Pourriez-vous, pour nos lecteurs, expliquer de manière assez claire que signifie la professionnalisation de la BGL Ligue, ses impacts et conséquences ?
Marc Theisen : Avant tout, il est important de comprendre qu’on ne peut pas définir la BGL Ligue comme une compétition amateur. Depuis une dizaine d’années, on voit une professionnalisation de plus en plus prononcée, qui ne se limite pas qu’au football mais bien à plusieurs sports collectifs. Pour tenir la dragée haute à la concurrence étrangère, plusieurs mesures ont été mises en place. Dudelange, avec tout ce qu’a fait Flavio Becca a été le premier à vraiment pousser vers une modernisation et professionnalisation d’un club. Mais il y a aussi eu l’école de foot à Mondercange sous l’empreinte de Paul Philipp, la professionnalisation des entraineurs pour en arriver aujourd’hui à avoir des joueurs qui sont aujourd’hui en bien des aspects professionnels. Et le dernier maillon dans la chaine devrait être la diffusion en streaming de RTL. Donc si beaucoup de clubs ne sont pas professionnels a 100%, la grande majorité sont semi-professionnels. De toute manière, les clubs n’auraient pas pu avoir de beaux résultats sur la scène européenne si on était resté au stade de pur amateurisme.
Au vu des moyens financiers mis dans le développement d’infrastructures, le travail sur la formation, et le recrutement de plus en plus ambitieux, la suite logique de tout ceci ne devrait il pas être de mettre la priorité sur la professionnalisation ?
Marc Theisen : Il faut faire une distinction entre la gestion des clubs proprement dite et les infrastructures. Les infrastructures ici appartiennent à 100% aux villes et communes qui offrent leurs terrains. Si je parle de cela, c’est aussi pour mettre en avant l’exemple de Dudelange, où Flavio Becca estimait que la commune ne suivait pas assez les désirs d’expansion du club et voulait racheter des infrastructures. Cela montre la volonté de certains clubs de se professionnaliser et la difficulté qui peut en découdre quand les communes ne suivent pas. Si les têtes ne concordent pas, cela peut poser un problème. Après, à savoir si l’évolution des dernières années amorce un véritable statut professionnel : il faut comprendre que c’est une discussion que nous avons depuis longtemps mais qui est rendu compliquée par l’hétérogénéité des différents acteurs du championnat. Certains clubs ont en leurs sein bien plus de professionnels que d’autres, ce qui amènent à des opinions et désirs parfois divergents. Il est compliqué de trouver une réponse si les questions sont différentes. C’est pour cela que, et c’est mon sentiment, il serait vraiment le moment aujourd’hui que les concernés, à savoir les fédérations, les ministères et les clubs se mettent ensemble et regardent s’il n’y aurait pas un réel intérêt à définir un statut professionnel, avec toutes les conséquences positives et négatives que ça implique. La discussion à l’heure actuelle n’existe pas au niveau où elle devrait être et pas assez de manière collective. Je pense réellement, qui plus est avec la situation imposée par le virus du COVID, qu’il est temps que les personnes compétentes se mettent autour d’une table et rédigent un livre blanc. C’est un sujet que l’on doit attaquer rapidement.
Pouvez vous nous dire quelles pourraient être les raisons de la fédération ou le ministère de ne pas aller de l’avant d’un tel projet ?
Marc Theisen : Vous savez, c’est dans la nature de l’homme de rester dans le confort et se dire « voila, on a déjà achevé pas mal » – ce qui est vrai – et s’y complaire un certain temps. Aussi, il faut bien rappeler que la fédération s’occupe de je ne sais combien de clubs, dont seulement une minorité représente la BGL Ligue. Il y a encore la Promotion d’Honneur qui joue à un niveau respectable, mais ensuite cela va dans une toute autre direction. Donc il y a deux mondes totalement différents. Il faut analyser tous les intérêts, et pour moi, c’est une des raisons pour laquelle la fédération – qui défend les intérêts de tous – ne veut ou ne peut pas attaquer de manière frontale cette problématique.
Quels sont les risques inhérents à une professionnalisation de la BGL Ligue sur un point global ?
Marc Theisen : Le risque est dans la restructuration des clubs qui doivent suivre un cahier des charges bien plus sévère. Même si la plupart des clubs aujourd’hui sont professionnalisés au niveau des staffs, nous en sommes très très loin au niveau des comités de direction ! S’il y a des présidents qui mettent de aujourd’hui ils sont montés à une moyenne de 800. Pour encore une fois reprendre l’exemple de Flavio Becca, qui a été énormément critiqué – plutôt à tort selon moi -, son investissement a apporté énormément au championnat et aux autres équipes qui n’avaient pas le choix que de s’investir eux aussi pour suivre la cadence et ne pas être laissé derrière. Sans lui, ça c’est sûr et certain, le niveau du championnat ne serait pas celui qu’il est aujourd’hui. Donc basé sur cela, la professionnalisation parait être un beau tremplin, y compris pour les clubs les moins armés.
Va-t-on vers un plafond inévitable de progression sportive en cas d’absence de professionnalisation ?
Marc Theisen : Si vous regardez l’immobilier, on dit toujours qu’il y a une limite et pourtant on passe notre temps à la dépasser. Donc où est-ce que se trouve la limite ? Mais raisonnablement, je crois que sans professionnalisation saine, les équipes et les structures auront du mal à rivaliser avec les concurrents européens. Il faudrait discuter de cela en analysant tout ce qui se passe autour de nous et essayer de créer une Ligue saine et éviter les catastrophes financières dus à des paiements trop élevés.
La crise liée au COVID-19 a tout de même démontré la fragilité du système professionnel européen de football. Passer le cap pour le Luxembourg pourrait-il les exposer plus dangereusement à une éventuelle crise extrêmement complexe à gérer ?
Marc Theisen : Il ne faut pas oublier que la crise n’est pas exclusive pour le football. Elle a touché tous les pans de notre société. Par la force des choses, si l’économie générale souffre, le sport va être touché lui aussi. Il y a presque un ouragan qui souffle en ce moment sur les sphères du sport depuis quasiment un an, et forcément, il y a des dégâts. Des clubs tombent, ce qui montrent en effet que pas mal ont vécu au dessus de leurs moyens et n’ont pas été particulièrement bien gérés. Le virus va fortement influencer la vie des clubs pendant un certain temps. On le voit déjà sur le dernier mercato au Luxembourg avec très peu de changements. Combien de temps cela durera ? Dur à dire. Mais il faut savoir tirer des enseignements de chaque crise, mettre à profit une situation délicate pour éviter de revivre la même chose. En regardant tout ce qui s’est passé, il serait possible d’en tirer les leçons et mettre en place un système qui éviterait d’être impacté.
Personnellement, pensez-vous que la professionnalisation pourrait venir dans un futur proche, ou estimez-vous qu’il n’y a que très peu de chances que cela arrive ?
Marc Theisen : Dans la vie il ne faut jamais dire jamais. Je crois que c’est une évolution. Mais je ne pense pas que ça soit pour demain. Déjà, il faut être honnête et admettre qu’au pays, nous n’avons pas les capacités d’avoir une ligue professionnelle avec 16, 14 ou 12 clubs. C’est déjà la première chose. Est-on prêt à sacrifier cela ? Il faut faire des analyses pour connaitre la bonne réduction du nombre, je ne sais pas si cela doit être 6, 8 ou 10, mais nous ne pouvons pas avoir autant de clubs et offrir un championnat qualitatif. Je pense que c’est la première étape, et cela devrait arriver. Quand ? Ça, je ne sais pas.
Au-delà de la fédération, ressentez-vous aussi un désir de rester dans ce système de la part des staffs de clubs ? N’est-ce pas à eux de mettre la pression pour faire réellement bouger les choses ?
Marc Theisen : Il est certain que tous les clubs ne tirent pas dans la même direction. Les aspirations manquent chez certains. On n’est malheureusement pas encore au point où la majorité des clubs tendent à aller vers la professionnalisation. Mais il faudrait au moins lancer le débat. Le moment est venu d’en discuter. Je pense que l’on a les structures et les moyens pour le faire. Ne manque que l’approbation de beaucoup de clubs qui penchent toujours plus vers le « non » que le « oui ». Mais il faudrait au moins se mettre ensemble. Il faut que la Ligue devienne plus forte, qu’elle devienne une vraie voix. Il faut devenir un contre-poids de la FLF, non pas dans un sens d’opposition, mais pour regarder, ensemble, quels sont les chemins et les avancées à emprunter.
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