Paul Philipp : « Une équipe à l’image de notre pays »

10 minutes
©Marco Noel

Le président emblématique de la Fédération Luxembourgeoise de Football nous a reçus pour un entretien exclusif sur la sélection nationale.

Président, revenons sur la campagne de qualification des Roud Léiwen : 17 points, c’est mieux que l’Italie, la Croatie, la Suède ou la Pologne dans un groupe très relevé. Quel bilan dressez-vous de la performance de nos joueurs ?

Paul Philipp : Énorme! il n’y a pas d’autres mots, vous vous rendez compte, on a battu deux fois la Bosnie, on a battu l’Islande et la Slovaquie, c’est incroyable. Ce que les joueurs ont fait sur le terrain est énorme. Si on met de côté les deux confrontations ratées contre le Portugal, la campagne était plus que réussie. Vous l’avez précisé, 17 points, si on nous avait dit ça avant les Qualifiers, jamais on ne l’aurait cru. J’ai trouvé que l’adversité était beaucoup plus faible que ce à quoi nous nous attendions. Que la Bosnie, ce n’était plus ce que c’était, que la Slovaquie était vraiment prenable. Mais avec le recul, je sous-estimais nos propres forces. Petit à petit, sans que nous nous en soyons aperçus, nous étions devenus plus forts, et non plus cette équipe de petit pays comme le Lichtenstein ou l’Estonie.

Quel a été notre match référence, celui dont Luc Holtz et ses hommes doivent se servir pour arriver sur le terrain le couteau entre les dents ?

Le match en Bosnie, à l’aller, celui où l’on gagne 2 à 0. Un véritable tournant, parce qu’on était chez eux, on était loin d’être favoris, et il y avait l’histoire avec Gerson Rodrigues et avec Olivier Thill. Tout cela a été réglé depuis mais cela m’inquiétait tellement que j’avais repoussé la prolongation de Luc Holtz pour ce genre de problèmes de gestion d’équipe. On s’est expliqué sur le sujet et la suite lui a donné raison. Je retiens aussi la première mi-temps contre la Slovaquie. Dans le jeu on était vraiment bon, on a dominé le match et ce n’était pas un accident, on était les plus forts sur le terrain. Même si on n’avait pas le droit de ne pas les mettre au fond…

«Si on passe la Géorgie, on ira à l’Euro.»

Quels arguments avons-nous à faire valoir contre l’équipe de Willy Sagnol ?

Les Géorgiens sont donnés favoris et si ça ne tenait qu’à moi, je ferais en sorte que tout le monde les présente comme ultra favoris (rires). On doit jouer la carte des outsiders. Il faut aussi souligner que nos joueurs ont désormais de la bouteille, ils sont routiniers de la pression internationale avec du vécu au niveau professionnel, donc on n’y va pas avec la peur au ventre. Non, la seule chose qui m’inquiète, ce sont les risques de blessure. Je vous assure que ça me fait peur dans les semaines qui viennent, parce que là on a déjà donné !

Pour vous, quelles sont nos chances d’accéder à l’Euro ?

Si on passe la Géorgie, on ira à l’Euro. On a la chance de recevoir au deuxième match. Et après une victoire contre les Géorgiens, on marchera sur l’eau, plus facilement contre le Kazakhstan bien sûr, mais je crois quand même que les Grecs seront largement à notre portée en finale. Il y a l’épouvantail à passer avant. Le pire tirage en barrages, c’était la Géorgie chez eux.

Vous aviez réussi à collaborer avec Luxair pour organiser un déplacement de supporters vers Tbilissi, mais le vol a été annulé ?

Cette collaboration est arrivée bien tard malheureusement. Cela fait 4 mois que nous négociions avec eux pour organiser ce déplacement. Alors oui, les pré-réservations étaient pleines, et le vol devait avoir lieu quand tout les gens se seraient acquittés du prix que nous avons mis en place. Mais les supporters de souche, qui viennent à tous nos matchs, les blocks M, etc., ils s’étaient déjà organisés avec leurs propres moyens.

Les places pour le match du 26 mars ont été vendues en moins d’une heure et demie. Est-ce un signe de l’engouement de plus en plus fort au Grand-Duché pour l’équipe nationale ?

Oui, à n’en pas douter. Regardez au stade du Luxembourg le nombre de maillots de l’équipe nationale. Avant, il y avait cent ou deux cents personnes qui portaient nos couleurs, désormais c’est tout un peuple derrière nous. Maintenant je crois que malgré l’enjeu important, les joueurs ont créé cette connexion avec le public qui sera durable et qui remplira le stade à chaque rencontre. C’est dommage qu’on ne reçoive pas la Belgique en amical, même si Bruxelles n’est pas si loin. On voulait aussi accueillir l’Ecosse mais cela n’a pas pu se faire : cela aurait été une de ces fêtes ! Les travaux sur le stade de Luxembourg nous empêche d’accueillir des rencontres cet été. Vous savez, je crois que même si le 26 ce n’est une finale mais la 3e place honorifique qui se joue, les supporters répondront présent, parce qu’il y a de la ferveur et que tout le monde veut remercier nos joueurs pour leur parcours.

« L’école de foot, c’est notre fond de commerce! »

Avez-vous prévu un dispositif marketing particulier le 26 en cas de victoire face aux Géorgiens ?

Forcément, on mettra le paquet, mais je crois que ça se fera tout seul. Il faudra simplement qu’on veille à protéger nos joueurs de l’enthousiasme populaire et du tapage médiatique, les conserver dans une bulle deux jours avant la rencontre, parce que je crains un peu ce qui pourrait se passer pendant ces cinq jours entre les deux rencontres !

Voyez-vous ce parcours également comme un résultat du travail de notre centre de formation ?

Complètement ! La quasi totalité des joueurs de l’équipe nationale est issue du centre de formation. L’école de foot, c’est notre fond de commerce ! Il faut dire qu’on y consacre un quart de notre budget, contre vents et marées et malgré les critiques, parce que quand on investit, on n’est pas sûr de quand ni si on aura des retombées. Et là c’est clairement un retour sur investissement. L’école de foot, c’est la base de tout. On suit actuellement 40 à 50 jeunes, avec une attention redoublée pour leurs études. Cette école, on l’a faite nous même, en partant de rien. Et la géographie de notre pays permet de laisser les jeunes dans leurs clubs, dans leurs lycées, et de venir au centre de formation, c’est un luxe extraordinaire. Au Grand-Duché, on compte plus de mille équipes de jeunes, c’est un vivier énorme ! Et il faut avoir les gens pour les former, et pour accompagner les parents : par exemple, on les aide à acquérir la langue luxembourgeoise, on aide nos jeunes pour l’obtention de la nationalité avant 18 ans. Après on les laisse partir à l’étranger, parce qu’il faut qu’ils aient l’expérience professionnelle, et cela a des retombées sur tout le foot luxembourgeois : sur la BGL Ligue et aussi sur les jeunes : quand ils voient qu’ils marchent sur les pas d’un Leandro, ça les motive encore plus. Surtout que notre équipe, il suffit de la regarder pour s’apercevoir qu’elle est à l’image du Luxembourg : c’est une équipe d’intégration. Là-dessus, on a joué notre rôle dans l’intégration sociale dans la mixité et l’ouverture : on est un exemple ! Il y a eu l’immigration italienne qui en est à sa 4e ou 5e génération, le Portugal, et maintenant le Cap-Vert et les pays de l’Est : regardez derrière moi [NDLR : la fresque avec la photos de la sélection]. On a vraiment réussi cette intégration et c’est un beau message pour nos jeunes. 

Après l’expulsion de Sinani face au Liechtenstein, vous avez déposé un recours débouté par l’UEFA. Comprenez-vous cette décision ?

En tout cas on s’y attendait. Nous avons argumenté du fait que Danel n’avait pas vu le joueur arriver et qu’il s’agissait simplement d’un pied en avant. L’UEFA a tranché d’après leurs images. C’est ce qu’ils nous ont communiqué, mais ont-ils vraiment re-visionné les images? Maintenant, on a pris acte de cette décision et on fera sans Sinani.

Serez-vous du voyage à Tbilissi ?

Évidemment ! J’accompagne la délégation, j’y suis obligé : si je restais ici je deviendrais fou… Même si je vais quand même être comme un fou là-bas à faire les cent pas et me ronger les sangs… Je veux être là pour assister à ça, que les joueurs sentent que je m’investis, sans être derrière eux bien entendu, il vaut mieux que je les laisse tranquille  !

« Le Portugal ? J’étais furieux ! Il faut laver l’affront. »

Quelle a été votre réaction lorsque vous avez réalisé qu’une participation à l’Euro 2024 était possible ?

On savait qu’il y avait de bonnes chances avec notre campagne en Ligue des Nations, mais on restait surtout focus sur la 2e place du groupe, qui était prenable, et qu’on aurait dû prendre. La défaite contre la Slovaquie a fait mal, parce que notre équipe méritait de gagner, avec plus de réussite devant le but. Surtout après les deux raclées contre le Portugal ! J’étais vraiment furieux, je me suis isolé et n’ai pas parlé avec Luc Holtz pendant une semaine pour éviter de m’en prendre à lui ! La qualité de l’effectif et de ce qu’on a montré sur le terrain a vraiment été entachée par ces deux fessées.

Un mot sur le tirage au sort de la poule F ?

J’y étais, à un moment où il y avait encore beaucoup d’interrogations. C’était une situation un peu lunaire, mais quel plaisir de représenter le Luxembourg, de voir qu’on n’est plus ce petit pays comme autrefois, à l’époque où, de mon temps en tant que joueur, aller en Belgique était déjà un événement. Concernant les adversaires potentiels, la Turquie, on les connaît, n’oublions pas qu’on a fait match nul chez eux ! Et comme ils joueront à Dortmund, et qu’il y a une communauté turque massivement présente en Allemagne et notamment dans le sud, j’ai déjà des frissons d’imaginer les défier presque à domicile. La Tchéquie, on les connaît mal, mais ils ont de sacrés bons joueurs. Quant au Portugal… (Rires) C’est notre lot de toujours tomber face à eux, et on aura une très belle revanche à prendre ! Il faut laver l’affront.

Un petit pronostic à J-20 ?

Je ne peux pas me prononcer. Je crois que ça va être très difficile à tous les niveaux, avec 50.000 supporters chauffés à blanc, mais ils doivent se passer de Kvaratskhelia, et c’est une chance pour nous. Honnêtement je n’en ai aucune idée, ce sera très serré, la rencontre pourra basculer d’un côté ou de l’autre, mais nous ne sommes pas favoris.

Marco Noel

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