Marta Estévez Garcia, le talent fidèle

10 minutes

À seulement vingt-quatre ans, Marta Estévez Garcia fait presque figure de doyenne en Ligue 1 Dames. C’est que la joueuse a déjà accumulé un nombre conséquent de saisons, dans son poste de meneur de jeu, où, année après année, elle distille buts et passes décisives. Le tout au sein de deux équipes : l’Entente WMG et la sélection nationale. Une situation qui ne semble pas prêt de changer, au vu de l’attachement évident pour ses deux « maisons ».

Il y a plus de quinze ans, une jeune Luxembourgeoise qui maîtrise parfaitement l’espagnol est à l’école, comme tout enfant de son âge. Alors que la récréation a sonné, la petite fille voit une amie à elle jouer au football dans la cour. Elle décide alors de la rejoindre, et effectue là ses tout premiers contrôles et frappes avec un ballon rond. Le coup de foudre est immédiat. Quinze ans plus tard, la même petite fille, dorénavant adulte, continue de manier le cuir. Sauf qu’elle le fait aujourd’hui au plus haut niveau, que cela soit sur les pelouses de Ligue 1 Dames, ou face à la monstrueuse sélection Anglaise, lors d’un match dans un Nouveau Stade flambant neuf. Et ce plaisir du jeu, du football, lui a aussi permis d’être récompensé par ses pairs comme deuxième meilleure joueuse du championnat luxembourgeois. Une trajectoire impressionnante pour celle qui revêtit le numéro 6 en sélection, et aujourd’hui capitaine de son club.

Un coup de foudre immédiat

Certaines choses ne s’expliquent pas nécessairement. Alors que ses parents détestent le foot, que sa soeur n’a jamais pratiqué, et que ses deux frères ont arrêté au bout de quelques semaines, la petite dernière de la famille Estevez Garcia, elle, est amoureuse de football. Il n’aura fallu qu’une séance dans une cour de récréation pour que tout se dévoile chez elle. Ni une ni deux, la jeune Marta demande alors à sa mère de l’inscrire dans un club. Quelques recherches plus tard, et la voici qui gambade sur le terrain d’Hostert, le club de sa commune. Pour autant, la jeune enfant s’attelle à bien des sports. Tennis, ping-pong… Et avec un certain talent. Ainsi, selon les dires de sa mère, la fédération de ping-pong aurait porté un regard très attentionné sur elle, lui conseillant de poursuivre une carrière potentiellement professionnelle. Mais Estevez Garcia a fait son choix : ce sera le football : « Je voulais toujours rester au foot. Le fait que cela soit un sport collectif m’a vraiment plu. »

À l’époque, son équipe s’appelle l’Entente Wormeldange/Munsbach/Grevenmacher/Hostert. Après plusieurs années, Hostert quitte l’accord. Marta, elle, reste. Jusqu’à ses quatorze ans, elle joue avec les garçons, avec qui tout se passe toujours bien. Parfois, un peu moins avec des adversaires médisants, mais qui regrettent bien vite leurs moqueries la rencontre achevée. Passée cette étape, elle rejoint officiellement une équipe 100% féminine. Un groupe d’une vingtaine de joueuses, qui passait son temps à enchaîner entre la seconde et première division, avant de finir par se stabiliser au plus haut niveau. La numéro 10 est de toutes ces aventures. Et, avec les années passantes, la jeune joueuse passe d’espoir à garantie, avant de prendre, il y a deux ans, le brassard de capitaine. Avec une vingtaine de buts en moyenne par saison, l’actuelle meilleure buteuse de son club a pris du galon, et fait maintenant figure de référence au Luxembourg, en témoigne sa seconde place au Dribble d’Or.

Alors que l’entretien est jusqu’alors particulièrement fluide, une question va plonger la joueuse dans un quasi mutisme. Ou plutôt deux. La première ? « Qu’as-tu de plus que les autres ? » La seconde ? « Pourquoi mérites-tu le brassard de capitaine à l’Entente WMG ? ». C’est que Marta Estevez Garcia n’aime pas parler d’elle. Et encore moins dresser ses propres lauriers. À demi mots, elle assène, finalement, que c’est « un mélange de tout ». On n’en tirera pas beaucoup, tant la numéro 10 n’aime pas parler de ses facilités en Ligue 1 Dames.

Que pense t-elle, justement, de ce championnat qu’elle connait si bien ? « Il y a un très grand écart en termes de niveau dans le championnat. Tu as cinq équipes qui jouent pour le top 5, et un fossé avec le reste. C’est très dommage, et tu perds beaucoup en compétitivité. Tu vas jouer un match très intensif, et la semaine d’après, tu gagnes 10-0… Cela ne te sert à rien. Tu n’apprends pas grand chose. Et pour la sélection, c’est difficile. L’intensité que tu as dans les matchs internationaux n’est pas la même que lors des rencontres de championnat, donc on n’est pas préparé à ça… »

Dans ces cinq équipes au niveau élevé se trouve évidemment le Racing, maître incontesté de Ligue 1 Dames. Alors qu’Estevez Garcia clame son objectif de terminer dans le top 3 cette saison, la question coule de source : si l’objectif est d’aller le plus haut possible, pourquoi ne pas rejoindre alors ce qui se fait de mieux dans le championnat Luxembourgeois ? « Je tiens trop à mon équipe, et je veux atteindre quelque chose avec elle. C’est facile d’aller au Racing et de gagner quelque chose. C’est plus satisfaisant de gagner avec ton équipe de coeur. Je ne me vois pas partir ailleurs, et surtout pas au Racing. Au Luxembourg, je suis la joueuse d’un club, et je ne vois pas comment ça pourrait changer. L’étranger ? Je n’y ai jamais vraiment pensé. Mes parents m’avaient dit de terminer l’école avant tout. »

Et elle a écouté ses parents. Alors qu’elle termine ses études en langues à Trêve cette saison, la meneuse de jeu semble parfaitement épanouie au sein de son club Entente WMG, et n’envisage pas un futur ailleurs. Le Luxembourg lui plait, tout autant que son club dans lequel elle brille avec une franche régularité. Qu’apporte t-elle d’ailleurs, à son effectif ? Quel est son style ? « J’aime faire le jeu, organiser le jeu, pas trop dribbler, même si je peux. Je préfère faire les bonnes passes. Je suis un numéro dix, qui aime marquer et assister. » Et dans l’attitude ? Alors qu’on lui demande si elle est capable de crier, son énorme rire, suivi de la réponse par l’affirmative, nous confirme bien qu’un tempérament de feu se cache derrière ce calme apparent. Et sa nouvelle réponse franchement positive quand on lui demande si elle est mauvaise perdante nous l’assure : Marta Estevez Garcia veut gagner, encore, toujours.

Une sensation encore plus exacerbée lorsqu’un succès a lieu avec la sélection nationale. À l’image d’une victoire historique contre la Macédoine du Nord (3-2). Un bonheur énorme pour celle qui revêt le numéro 6 lorsqu’elle porte les couleurs de son pays. Une fédération qu’elle a appris à connaître dès ses 14 ans, passant par toutes les tranches d’âges avec brio.

La sélection, fierté ultime

Après plusieurs années au sein des équipes de jeunes de la FLF, la joueuse de l’entente WMG franchit enfin le cap lors de rencontres de pré-qualifications, en déplacement, face aux Iles Féroe. Un souvenir logiquement inoubliable pour Marta : « Ce sont des expériences exceptionnelles. Tu es dans un autre monde. Tu découvres la vie d’un footballeur professionnel. Je me rappelle avoir tremblé au début, pendant l’hymne ». Le début d’une belle aventure avec les Rout Léiwinnen, qui emmènera la joueuse à voyager à travers le monde. De splendides périples, créateurs de souvenirs inoubliables, mais peut-être aucun si fort que ceux qu’elle a vécu il y a maintenant quelques mois, lors de la réception de l’Angleterre au Nouveau Stade. « Le Nouveau Stade, c’est… impressionnant. On n’avait jamais joué dans le Josy Barthel, alors… La première fois, face à l’Angleterre, toutes les joueuses filmaient, on avait du mal à y croire. Le M-Block était là, c’était une vraie fierté, le top du top. »

Un moment unique donc, mais qui, raconté par Estevez Garcia, nous rappelle bien à quel point la compétitivité est en elle : « Avant de lancer le match, tu te dis « Oh putain je vais jouer contre Bright », etc… mais quand la rencontre est lancée, tu oublies. En face de toi, c’est une joueuse, une adversaire, et ça s’arrête là. »

Une manière de voir les choses nécessaires, à l’époque où la sélection nationale féminine commence à affronter des adversaires d’un calibre de plus en plus élevé. Une élévation de niveau que la joueuse impute tant à l’excellent travail effectué par Dan Santos et son staff qu’un encadrement de plus en plus poussé, et qui permet de créer au sein du groupe un véritable esprit d’équipe.

De formidables expériences, donc, qui contrastent forcément avec les pelouses de Ligue 1 Dames que la numéro 6 en sélection dévale tous les week-ends depuis tant d’années. Une cinquantaine de supporters tout au plus, si ce n’est pour la réception du Racing ou les matchs de Coupe : une bien autre ambiance.

Le désir de reconnaissance collective

Quant on demande à l’étudiante en langues ce qu’elle pense de la visibilité du football Luxembourgeois, la réponse est cette-fois ci sans équivoque. « Il n’y a pas grand chose ». Un constat sec, vite justifié par la seule présence de FuPa, et de RTL et le Wort avec parcimonie pour couvrir la discipline. Et la milieu offensif d’enchaîner : « Les quotidiens devraient venir voir les matchs, et ne pas se concentrer exclusivement sur la sélection. C’est une très bonne chose de les voir avec l’équipe nationale, mais le championnat compte aussi. En plus, la grande majorité des joueuses qui sont en équipe nationale jouent en Ligue 1 Dames ! Cela ferait sens… Mais la connaissance du championnat est trop faible. Parfois, les gens voient le résultat, les buteurs et militent pour que ces derniers se retrouvent avec la sélection… Sauf que ce sont parfois des joueuses étrangères. Donc bon.. »

À ce constat sur la situation peu glorieuse de visibilité du football luxembourgeois, Marta Estevez Garcia conçoit aussi que le souci ne vient pas que des médias. Si le fait de devoir jouer qu’avec un seul arbitre lors d’une rencontre (ndlr : il n’y a pas d’arbitres assistants en Ligue 1 Dames) la désole, cette situation ubuesque est aussi selon elle la faute de certains clubs : « L’an dernier, il y a eu un débat quant à l’idée de mettre trois arbitres par match. Mais deux équipes n’ont pas voulu… Il fallait les payer et cela posait problème. Après ça, on ne peut pas se plaindre quand un hors-jeu n’est pas sifflé. On continue donc d’avoir un seul arbitre par match, sauf en Coupe, à partir des demi finales… »

C’est donc en Coupe, et seulement à partir des demi-finales que Marta Estevez Garcia pourra profiter de conditions dignes de ce sport. Une « chance », puisque la joueuse ne s’en cache pas : elle fait de cette compétition un objectif. Atteindre le dernier carré pourrait garantir une plus grande visibilité, avec un public bien plus présent, et une ambiance des grands jours. Une bonne chose pour le football féminin, moins pour Marta, qui s’explique : « Je n’aime pas qu’on vienne me voir ! (Rires) Je dis même à mes parents de ne pas venir ». Talent fidèle, et talent discret.

Tendai Michot

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