Pedro Resende, l’éclosion d’un meneur d’hommes, des rives du Douro au football luxemburguês

10 minutes
Albert Krier

A 45 ans, le natif de Porto écume depuis vingt ans les terrains de football luxembourgeois, au début comme joueur, aujourd’hui comme entraîneur. Attaché à sa patrie, le Portugal, comme au Grand-Duché, il se nourrit des deux cultures pour faire mûrir ses méthodes. Son histoire, sa vision du jeu, ses ambitions, rencontre avec un coach qui met l’humain au coeur de tout.

On ne devient pas un leader, on a ça dans le sang, dans les gènes. C’est ce que l’on pourrait surtout retenir de l’histoire et du parcours de Pedro Resende, joueur et entraîneur depuis maintenant vingt ans au Luxembourg, actuellement en poste à la Jeunesse d’Esch. Né à Porto dans une famille où l’on vit le football 24 h sur 24, 7 jours sur 7, avec un papa joueur professionnel au Sporting Lisbonne, puis entraîneur professionnel en première division portugaise, le petit Pedro ne s’est jamais posé la question de son avenir, il était déjà tout tracé. « J’ai baigné dans ce milieu, j’ai toujours eu la fibre, déjà enfant. Mon père me raconte que lorsqu’il essayait de regarder des matchs tranquille, j’étais là à poser 50 000 questions pendant la partie… Honnêtement, je pensais déjà au métier d’entraîneur. »

« On pensait s’installer quatre ou cinq ans… et ça fait vingt ans qu’on est là »

En attendant, Pedro Resende n’est pas maladroit avec ses pieds. Il joue défenseur central, d’abord dans le club de son quartier, avant d’être vite repéré par le FC Porto. Il a une bonne vision du jeu, une relance intéressante, et se comporte déjà comme un patron : « J’aimais déjà contrôler mes coéquipiers, leur parler tout le temps. » Le chemin se poursuit à Boavista, puis en deuxième division. Mais à l’époque, les clubs portugais rencontrent quelques soucis économiques et les joueurs ne sont pas toujours payés. C’est là que le destin de l’enfant du Rio Douro va basculer… Sa femme est née au Luxembourg, mais elle est venue au Portugal afin de faire ses études. C’est là que le couple se rencontre, avant de se marier un an plus tard. « Un jour, sa famille vient en vacances chez nous et on se met à discuter de la situation. On s’est dit à ce moment-là que cela pouvait valoir le coup de tenter l’aventure au Grand-Duché. » Ainsi, en 2004, Pedro Resende atterrit à Cessange. Et l’acclimatation n’est pas tout de suite évidente… « Cela a été très compliqué au début. Surtout que je n’avais jamais envisagé de faire autre chose que du foot jusque-là, et j’ai dû commencer à travailler dans un domaine que je ne connaissais pas du tout. Si on rajoute à ça la météo, la barrière de la langue (je ne parlais qu’un peu anglais, j’avais une petite base en français), ce n’était pas facile. Mais en même temps, on était quand même contents avec mon épouse, notre qualité de vie augmentait beaucoup par rapport au Portugal. On pensait s’installer pour quatre ou cinq ans… et ça fait vingt ans qu’on est là. »

Pedro Resende écume les terrains et découvre le football luxembourgeois, à une époque où il n’y a pas encore beaucoup de joueurs étrangers, portugais en particulier. La Jeunesse Canach, Hostert, les Young Boys Diekirch, Sandweiler. Mais le physique du défenseur central le lâche régulièrement… « J’ai été opéré quatre fois des ligaments croisés », soupire-t-il. À 35 ans, alors qu’il évolue à Sandweiler et vit une période « très difficile », il doit s’envoler pour le Portugal où sa mère, gravement malade, est mourante. Il coupe son téléphone. Lorsqu’il le rallume, le directeur du club lui annonce que l’entraîneur est parti et lui propose de devenir entraîneur-joueur. Pedro Resende accepte de passer uniquement entraîneur, sa carrière sur le banc débute. Dès l’année suivante, il prend en main l’équipe de Kayl-Tétange en Promotion d’Honneur. « On fait une très bonne saison. L’objectif était le maintien ; on est longtemps deuxième en première partie de championnat. En seconde, c’est plus compliqué, mais on termine sur un bon bilan. Les choses commencent donc bien pour moi », se souvient-il.

« Savoir gérer un groupe, c’est très compliqué. La plupart des personnes, des observateurs, se focalisent beaucoup sur les systèmes, sur la tactique, sur la composition, etc. Mais ça, c’est le plus facile ! « 

Pedro Resende

Pas à pas, le jeune coach construit sa carrière luxembourgeoise et se fait un nom. L’US Esch, le Victoria Rosport, Hamm Benfica, le FC Differdange et enfin la Jeunesse Esch, son CV s’étoffe au fil des années. Au début, il doit s’adapter : « Au Portugal, la culture est différente. Aujourd’hui, j’ai deux enfants, si je leur demande ce qu’ils veulent faire plus tard, ils pensent aux études, à avoir un bon job. Là-bas, les gamins veulent tous devenir joueurs de foot. Ce que je veux dire par là c’est que quand j’arrive ici, je constate que le football est plus un hobby qu’autre chose pour la plupart des joueurs. Même si j’observe que les choses changent ces dernières années au Luxembourg et que le niveau s’est beaucoup élevé. »

Et lui, à 45 ans, comment a-t-il évolué ? Quelles sont les différences entre le jeune entraîneur débutant sur le banc de Sandweiler et le Pedro Resende d’aujourd’hui ? « Tu apprends tous les jours, avec les joueurs, les formations, avec les analyses vidéo que tu pratiques. Peut-être que sur certaines situations, je suis un peu plus tranquille, sur d’autres, un peu plus crispé. J’ai sûrement aussi appris à avoir plus de feeling quand il faut parler aux joueurs dans telle ou telle situation. Avec le temps, tu comprends certainement mieux le caractère des joueurs, comment les appréhender, leurs caractéristiques. »

Cela transpire dans le discours, dans les mots, dans l’attitude, le Portugais est un affectif, qui place la relation au cœur du projet. « Savoir gérer un groupe, c’est très compliqué. La plupart des personnes, des observateurs, se focalisent beaucoup sur les systèmes, sur la tactique, sur la composition, etc. Mais ça, c’est le plus facile ! Le plus difficile, c’est gérer un groupe. Quand tu as 25 joueurs avec des personnalités différentes, que tu ne peux évidemment pas tous les faire jouer le week-end, mais que tu dois garder tout le monde concerné, faire en sorte que tous croient en ton travail et te suivent… »

Pour ce qui est de la vision du jeu, l’actuel coach de la Jeunesse d’Esch n’adhère pas à une école en particulier, même s’il a quelques modèles, évidemment : « Je trouve qu’au Portugal, on a une très bonne école de foot. On est un petit pays, mais on sort pas mal de joueurs qui évoluent au plus haut niveau, nos clubs performent sur la scène européenne, les équipes nationales jeunes gagnent des titres, la sélection nationale a souvent été dans les derniers carrés également. Et puis au niveau des entraîneurs, depuis 25 ans, on est vraiment au top. On a une bonne façon de penser le foot, une façon d’entraîner qui plaît aux joueurs. Mais ce n’est pas seulement nous. Les Allemands sont très forts, les Espagnols aussi, les Italiens… Je mets les Français un peu en retrait, ils me paraissent moins ouverts sur les évolutions de leurs méthodes de travail. » On peut parler un peu tactique donc, avec Resende, mais la psychologie revient vite au premier plan : « Il y a la notion de critique qui est importante. Moi, par exemple, je suis du genre à dire clairement à mes gars ce que je pense, mais en essayant d’être toujours constructif. Il faut s’adapter à la personnalité de chacun… Certains, tu dois aller les voir individuellement ; d’autres, tu peux davantage leur faire passer un message de façon collective. »

Geoffrey Franzoni, capitaine de Pedro Resende à Differdange : « Quand il parle, tout le monde l’écoute, tout le monde comprend immédiatement que c’est lui le chef »

Avec ce côté leader, meneur d’hommes, pas étonnant que le Portugais laisse une trace importante là où il passe. Il suffit par exemple d’écouter Geoffrey Franzoni, son capitaine lors de la magnifique saison de Differdange l’an passé, lorsque le club termine à une deuxième place aussi belle qu’inattendue : « Pedro est un grand professionnel qui fait son boulot avec beaucoup de passion. Il préparait toujours méticuleusement les matchs. En dehors du terrain, il est en plus humainement bon, tu peux échanger avec lui, rigoler. Mais dans le vestiaire, il a surtout une autorité naturelle. Quand il parle, tout le monde l’écoute, tout le monde comprend immédiatement que c’est lui le chef. Personnellement, c’est un coach qui m’a beaucoup donné confiance en moi, qui me parlait beaucoup. Il savait aussi très bien communiquer avec ceux qui jouaient moins. » Ou comment tirer tout un groupe vers le haut. Et il ne s’agit certainement pas d’un hasard si l’hommage vient du défenseur differdangeois, car lorsque l’on demande au natif de Porto quel club l’a le plus marqué comme entraîneur au Luxembourg, la réponse ne souffre aucune hésitation : « Differdange. Tout ce que l’on a réussi, en partant d’où nous sommes partis, cette deuxième place, la relation avec les joueurs… Cette saison m’a vraiment touché. J’ai été très content à Rosport aussi, à l’US Esch également, car on termine champions de PH alors que l’objectif était le maintien. Mais le FC Differdange, c’est à part. »

À l’aune d’un alléchant Luxembourg-Portugal au Stade national, pour les éliminatoires de l’Euro, quelle relation le gosse de Porto a-t-il tissée avec le Grand-Duché, après avoir sillonné les terrains de foot du pays pendant vingt ans ? « Aujourd’hui, cela représente beaucoup pour moi. Mon fils, le plus jeune, est né ici. J’ai énormément d’amis, je connais du monde partout. Parfois, ma femme rigole parce qu’on peut aller à Wiltz et je croise une connaissance, je vais ailleurs, on en croise encore une… Cela me fait me sentir en sécurité. C’est comme une grande ville, sauf que c’est un pays. Tu ne te sens jamais tout seul. À part la météo, je me sens heureux ici. »

Au moment du coup d’envoi du match, son cœur balancera cependant toujours du même côté : « Le Portugal, c’est normal. C’est ma patrie. Mais je suis content quand le Luxembourg lui tient davantage tête. Je trouve que Luc Holtz est en train de faire un super travail. C’est quelqu’un avec une mentalité très ouverte. Il fait jouer son équipe, il n’a pas un schéma purement défensif et ça, ça me plaît ! Donc… à part les matchs contre le Portugal, je soutiens le Luxembourg ! »

Assis sur le banc de la Jeunesse, Pedro Resende fait du bon boulot avec les moyens à sa disposition, même s’il reconnaît qu’il reste « beaucoup de travail à faire à tous les niveaux du club », et son équipe pointe à une plus qu’honorable 7e place au classement de la BGL Ligue. Investi, professionnel comme à son habitude, le Portugais voit néanmoins plus loin et n’abandonne pas le rêve d’une vie, celui qu’il nourrissait déjà enfant, lorsqu’il commentait les matchs à la télé a côté de son père : « Mon objectif est de devenir entraîneur professionnel, et ça le restera jusqu’à la fin de ma vie. » À 45 ans, il a envie de croire que son histoire ne fait que commencer. Quel que soit le chemin à venir, quel que soit le niveau, quelle que soit l’équipe qui court derrière le ballon, ce sera à coup sûr une histoire d’hommes. Comme toujours avec Pedro Resende.

François Pradayrol

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