectateurs. Il faut se poser des questions. Comment et que peut-on faire pour redonner une image au foot national au même niveau que sur le plan international ? La réussite de la sélection est une très bonne chose, et avoir 5 000 personnes contre la Lituanie est magnifique. On verra dans ces matchs des supporters allemands, français, mais qui ne viendront jamais regarder la BGL Ligue… Il y a un malaise qui est évident.
La Fédération n’a-t-elle pas assez soutenu la BGL Ligue selon vous, en se focalisant sur la sélection ?
Disons que le football luxembourgeois a besoin de réformes qui doivent être profitables au niveau domestique. Sur les transferts par exemple, il faut simplifier toutes ces dispositions, comme le fait qu’un joueur doive rester trois ans dans un club… Pourquoi ne pas faire des contrats comme dans la société ? Un footballeur peut rejoindre un club un, trois ou cinq ans et s’il le quitte plus tôt, un arrangement est trouvé entre l’acheteur et le vendeur. Ensuite, les premières licences, joueurs transférés, transférables, etc., il y a un mélange très difficile à comprendre. Le système des premières licences est évidemment important pour sauvegarder une ossature luxembourgeoise, mais il faut réfléchir à quelques changements. Les deux candidats ont parlé de revoir les statuts, et il faudrait une vision sur le football luxembourgeois. Je pense qu’on l’a un peu laissé ceci de côté. Je ne veux pas faire de reproches sur le travail qui a été effectué au sein de la FLF, en particulier avec la crise du covid, mais certaines choses doivent évoluer, peu importe qui sera le dirigeant pour le prochain mandat.
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