Médaillée à Nîmes en janvier, élue meilleure sportive eschoise de l’année en mars, la pétillante Mariya nous reçoit au Stand de tir d’Esch-sur-Alzette, déjà en tenue. Elle accepte de répondre à nos questions tout en s’entraînant : quand on a la passion du tir, on y consacre chaque instant.
Comment avez-vous découvert le tir à l’arc ?
J’avais environ douze ans, grâce à ma famille : mon père était un archer devenu entraîneur, il m’a plongée dans le bain toute petite. Je n’ai pas vraiment choisi l’arc compound ; il y a une quinzaine d’années en Ukraine, c’était quelque chose de nouveau, une manière de tirer à l’arc que mon père a trouvée très intéressante et il a décidé de m’initier. Comme j’ai été fascinée, c’est devenu ma discipline.
Vous avez commencé en 2009 et un an après vous débutiez les compétitions internationales. Vous vous êtes aussitôt sentie à l’aise ?
Oh non ! Au début, c’était extrêmement frustrant et difficile. Le tir à l’arc demande une haute coordination des mouvements et une grande précision. Pour des jeunes filles c’est encore plus dur, car cela exige de la force et de la taille ! Mes deux premières années d’entraînement et de participation à des compétitions ont été terriblement éprouvantes, je devenais folle de ne pas voir les résultats immédiats à mon implication. Mais au tir à l’arc, tout est une question d’équilibre entre puissance et précision, cela prend des années avant de trouver la balance, d’avoir les bonnes sensations et de les conserver. Lorsque j’ai commencé, j’étais donc plus dans la frustration que dans les paillettes et les papillons ! (Rires) Le plus difficile à l’entraînement, c’est probablement de se coordonner dans l’enchaînement des séquences de mouvements. Et en compétition, c’est le mental : rester concentrée, éviter les pensées parasites, essayer de ne pas trop réfléchir. Et cela s’apprend avec le temps. Plus tu accumules de l’expérience, plus tu gères ton niveau de stress et tu restes stable dans ton esprit quels que soient les hauts et les bas.
L’arc compound (à poulies) n’est pas discipline olympique pour Paris ni pour 2028. Vous avez commencé à tirer avec un arc recurve (classique), est-ce pour viser les JO de Los Angeles ?
J’ai toujours tiré un peu avec un arc recurve sur mon temps libre, j’aime bien la sensation. Le fait que l’arc à poulies soit définitivement sorti des compétitions olympiques est forcément un coup dur pour mes aspirations personnelles et mes ambitions pour ma carrière professionnelle. Mais je ne suis pas certaine que je sois prête à mettre de côté l’arc compound qui reste pour moi le plus bel outil du monde. Filippo, notre coach national très expérimenté et très compétent, me pousse de manière de plus en plus pressante à revoir ma position, peut-être en alternant les deux. Je pense donc m’y mettre de plus en plus régulièrement, parce que je serai probablement trop vieille en 2032 pour voir l’arc compound revenir hypothétiquement en discipline olympique ! (Rires)
Quelle est la plus grosse différence entre l’arc recurve et l’arc compound au niveau du tir ?
L’arc recurve peut être défini comme plus dynamique avec une sensation très naturelle. Dans l’expansion mais aussi la façon dont on prend son arc en main, avec un poids réparti de manière égale de haut en bas et de la corde à la pointe quand on le bande. En revanche, comme il est hérité de l’arc traditionnel, la vitesse est moins grande. Avec l’arc compound, les poulies permettent d’être plus stable et d’améliorer la précision, tout en augmentant la vitesse de la flèche avec le système de rotation. C’est plus technique et plus dangereux aussi.
« Nîmes a une place spéciale dans mon coeur. »
Le Nîmes Archery Tournament vous réussit : après l’or en junior en 2014, 10 ans plus tard vous obtenez le bronze en senior. Après 2023, avec le bronze en mixte aux championnats du monde à Berlin et l’or en Field mixte aux Championnats européens en Italie, vous débutez l’année de la plus belle des manières !
Oui, depuis l’été 2023, les choses étaient plus calmes… Mais avec Nîmes qui reste un lieu spécial dans mon coeur, parce que c’est là où tout a commencé, c’est vrai que ça donne le ton à ma saison. À la base en 2014, avant les Championnats du monde, je tirais avec les deux types d’arc, et je m’étais entraîné six mois avant, en coumpound mais aussi en recurve pour l’évènement local. Comme j’ai gagné les Championnats du monde en compound, j’ai décidé de poursuivre comme ça ! Ça a été le déclic pour moi.
Lors de la finale pour le bronze contre Maris Tetsman, quels conseils Pit Klein vous donne-t-il entre les tours ?
C’est surtout un soutien moral. Des phrases du type « continue comme ça », « fais attention à ton temps », « concentre-toi sur tes étapes » plus que des conseils techniques, parce que tu sais déjà ce que tu dois faire. Donc il est là pour m’aider à garder le focus, rester dans la séance.
Parlez-nous du Vegas shoot, que s’est-il passé ?
C’était trois jours de… désastre ! Surtout parce que je sentais que j’étais vraiment en forme avant d’aborder ce tournoi, mais comme ce n’est pas une compétition comptant pour le World Archery, on pouvait choisir de tirer selon les règles américaines ou européennes, en optant pour différents diamètres de flèches. Et le premier jour, j’ai décidé de tester de plus gros diamètres, et ça a été une catastrophe, l’arc ne répondait pas bien aux flèches, j’ai tiré quand même plusieurs fois dans le 9 et je restais dans le top 10. Le deuxième jour, j’ai changé de flèches, j’étais meilleure mais peut-être à cause de la pression, de ce public qu’on n’a pas l’habitude d’avoir, de tirer aux côtés de tous ces archers, je n’arrivais pas à être à l’aise. Et le troisième jour, je crois que j’ai perdu la concentration. À partir de ce moment, tu peux faire tout ce que tu veux, tu n’arrives à rien. J’étais déçue, surtout parce que c’était le plus gros tournoi indoor de la saison.
« Certains s’aident en canalisant leur énergie violente, d’autres comme moi font le vide en eux et se relaxent au maximum en se concentrant sur le moment. »
Actuellement vous êtes 8e au classement mondial, quels sont vos objectifs ?
Déjà rester dans le top 8 ! (Rires) Maintenir ma position reste mon but, et pour la saison à venir, je voudrais faire de bons débuts en manches de coupe du monde comme l’année passée. C’est l’essentiel de ma préparation, 8 heures par jour du lundi au vendredi lors des stages d’entraînement! Sinon, en temps normal, je consacre environ 3 heures chaque soir après le travail pour viser les Championnats européens en Allemagne à la mi-saison.
Le tir à l’arc est un sport spectaculaire. À votre avis pourquoi est-il si peu médiatisé alors que les fléchettes sont en pleine expansion dans le paysage télévisuel ?
Je pense déjà que ce n’est pas le sport le plus intéressant à regarder pour les spectateurs. Les archers montrent une poker face! On fait tout pour ne pas ressentir la nervosité, la détermination, et visuellement c’est donc très neutre lorsqu’on veut aller chercher une médaille. Et puis, le tir à l’arc n’autorise pas les sponsors visibles en coupes du monde, alors que c’est le seul moment où on pourrait avoir la tentation de se montrer. C’est une discipline olympique par excellence, qui promeut donc le sport amateur et non professionnel, et je crois que c’est ce qui explique en partie la faible couverture médiatique. Donc à notre niveau on essaie de contribuer à sa visibilité, en incitant nos familles à nous encourager et nous soutenir sur les réseaux sociaux. Mais on est loin de la popularité atteinte en Suisse par exemple. (Rires)
Quelles sont les qualités pour un bon archer ?
Je crois que c’est d’être régulier. S’entraîner de manière répétitive, cinq fois par semaine, sur la précision, sur le mouvement, car si on veut toucher le même point de la cible depuis la même distance, on doit répéter exactement le même geste. Et puis la capacité à se montrer résistant à la pression, parce que la concentration est essentielle pour avoir un mouvement précis. Certains s’aident en canalisant leur énergie violente, d’autres comme moi font le vide en eux et se relaxent au maximum en se concentrant sur le moment.
« Le tir à l’arc, c’est un mode de vie. »
Un arc comme le vôtre est assez cher, est-ce que c’est difficile de trouver des sponsors?
Pour un arc compound comme pour un arc classique, les prix sont à peu près les mêmes : exorbitants ! (Rires) Après, dans un sport comme le tir à l’arc, et particulièrement pour les femmes, c’est un sujet très compliqué. Parfois, des équipementiers choisissent une athlète féminine sous forme de soutien logistique, et au Luxembourg on a la chance d’avoir des sponsors, même si je dois attendre trois mois qu’on me rembourse lorsque je dois impérativement acheter quelque chose ! Mais la plupart du temps, déjà qu’il y a davantage d’hommes dans ce sport, ils se concentrent sur ceux qui ont la visibilité. Si vous regardez les livestreams des compétitions, les résultats des femmes sont toujours placés en-dessous de ceux des hommes, et ça les experts en marketing et les sociétés l’ont bien compris : il vaut mieux investir sur ceux qu’on voit en premier.
Votre père est entraîneur, votre belle-mère est membre du conseil d’administration de la fédération, votre mari est lui-même un archer célèbre au Grand-Duché, le tir à l’arc est une affaire de famille ?
Et mon frère aussi était archer ! (Rires) Je dirais plutôt que c’est un mode de vie. Toute mon existence tourne autour du tir à l’arc, je suis copropriétaire d’un grand point de vente de matériel pour archers ! J’ai aussi beaucoup d’amis qui sont en-dehors de ce cercle ou même du sport en général, mais il faut avouer que le tir à l’arc est un sport qui entretient un vrai lien de possession au niveau psychologique, car c’est une activité de concentration maximale fondée sur la répétition. Il faut être prêt à mettre dans la balance tout son temps et sa motivation, ne pas rechigner à travailler dur et de manière extrêmement répétitive. Le sport doit rester une safe place, se pratiquer en toute sécurité. Il faut donc s’y consacrer de manière volontaire et être conscient de ses priorités. Et la mienne, c’est le tir à l’arc !
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