Rester serein, être concentré, ne pas se laisser influencer, prendre des décisions, garder le contrôle d’un match, autant de tâches qu’un arbitre de football doit savoir gérer pendant 90 minutes, voir même plus avec les arrêts de jeu. Pour trois arbitres ce n’est pas une mince affaire, alors imaginez pour un seul. Au meilleur niveau d’un championnat il est difficile de concevoir de toute manière que cela puisse arriver. Et pourtant. En D1 féminine dans le championnat Luxembourgeois, l’arbitre est totalement seul. Oui oui vous avez bien lu. Pas même un dirigeant de club comme arbitre assistant.
Nous nous sommes penchés sur le sujet, en faisant le tour des différents acteurs de ce championnat : joueuses, entraîneurs, présidents de clubs, arbitres et les instances du football luxembourgeois. Décryptage.
Un impact sur le style de jeu
Chaque week-end, les joueuses ont envie de râler, pour des fautes, des touches, des hors-jeu sifflés ou non, mais elles se sont fait une raison : il n’y a qu’un arbitre dans ce championnat de l’élite et il faut composer avec. Mais avec le développement du football féminin, elles s’accordent toutes pour dire que ce n’est plus suffisant à ce niveau. « Il est définitivement nécessaire d’avoir 3 arbitres dans ce championnat de D1. C’est très difficile d’arbitrer seul, surtout que le niveau est en train d’augmenter » explique Anouchka Besch, attaquante pendant de nombreuses années au SC Bettembourg et qui vient de s’exporter aux Pays-Bas. Jessica Becker, défenseur à l’Entente Wormeldange complète « le jeu est plus rapide dans notre division qu’il y a quelques années. Donc si cela passait avant, aujourd’hui cela devient très compliqué qu’un arbitre gère nos matchs dans ces mêmes conditions. Ce rythme fait qu’il est impossible pour lui de tout voir et c’est humain ». Pour la milieu de terrain de Junglister Kelly Mendes cela améliorerait même la qualité du jeu « les duels seront mieux analysés et seraient sanctionnés d’une autre manière ».
Du côté des entraîneurs le discours est le même, à l’image par exemple d’Adrien Daniele, coach de Wormeldange « Il y a des erreurs à chaque match et on ne peut pas en vouloir à l’arbitre qui fait de son mieux. Parfois c’est en notre faveur sur des hors-jeu par exemple, parfois en notre défaveur, mais finalement on ne peut pas dire qu’il y a un phénomène de compensation car chaque match est différent et peut avoir un impact sur le classement, donc au bout du compte les erreurs ne sont pas égales. » Certains entraîneurs confient devoir modifier leur plan de jeu, car jouer le hors-jeu par exemple est très compliqué avec un seul juge. Mais un point très important également, soulevé par Adrien, concerne la protection des joueuses « je déplore le comportement de certaines joueuses, certaines équipes. Chaque saison il y a de mauvais gestes, qui peuvent s’avérer très dangereux, mais qui ne sont pas sanctionné car l’arbitre ne peut pas regarder partout. Des joueuses qui sortent du match avec une entorse alors qu’elles n’ont pas la balle ce n’est pas normal » regrette l’entraîneur.
Alors pourquoi n’a-t-on toujours pas 3 arbitres en D1 féminines ?
Pénurie d’arbitre
Sergio Bras, arbitre au Luxembourg depuis déjà 6 saisons, a commencé dans le championnat dames. Pour la petite histoire, lui qui accompagnait son ami Steve Senisi entraîneur à l’époque au Racing Union Lëtzebuerg, a fini par se former et s’intéresser à l’arbitrage à force de « dépanner » chaque week-end. « Il y a une vraie pénurie d’arbitres au Luxembourg. C’est encore trop peu développé, il faut éduquer les joueurs et joueuses, leur donner envie de devenir arbitre. Il faut tout simplement se lancer, essayer. Peut-être que si les clubs sensibilisaient leurs équipes il y aurait plus de joueurs/joueuses qui tenteraient l’expérience. » La crise sanitaire est aussi passée par là et n’a pas aidé la situation. « La moyenne d’âge chez les arbitres au Luxembourg est assez élevée, et ce sont surtout ces arbitres-là qui officient chez les dames. Pendant la crise sanitaire du COVID beaucoup d’entres eux ont arrêtés alors qu’ils couvraient de nombreux matchs par semaine » analyse Sergio. Mais ce n’est pas tout… « l’arbitrage n’est pas toujours simple car il faut savoir se faire respecter et maitriser son match. Et parfois certains arbitres craquent. On peut démarrer une saison avec 10 arbitres et finir à deux… c’est déjà arrivé ». C’est pourquoi il tient à rappeler que « ce n’est pas si terrible que l’image qu’on s’en fait. Il faut juste être capable de se dire que lorsque nous rentrons sur le terrain, nous sommes les patrons et nous faisons abstraction de tout ce qui peut se passer en dehors. L’arbitrage te développe humainement et professionnellement : confiance en soit, prise de décision, autorité. Il faut le voir comme quelque chose de formateur et positif. Et en plus aujourd’hui en tant qu’arbitre on peut se faire autour de 1300€ de complément si on est disponible pour enchaîner les matchs ! » Un argument intéressant qui pourrait motiver les nouvelles générations à s’y essayer. Et c’est d’ailleurs dans ce sens que va la Fédération Luxembourgeoise de Football. Carine Nardecchia, première femme à être entrée au conseil d’administration, œuvre pour les dames et s’est attelée à ce dossier. L’objectif est de mobiliser le plus grand nombre en proposant de nombreuses dates de formation à travers des campagnes de sensibilisation. Son but étant de renouveler les départs et agrandir la liste d’arbitres disponibles. Elle en fait l’un de ses champs de bataille.
Des présidents de club qui ne jouent pas le jeu ?
N’y aurait-il pas aussi un effet de mode ? Et des clubs qui surfent sur le développement du football féminin et son image, mais qui ne sont pas prêts (ou n’ont pas les fonds nécessaires) à s’y investir pleinement ? Car finalement ce débat sur le nombre d’arbitre n’est pas nouveau dans le pays. Et s’il a déjà été l’objet de certaines réunions à la fédération, certains présidents de clubs n’ont pas voté la mise en place des trois arbitres, en raison d’un coût financier qu’ils ne sont pas tous prêts à assumer.
Il n’est pas toujours évident pour tout le monde de s’engager sur ces gros chantiers, en raison des situations de chaque club. Mais alors comment faire ? Réduire le coût, l’imposer ? Des questions qui sont loin d’être évidentes et résolues.
Et si pour Kelly (et beaucoup d’autres) il est important de « tendre vers une égalité homme-femme » beaucoup s’interrogent sur le fait qu’il y ai 3 arbitres en BGL chez les hommes, mais aussi en Promotion d’Honneur, la division juste en dessous, alors qu’il n’y en a pas en D1 féminine qui est le meilleur niveau du pays également. Mobiliser les arbitres de Promotion d’Honneur pour les mettre en D1 ? Pas sûre que cela soit du goût de tout le monde et que le problème soit résolu. Le mieux reste sans doute un gros coup de communication sur l’ensemble du Luxembourg pour faire naître des vocations… Alors futur(e)s arbitres, à vous de jouer !
Betty Noël
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