En cette journée de fin avril, tôt le matin, lorsqu’il prenait son petit déjeuner dans son hôtel liégeois en compagnie de ses coéquipiers et de son staff, Andy Schleck ne se doutait certainement pas encore du nouveau statut qu’il allait endosser quelques heures plus tard après avoir englouti les 261 kilomètres en 6 heures 34 minutes et 32 secondes (moyenne de 39,7 km/h). Il rêvait tout de même de ce scénario car il l’avait concédé la veille de manière très claire à la presse : « Je vais sur Liège-Bastogne-Liège pour gagner. Pour moi, finir deuxième, cela ne compte plus. C’est un succès que je veux, il est temps que j’en claque une. Je le sens, c’est le moment. » Ces propos forts et prouvant la détermination du jeune homme font notamment écho à sa place de second décrochée quatre jours auparavant sur la Flèche Wallone. Davide Rebellin de l’équipe Serramenti‑Androni Giocattoli l’avait alors battu de deux petites secondes sur la 73ème édition de la course qui prend son essence à Charleroi pour finir au terrible Mur de Huy.
Dans cette épreuve qui figure comme l’une des cinq « Monuments » du cyclisme avec Milan-San Remo, le Tour des Flandres, Paris-Roubaix et le Tour de Lombardie, l’Italien fait naturellement partie des favoris, auquel viennent s’ajouter les Espagnols Joaquim Rodriquez, coureur de la Caisse d’Epargne, et Samuel Sanchez, le puncheur de la formation basque Euskatel Euskadi, qui n’est ni plus ni moins que le champion olympique de Pékin 2008.
Le tableau demeure donc dense avec une concurrence aux dents aiguisées. Pas de quoi décontenancer ou stresser l’ancien champion du Luxembourg espoirs sur route et du contre-la-montre, meilleur jeune du Tour de France précédent, qui se tient au chaud du peloton tout au long de cette étape très venteuse mais dépourvue de pluie. Le Mondorfois est venu repérer les cent derniers kilomètres de cette course mythique avec une idée bien précise flanquée sous son casque de sa nouvelle formation qu’est la Saxo Bank : « Pour gagner, il faut que je passe à l’attaque. Je ne dois pas attendre le sprint. » Le cadet de la fratrie Schleck est un (jeune) homme de paroles et vient prouver qu’il tient ses promesses.A vingt kilomètres de l’arrivée, dans la Côte de la Roche-aux-Faucons, Schleck prend en main son destin. Pile poil à l’endroit secrètement voulu. Son accélération foudroyante pour sortir du groupe des favoris laisse pantois toute la concurrence. Le meilleur jeune du Giro 2007, formé du côté du SAF Zéisseng, revient à pleine bourre sur le local de l’étape Philippe Gilbert, qui avait contré en solitaire quelques kilomètres auparavant lorsque l’échappée matinale, avec en son sein le champion d’Europe Espoirs Cyril Gautier, avait été reprise.
Attaque fatale
Sorti à la pédale dans le tronçon du kilomètre vingt et ses terribles dix pour cent de dénivelé, le gaillard de vingt-trois ans se montre tout simplement meilleur que les autres. Il peut ensuite compter sur le dur labeur et le soutien de trois de ses équipiers, dont le dévouement total et filial de son ainé Frank, du Russe Alexandr Kolobnev et du Néérlandais Karsten Kroon. Les trois lieutenants sont là pour décourager tous ceux qui auraient encore espoir de mener une éventuelle poursuite. L’entente dans le groupe de poursuivants tarde à se dessiner et ne viendra finalement jamais. Probablement et en grande partie car les rupteurs sont au taquet, et surtout parce qu’Andy est au-dessus du lot. Dans le peloton, on le comprend assez rapidement et on se résigne alors à courir pour attraper la deuxième place.
Alors qu’Andy Schleck passe devant le stade Maurice Dusfrane du Standard de Liège et compte une minute et deux secondes d’avance sur ceux qui le poursuivent, il se remémore certainement son début de saison galère, rythmé par les pépins physiques. Son début d’année s’est avéré compliqué pour lui, perturbé dès le mois de janvier par une tendinite au tendon d’achille droit au cours du stage d’entrainement de la Team Saxo Bank à Majorque. Puis, une grippe est venue affaiblir son organisme en février en Californie. Dans la foulée, son genou gauche douloureux l’oblige à abandonner à la mi-mars « la course aux deux mers » qu’est le Tirreno-Adriatico.
Devant l’antre des « Rouches », il lui reste exactement neuf kilomètres à parcourir. Le fils de Johnny – deuxième de Liège-Bastogne-Liège en 1966 – et frère de Frank – troisième en 2008 – est bien parti pour faire mieux que les aînés de son clan et décrocher LA victoire de sa carrière.
A cinq kilomètres de l’arrivée, Schleck conserve un matelas confortable sur la concurrence. Avec une minute et dix-sept secondes d’avance, il n’est plus l’heure pour lui de prendre des risques de manière inutile. A part une crevaison, plus rien ne semble pouvoir arrêter le dossard 26 de la course mythique belge. Quelques instants plus tard, Andy Schleck s’approche un peu plus de son rêve alors qu’il passe sous la flamme rouge synonyme de l’ultime kilomètre. Les artères d’Ans, banlieue de Liège, sont noires de monde et voient débarquer à tout blinde un jeunot de vingt -trois ans sur son vélo Specialized blanc.
Sur les traces du Cannibale…
Le jeunot mondorfois, qui approche des 24 ans, figure encore comme un gamin sur le plan civil mais prend alors une autre dimension au sein du gratin mondial de l’Union Cycliste International. Avec une telle avance sur ses poursuivants, il peut se permettre de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur et relâcher un peu la machine pour savourer ces derniers hectomètres victorieux. Il franchit la ligne en vainqueur et vient succéder soixante-cinq ans après à Marcel Ernzer, dernier vainqueur grand-ducal sur Liège-Bastogne-Liège. Malgré les plus de 260 kilomètres dans les pattes et son dénivelé éreintant made in Ardennes Belges, Andy Schleck se montre encore très lucide lors de l’interview qui s’enchaine dans la foulée. Sa première réaction, après avoir été enlacé par son directeur sportif Bjarne Riis puis son frère Frank, est à l’image de son attaque dans la Roche-Aux-Faucons, limpide : « Je me suis senti bien tout au long de la course. Aujourd’hui, je crois que j’ai mérité ma victoire. La dernière ligne droite a été magnifique. J’avais prévu de fournir mon effort dans la côte de la Roche-aux-Faucons. J’ai pris 200 mètres, j’ai continué de pousser. J’ai pensé que Philippe Gilbert pourrait m’accompagner au moins jusqu’à Saint-Nicolas, Il n’était plus là lorsque je me suis retourné. »
Dans la Cité Ardente, Andy Schleck prend ce jour-là rendez-vous pour de plus gros évènements futurs. Il vient de passer une étape, un cap, qui est de celui de devenir ambitieux. Avec son talent indéniable qui saute aux yeux de la planète Vélo, il prend conscience qu’il peut être plus qu’un coéquipier modèle au service de son frère ainé Frank pour qui il s’est sacrifié un an auparavant sur cette même course et finissait quatrième.
En ce 26 avril 2009, l’émotion est à son paroxysme pour le petit Schleck qui a bien grandi. Il déclare sobrement : « Je gagne ce que je crois être la plus belle des classiques. Il va me falloir plusieurs jours pour comprendre ce qui m’arrive. » Car oui, Andy le Magnifique est entré dans la cour des Grands pour l’Eternité. Aux côtés des Eddy Mercxx, Bernard Hinault et autres Moreno Argentin. Historique.
Jocelin maire
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