Depuis sa naissance, le cœur de Mica Pinto balance. Entre son Luxembourg natal et le Portugal de ses parents, de Diekirch, son premier club, à Lisbonne, où il a été formé dans le club mythique du Sporting Portugal. Aujourd’hui indéboulonnable au Sparta Rotterdam, aux Pays-Bas, et en sélection du Luxembourg, le latéral gauche tire, à l’aube de ses 30 ans, les bénéfices de son parcours.
Tu es né et à grandi à Diekirch. Quels sont tes premiers souvenirs de foot ?
C’était de jouer pour le plaisir (rires) ! J’ai joué dans le club de ma ville jusqu’à l’âge de 11 ans. Je jouais aussi avec la sélection U13 du Luxembourg. On faisait des matchs contre des clubs pros les mercredis après-midis : Bayer Leverkusen, Dortmund, Standard de Liège… On avait affronté le FC Metz et j’avais marqué deux buts. Ils m’ont appelé et je me suis entraîné avec eux pendant trois ou quatre mois, sans participer aux matchs.
Tu rejoins ensuite le centre de formation du Sporting Portugal. Comment tu t’es fait recruter ?
Ils m’ont repéré quand je jouais en sélection. Ils m’ont demandé de venir m’entraîner pendant une semaine. J’y suis allé seul et à la fin, ils ont décidé de me garder.
Vivre à Lisbonne, c’était un rêve pour l’adolescent luxembourgeois d’origine portugaise que tu étais ?
Le Sporting était mon club de cœur alors quand l’opportunité s’est présentée, je n’ai pas hésite. Mes parents sont portugais et ils étaient flexibles, compréhensifs, donc ils m’ont laissé partir. J’ai un enfant et si un jour il me dit qu’il veut partir à l’âge de 12 ans, je le laisserai. C’était difficile, j’étais trop jeune et j’ai souffert d’être loin de ma famille pendant les deux premières années, mais c’était la meilleure décision de ma vie parce que le Sporting forme de très bons joueurs. Si je devais refaire ce choix, je le referai, parce que le club m’a aidé à grandir, en tant que joueur et en tant qu’homme. À 16 ans, je me sentais comme si j’en avais déjà 25 (rires).
Tu étais accepté et pleinement intégré par les Portugais locaux ?
Oui, les joueurs, les entraîneurs, ça se passait bien avec tout le monde. La culture était un peu différente de ce que je connaissais. Quand tu arrives dans un grand club, tu as besoin de temps pour t’intégrer, mais j’étais seul, donc c’était difficile au début.
Sur le terrain, tu as toujours joué au poste de latéral gauche ?
Je jouais milieu défensif jusqu’en U18. Après, je suis passé milieu gauche. En U19, lors d’un match de phase finale de championnat contre Benfica, les deux arrières gauches étaient blessés donc j’ai du dépanner et j’ai marqué. Ensuite, j’ai participé à la Coupe du Monde U20 en 2013 avec le Portugal et à mon retour, j’ai signé mon premier contrat professionnel de 6 ans. C’était une bonne période pour moi et ce changement de poste m’a beaucoup aidé dans ma carrière.
Quel est le joueur qui t’a le plus marqué au Sporting ?
J’ai joué avec de très bons joueurs, comme Nani par exemple, mais celui qui m’a marqué, c’est Matías Fernández, le milieu de terrain chilien. Techniquement, je n’ai jamais joué avec un joueur aussi fort. À l’entrainement, c’était un truc de fou, personne ne pouvait lui prendre le ballon.
Tu n’as jamais atteint l’équipe première du Sporting. Qu’est-ce qu’il t’a manqué ?
J’étais dans une très bonne année à 19 ans, avec notamment la Ligue des Champions Next Gen (U19), où on a atteint la finale. J’étais jeune et malheureusement, les entraîneurs de l’époque en équipe première, Paulo Bento et Marco Silva, ne donnaient pas forcément assez de temps. Des fois, tu as besoin d’un peu de chance. J’avais près de 100 matchs disputés en deuxième division avec l’équipe réserve, j’avais besoin de continuer à grandir en tant que joueur, donc je suis parti en prêt. Je n’ai pas de regret, c’était mon processus et je joue désormais dans un bon championnat, donc je suis heureux avec ma carrière.
Tu as été prêté en Espagne, à Huelva, en troisième division. C’était comment, cette première expérience à l’étranger ?
J’ai adoré ce pays. Ma femme est argentine, donc c’était parfait pour elle pour la langue. Le foot est magnifique là-bas : l’intensité, la qualité technique, les personnes. J’y suis resté seulement six mois et sans salaire, car le club avait trop de problèmes financiers, mais on était très heureux. C’était l’une des périodes les plus heureuses de ma carrière et j’aimerais retourner jouer en Espagne.
Tu as réussi à t’imposer au Portugal, mais en deuxième division. Pourquoi aucun club de l’élite n’a tenté de te faire signer ?
Belenenses m’a recruté au Sporting. Le club était en première division mais j’étais blessé au genou. Je n’ai pas joué pendant sept mois, c’était très difficile. J’avais besoin de temps pour récupérer et à mon retour en fin de saison je suis allé en prêt pour reprendre du rythme, à l’União Madeira, en deuxième division. Au bout de dix matchs, le Fortuna Sittard, aux Pays-Bas, m’a repéré.
L’adaptation à ce nouveau pays a-t-elle été simple ?
Oui, mais il faisait trop froid (rires). J’ai souffert les premiers mois mais être près de ma famille au Luxembourg était plus fort que tout, alors quand j’ai eu cette possibilité, je n’ai pas hésité. J’étais très heureux de pouvoir rentrer au Luxembourg régulièrement.
Tu joues désormais dans un club un peu plus huppé, le Sparta Rotterdam, depuis 2020. Tu avais d’autres opportunités ?
J’avais des contacts avec le champion d’israël, le Maccabi Haifa. L’entraîneur, Luis Boa Morte (ex-international portugais passé par le Sporting et Arsenal), me voulait, mais j’ai décidé de rester aux Pays-Bas. Je me sentais bien et c’est un très bon championnat avec des stades pleins, même quand tu vas chez le dernier. Rotterdam est une très belle ville, donc pour nous, c’était top. Je voulais aussi rester près de ma famille car je suis parti très jeune de la maison.
En quoi le championnat est-il adapté à tes qualités ?
Ici, les équipes pratiquent un beau football. Tout le monde essaie de repartir de derrière, j’aime beaucoup. L’adaptation était rapide, ils aiment les joueurs avec une bonne technique, donc pour moi c’était facile.
À bientôt 30 ans, tu penses que tu peux encore aller chercher plus haut ?
Aujourd’hui, j’ai pas mal d’expérience et je joue un très bon football. On réalise la meilleure saison du club depuis cinquante ans, je joue tous les matchs et je suis en fin de contrat, donc pour moi c’est la situation parfaite. Je suis prêt à chercher quelque chose de différent, un autre championnat, un autre pays, du soleil car il fait trop froid ici (rires). J’ai toujours eu ce truc de vouloir retourner en Espagne avec ce football très technique, mais je ne regarde pas que là-bas non plus. J’ai besoin d’une nouvelle motivation et d’une nouvelle expérience après plus de 100 matchs disputés en Eredivisie.
Tu as participé aux 25 matchs de championnat cette saison. Quel est ton secret ?
Je suis très professionnel (rires). Quand tu es plus vieux, tu manges bien, tu dors bien, tu fais attention à ton corps. Quand je suis sorti blessé mi-février, j’ai rejoué le match suivant avec de grosses douleurs à la cuisse contre l’Ajax mais je suis comme ça, je veux jouer tous les matchs. Je veux être prêt physiquement pour la sélection car c’est très important pour moi. Je veux toujours plus, je ne suis jamais satisfait et toujours motivé.
Tu as représenté le Portugal des U17 jusqu’aux 20. Qu’est-ce que tu as ressenti au moment de porter ce maillot ?
Pour un petit né au Luxembourg, c’était quelque chose de grand, un rêve. Après la Coupe du Monde U20 en 2013, je discutais déjà avec Luc Holtz. Je me sens autant Luxembourgeois que Portugais. Une règle de la FIFA m’empêchait de faire la transition à ce moment pendant plusieurs années, mais cette règle a changé en 2018 et je suis arrivé. J’étais très heureux de pouvoir représenter le Luxembourg, c’est un immense plaisir. Je suis né ici, j’y ai ma famille et mes amis.
Tu as marqué le premier but dans le nouveau stade de Luxembourg. C’était un beau souvenir ?
Ça va durer 100 ans et je suis le premier (rires). Je ne marque pas trop, donc être le premier à marquer dans le nouveau stade est très spécial. C’était comme un rêve, j’étais très heureux car ma famille était présente et vivre ce moment restera dans ma mémoire. J’ai le maillot de ce match accroché à la maison.
Tu sens que tu progresses davantage avec ces matchs internationaux ?
Je me suis vite adapté à la sélection. Laurent Jans m’a beaucoup parlé et m’a beaucoup aidé. Les entraîneurs sont très flexibles, et c’est le groupe le plus facile pour s’adapter que j’ai connu. Je me suis tout de suite senti à la maison, on est comme une famille et chaque rassemblement est comme un boost d’énergie.
Comment vis-tu cette pluralité culturelle entre le Luxembourg et le Portugal ?
La culture du Luxembourg est proche de celle de l’Allemagne, les gens sont professionnels. Au Portugal, ils sont plus tranquilles au niveau du foot. On fait moins de musculation qu’au Luxembourg ou au Pays-Bas par exemple. Les deux cultures m’aident mentalement et physiquement.
Mica Pinto l’homme est-il plus portugais ou luxembourgeois dans la vie de tous les jours ?
Les deux. Après un match, j’aime boire un bon verre de vin et quand la semaine recommence, je suis professionnel. Je mange beaucoup de nourriture argentine avec ma femme. D’ailleurs, mon fils, lui, peut jouer pour cinq sélections (rires).
Chez les jeunes, Tu as côtoyé Bernardo Silva, João Cancelo, João Mario, André Gomes… Quand tu vois leur carrière, tu penses que tu aurais pu atteindre ce niveau ?
Je pense que oui, mais quand je vois Cancelo et Bernardo silva, dans la transition entre les U19 et les pros, leurs entraîneurs leur ont laissé du temps pour se développer. Ils ont eu cette petite chance que je n’ai pas eue, mais chaque personne a son parcours. C’était un plaisir de jouer et d’apprendre à leur côté. Tu voyais déjà à l’époque que tous ces joueurs étaient différents et avaient quelque chose en plus. Je ne regrette rien et je suis heureux avec ma carrière. On a grandi ensemble, on a passé plus de dix ans ensemble au centre du Sporting avec certains comme João Mario. On se voit tous les ans au Portugal. En décembre, on a passé une semaine ensemble.
L’Euro 2024 avec le Luxembourg, c’est le plus grand rêve de ta carrière ?
À mon âge, oui. On a accompli des choses peu habituelles pour notre sélection ces deux dernières années. Je ne suis pas surpris, on a de très bons joueurs, on est une famille et on est très fort. Cette phase de qualification sera très difficile, il y a de très bonnes sélections, mais on veut faire quelque chose d’important. Le groupe en est capable, on est en train de faire de grandes choses et on y croit. J’ai côtoyé beaucoup d’entraîneurs et Luc Holtz est un très bon coach. Il sait ce qu’il fait et les résultats le prouvent.
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