Mardi 18 janvier, Microsoft déclenche un séisme d’une magnitude de 69 millions sur l’échelle du dollar dans le monde du jeu vidéo, pourtant déjà rompu à l’exercice du rachat de studio. Contre toute attente, le géant américain ne se paye rien de moins qu’Activision Blizzard, l’un des plus gros éditeurs de jeux au monde, afin de renforcer ses équipes de développement et d’asseoir une fois encore sa position sur le marché du gaming. Revenons ensemble sur ce qui a permis ce rachat record, qui a fait et fera encore couler beaucoup d’encre.
Afin de comprendre au mieux comment Microsoft a réussi l’un des plus gros coups de l’industrie, il faut remonter à 2021, période qui commençait à chauffer du côté de l’éditeur Activision, régulièrement pointé du doigt pour des faits inadmissibles.
Bien décidées à prendre la parole et à ne plus se laisser faire, de nombreuses victimes d’agressions ont dénoncé une ambiance toxique au sein du groupe. Seulement voilà, Bobby Kotick, P.-D.G. d’Activision Blizzard était déjà au courant de plusieurs affaires et n’a jamais rien fait pour corriger le tir, laissant ainsi s’installer une ambiance toxique dans les différents services. Plus grave encore, celui-ci avait même interféré en 2017 dans une précédente histoire de harcèlement sur une employée, victime du comportement abusif de Dan Bunting, coprésident du studio Treyarch. Dans la tourmente, Kotick, régulièrement au cœur des scandales, voit de plus en plus sa position fragilisée et nombreux sont celles et ceux qui ne comprennent pas pourquoi il reste l’un des plus gros éditeurs du monde.
C’est à ce moment-là que les choses semblent s’enclencher chez Microsoft, et plus particulièrement pour Phil Spencer, patron de Xbox, qui se dit indigné et troublé par ce qui se passe chez Activision et demande que des distances soient prises avec l’éditeur en attendant que les choses évoluent.
« Ce type de comportement n’a pas sa place dans cette industrie », aurait-il déclaré au nom de son équipe peu de temps après s’être rapproché de l’éditeur de la franchise Call of Duty. Bien sûr, ces éléments peuvent sembler anecdotiques, mais c’est clairement le point de départ de ce qui aboutira au rachat record annoncé quelques semaines plus tard.
Voici ce que l’on apprend dans un document conséquent provenant de la Securities and Exchange Commission :
« Le 19 novembre 2021, au cours d’une conversation sur un autre sujet entre M. Spencer et M. Kotick,M. Spencer a évoqué le fait que Microsoft souhaitait discuter des opportunités stratégiques entre Activision Blizzard et Microsoft, et a demandé s’il était possible d’avoir un appel avec M. Nadella le jour suivant. M. Kotick a accepté de participer à cette discussion. »
Rapidement, Phil Spencer va enclencher la vitesse supérieure en contactant le P.-D.G. de Microsoft, Satya Nadella.
Le 20 novembre 2021, celui-ci évoque son intérêt pour un rapprochement avec Activision Blizzard, et dès le 26 novembre, Phil Spencer propose une acquisition à 80 $ par action.
La proposition étant jugée insuffisante par Bobby Kotick, il indiquera qu’un accord ne pourra être trouvé que si Microsoft se montre prêt à proposer une offre située entre 90 et 105 $ par action. Quelques jours plus tard, c’est chose faite et les deux hommes conviennent d’une mise en relation entre leurs équipes juridiques et financières.
Faire jouer la concurrence
Si, comme nous l’avons vu, Microsoft a très rapidement pris contact avec la société de Bobby Kotick, il faut savoir qu’elle n’était pas la seule à vouloir tenter sa chance pour absorber l’éditeur et ses douze studios. D’autres entreprises vont vite prendre contact, et l’une d’elles ira même jusqu’à proposer également un rachat. Toujours d’après le document que nous avons cité au-dessus, cinq sociétés (nommées A, B, C, D, E et Individual B) auraient tenté leur chance durant les longues semaines de négociations. Celle intitulée Individual B aurait par exemple fait part de sa volonté d’acquérir Activision Blizzard le 6 décembre 2021, dans un courriel adressé à Brian Kelly.
« Le 6 décembre 2021 également, M. Kelly a reçu un courriel non sollicité d’un individu, que nous appelons Individual B, indiquant son désir d’explorer l’acquisition potentielle de l’unité commerciale Blizzard de la société, ou potentiellement une transaction de prise de contrôle total (ou partiel) avec des co-investisseurs potentiels non identifiés. »
Alors que la concurrence s’active, le 8 décembre, Phil Spencer informe que l’opération d’acquisition a été validée par le conseil d’administration de Microsoft, qu’une offre à hauteur de 90 $ par action sera faite avant le 10 décembre et qu’elle devra être suivie par une période de négociation exclusive jusqu’au 15 janvier 2022, détail qui, d’après le document, ne sera pas respecté par Activision Blizzard qui réunira alors son conseil d’administration dès le 12 décembre pour solliciter les entreprises C, D et E. Selon eux, celles-ci sont tout à fait capables de finaliser une telle acquisition.
Bien entendu, il n’y a rien d’innocent dans la manœuvre d’Activision et il est clairement question ici de faire monter les enchères. Reste qu’il y avait un risque de tout faire capoter si cette information parvenait aux oreilles de Microsoft, qui pourrait définitivement se retirer des négociations.
Le même jour, Bobby Kotick ira jusqu’à contacter la société D, qui manifestera à son tour de l’intérêt… Une manœuvre plutôt habile de la part de Kotick, qui en profitera pour faire une contreproposition à Phil Spencer le 15 décembre à 100 $ par action. Celui-ci réfléchira de son côté et en discutera de nouveau avec Satya Nadella.
Dès le lendemain, c’est le P.-D.G. de Microsoft lui-même qui proposera une offre à 95 $ par action. Histoire de ne pas entrer dans les détails des dernières négociations, et après de nombreux échanges, les dernières sociétés intéressées finiront par se retirer, laissant le champ libre à celle de Richmond pour terminer les négociations avec Activision Blizzard.
Nous arrivons donc au 17 janvier, date à laquelle leur conseil d’administration approuve à l’unanimité le contrat de fusion, tout en recommandant aux actionnaires de l’adopter.
« Nous sommes impatients de travailler avec nos amis talentueux et dévoués d’Activision Blizzard. En tant qu’entreprise, nous nous engageons dans notre cheminement vers l’inclusion dans tous les aspects du jeu, tant pour les employés que pour les joueurs. » Phil Spencer, dirigeant de Xbox Games Studios.
C’est le mardi 18 janvier, tôt dans la matinée, que les deux géants du jeu vidéo signent le contrat de fusion/acquisition avant de publier dans la foulée un communiqué de presse commun, qui va faire trembler l’industrie tout entière.
Rappelons quand même pour conclure que le rachat ne sera finalisé qu’entre juillet 2022 et juin 2023, et qu’il faudra encore montrer patte blanche auprès de certains organismes qui surveillent le bon état de la concurrence sur le marché avant d’être complètement validé, mais il y a peu de chance pour que cela n’aboutisse pas.
Avec cette nouvelle acquisition, la branche Xbox de Microsoft s’approprie pas moins de 12 talentueux studios ainsi que de nombreuses franchises particulièrement fortes comme Call of Duty, Diablo, Crash Bandicoot, Candy Crush, Guitar Hero, Spyro, Tony Hawk ou encore Warcraft.
Si nous ne savons pas encore véritablement si ces licences finiront par devenir exclusives aux machines de la marque, Phil Spencer se veut rassurant et a confirmé par exemple à demi-mot que le FPS culte Call of Duty resterait aussi disponible pour les consoles PlayStation… en tout cas pour l’instant.
Ce qui est cependant une certitude, c’est que la déjà très intéressante offre Game Pass de la firme va bientôt devenir un service indispensable du marché, avec un catalogue imbattable de jeux disponibles à moindres frais.
Concernant le cas Bobby Kotick, il reste pour le moment à ses fonctions, mais devrait normalement les quitter une fois le rachat d’Activision Blizzard définitivement validé.
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