À l’heure où le football luxembourgeois est à la recherche d’un second souffle, désireux de faire revenir un public de plus en plus éparse au stade, les institutions au pays, incarnées par la LFL dans ce cas présent, cherchent à dynamiser à nouveau le ballon rond au Grand-Duché. Après six journées, l’heure d’un premier bilan a sonné pour peser l’efficacité ces intentions.
Des statistiques sans équivoque
Une simple analyse des statistiques suffit néanmoins amplement à voir les bienfaits sur les affluences du changement. Ils sont pour le moment six clubs* à avoir joué, à un horaire exclusif. Et les résultats semblent sans appel en termes d’affluence pour la majorité de ces écuries.
Ainsi, Niederkorn, qui a joué par deux fois à 18h30 à domicile, a toujours tourné à environ 1 000 spectateurs (928 contre Mersch, 1085 face à Hesperange). Soit le double de personnes présentes que lorsque les joueurs de Jeff Strasser jouent lors d’une plage horaire unique. Lors de son troisième match à la maison, joué cette fois-ci à 16h00, le Progrès n’a effet accueilli que 498 supporters.
Même son de cloche du côté de son grand rival de Differdange. Avec 875 personnes présentes contre le Fola, rencontre jouée à 19h00, le FCD03 a vu une bien plus grande affluence que face à Mondercange (725), et surtout Mondorf (510). Cette évolution se retrouve aussi du côté d’un club moins habitué à la BGL Ligue, chez le promu Schifflange. Ainsi, les 330 personnes présentes au Stade Municipal contre Niederkorn et les 400 face au Fola font pâle figure à côté des chiffres acquis lors du match joué lors d’un horaire exclusif face à Pétange (560 personnes).
Il ne fait aucun doute qu’on voit plus de gens au stade quand on joue à un horaire décalé. C’est une bonne première étape.
Fabrizio Bei
Enfin, un club plus habitué à des affluences modestes a lui aussi pu voir l’impact du match décalé jouer dans l’engouement. Strassen, qui a déjà reçu quatre adversaires cette saison, a confirmé la tendance. Les supporters présents contre Differdange le week-end passé (427) étaient beaucoup plus nombreux qu’à l’accoutumée, bien que Luc Hilger, président de Strassen, conteste ce chiffre, pensant avoir vu « sûrement plus de 500 personnes au stade ». Dans tous les cas, ce total dépasse celui des réceptions d’Hesperange, Kaerjeng ou encore Mondorf.
Reste alors les deux autres équipes ayant joué avec un horaire décalé, et dont les chiffres sont moins évidents. Pour la Jeunesse, avoir affronté Mondercange mais surtout le Fola lors de deux derbys a forcément biaisé les statistiques. Enfin, les deux grosses confrontations de Pétange face à Niederkorn et Hesperange justifient aussi des chiffres qui, dans l’ensemble, restent similaires pour chaque affiche.
Des joueurs enthousiastes, mais parfois bridés
Des chiffres plus qu’encourageants qui expliquent la satisfaction de Fabrizio Bei, président du FCD03, interrogé avant la rencontre contre l’UNA Strassen. « Il ne fait aucun doute qu’on voit plus de gens au stade quand on joue à un horaire décalé. C’est une bonne première étape ». Même son de cloche du côté de son homologue de Strassen qui est très satisfait de cette première expérience cette année. « On a vu beaucoup de joueurs d’autres clubs venir au match, qui ne peuvent généralement pas répondre présents. En comparaison avec nos affluences généralement modestes, c’est très positif. J’avais peur que les gens rentrent plus tôt avec le travail le lendemain, mais cela n’a pas du tout été le cas. Cela donne envie de continuer dans cette direction ». Le président note d’ailleurs qu’au delà des affluences élevées, il a aussi pu, sur un plan personnel, profiter de ce week-end de BGL Ligue : « En jouant à 18h30, j’ai pu aller au match du Racing que j’ai suivi jusqu’à la 70e minute. C’est vraiment agréable de pouvoir voir un autre match que le nôtre. »
Au-delà des résultats en termes d’affluence, comment se positionnent les joueurs ? Pour Guillaume Trani, qui évolue à Differdange, il ne fait aucun doute : cet horaire, ce n’est que du bonheur. « On voit beaucoup plus de monde dans les stades, il fait bien plus frais, ce n’est que du bonus ». Une position qu’on peut entendre, mais qui, aux dires de Luc Hilger, n’est pas si simple pour les joueurs alliants jobs et ballon rond. « Déjà, jouer à 20h, quand tu as énormément de frontaliers dans ton équipe, c’est très compliqué. Il en va de même pour le vendredi, car l’immense majorité de nos joueurs travaillent. »
À ces soucis d’horaires s’ajoutent aussi d’autres problématiques sur le plan logistique, à l’image de la luminosité baissante et proche d’être handicapante. « C’est sûr qu’à partir de la 70e, quand il a commencé à faire nuit, je commençais à voir le ballon vraiment vite fait » sourit Koray Ozcan, portier du FC UNA Strassen. Ce qui n’empêche pas le gardien de soutenir ces rencontres à des horaires décalés. « On était en clôture de la journée, cela a ramené du monde, d’autres joueurs, c’est forcément mieux de jouer dans des ambiances comme celles-ci ».
Si les portiers peuvent donc être potentiellement gênés par des horaires trop tardifs, il en va aussi de même pour les entraîneurs, qui doivent anticiper une planification du travail à l’entraînement influencé par la date et l’horaire du match. « C’est sur que si tu switches de semaine en semaine du samedi au dimanche, cela peut être compliqué vis-à-vis de ta programmation », confirme Ismaël Bouzid, entraîneur du FC Schifflange, avant de tempérer. « Maintenant, si tu ne fais ça qu’une fois par mois par exemple, c’est tout sauf insurmontable ». Le coach du surprenant promu, derrière ces complications personnelles, juge néanmoins que le jeu en vaut largement la chandelle. « Les horaires décalés, c’est quelque chose qui pêche au Luxembourg. Si on peut voir de l’évolution là-dessus, ce serait magnifique. Et je ne parle pas que des joueurs qui se sentent galvanisés, mais aussi le club, les bénévoles, les buvettes, la rentrée d’argent… »
Une septième journée qui fait rêver… mais en trompe l’oeil
Cet enthousiasme de l’ensemble des acteurs du football luxembourgeois ayant déjà joué à un horaire décalé devrait se poursuivre lors d’une septième journée particulièrement riche en créneaux différents. Ainsi, ce sera un match le vendredi, quatre le samedi (dont Hesperange seul à 19h30), et trois le dimanche. Une programmation qu’on aimerait voir plus souvent au pays, et qui devrait permettre aux amateurs de BGL Ligue de pouvoir profiter de plusieurs matchs sur un week-end, tout en assistant à la rencontre de leur club préféré.
C’est bien de vouloir organiser les choses, mais quand on nous dit non alors que c’était nous qui nous occupions de toute l’organisation et pas son club, j’ai du mal à comprendre…
Jean Antunes
Pourtant, ce qui semble être une réelle avancée et une belle victoire n’est pas aussi idyllique que ce que l’on peut penser. Dans le Club House, l’émission de Moien Mental, Thomas Gilgemann, président du Progrès Niederkorn et dorénavant en charge de la planification des matchs de BGL Ligue, l’assume d’ailleurs parfaitement. « Sur cette journée, il y a d’autres facteurs à prendre en compte. Nous, par exemple on joue samedi car on a une nouvelle journée de championnat mercredi. Chaque club ayant voulu gagner une journée de récupération a placé son match samedi ».
Les horaires décalés de cette septième journée seraient donc liés non pas au désir de se rapprocher d’un système plus en adéquation avec ce qui se fait à l’étranger, mais bien aux intérêts personnels de chaque club, désireux de s’offrir un petit coup de pouce pour avoir un meilleur championnat.
Ce fameux intérêt sportif. Ce n’est pas la première fois que celui-ci crée des frictions entre les effectifs de BGL Ligue. À la fin de la rencontre entre Pétange et Niederkorn lors de la cinquième journée, le vice-président de l’Union Titus Pétange, Jean Antunes, n’avait pas hésité à critiquer la président du Progrès pour avoir refusé de jouer le dimanche. « C’est dommage qu’un derby contre Niederkorn ne se joue pas à une heure décalée. » Le dirigeant explique ensuite les raisons de son courroux. « On voulait les affronter à domicile un samedi, mais leur président a catégoriquement refusé. C’est bien de vouloir organiser les choses, mais quand on nous dit non alors que c’était nous qui nous occupions de toute l’organisation et pas son club, j’ai du mal à comprendre. »
On en revient toujours au même débat : les retours médiocres que nous avons actuellement de la part de RTL
Luc Hilger
Réponse de l’accusé ? « On n’a pas accepté cette demande car on a anticipé la fin du mercato le jeudi 31 août à minuit, sachant qu’on aurait encore du mouvement. On a priorisé le sportif pour notre club en laissant une séance supplémentaire d’entraînement samedi matin aux deux nouveaux arrivants. L’entrée décisive d’Issa Bah nous a donné raison », se justifie Thomas Gilgemann, avant de rappeler que Pétange a aussi effectué un refus. « On leur a proposé quand même de jouer dimanche à 18h30 pour attirer davantage de public, ce que Pétange a refusé. » Une preuve, s’il en fallait encore, qu’aujourd’hui, les intérêts propres à chacun continuent de dominer la réflexion, bien devant le désir de moderniser la structure assez archaïque de l’élite du football luxembourgeois.
Une gouvernance indépendante à trouver
Cette incapacité à voir plus loin que le bout de son nez, sentiment humain et compréhensible quand les enjeux sont si élevés, montre là aussi la limite d’un système qui repose sur la bonne entente de chacun, et non pas sur une autorité qui n’a qu’un but : promouvoir le produit BGL Ligue en passant au-dessus des desiderata des différentes écuries. Un avis partagé par Thomas Gilgemann dans le Club House, mais aussi par Luc Hilger, qui insiste que la solution passe définitivement par cette voie. « Si on a un sponsor qui nous donne une certaine somme par saison, et qui nous demande alors de jouer des matchs sur trois créneaux horaires, alors évidemment, on s’adapterait car on aurait les moyens pour. » Ce qui ramène, encore une fois, le même sujet sur la table : le rôle de RTL, en tant que diffuseur, et son envie de réellement mettre en valeur la discipline sportive la plus populaire au monde au sein du Grand-Duché.
Si l’incertitude sur le renouvellement du streaming via la plateforme Live Arena en fin de saison passée avait fait croire en une amélioration des conditions pour les clubs de BGL Ligue, force est de constater que jusqu’à présent, rien n’a réellement bougé en ce sens. Et, si l’on peut comprendre qu’il soit compliqué pour RTL d’imposer des directives sans offrir de contrepartie financière, il n’en reste pas moins évident que c’est assurément là que le bât blesse. Cette autorité, qui arriverait à se mettre au-dessus des intérêts personnels, serait la seule solution viable pour s’assurer, week-end après week-end, une réelle planification optimisée du football au Luxembourg. Reste alors à savoir si le média numéro un au pays saura revendiquer cette position, alors que le contrat de streaming avec les clubs de BGL Ligue s’achèvera, encore une fois, à la fin de cette saison. « On en revient toujours au même débat : les retours médiocres que nous avons actuellement de la part de RTL », glisse Luc Hilger avant d’offrir le mot de la fin. « C’est une discussion qu’on devrait reprendre au plus tard au printemps. Ce qui est certain, c’est qu’on ne se laissera plus faire comme dans le passé. »
* Les chiffres de la rencontre entre Hesperange et Wiltz n’ayant pas été communiqués, le tenant du titre n’est pas rentré dans le tableau d’analyse.
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