Après la grève des joueurs à l’occasion du match Swift-Mondorf pour le compte de la 14e journée de BGL Ligue, les langues se sont déliées où chacun défend son pré carré, égratignant au passage un football grand-ducal qui n’en avait clairement pas besoin. Dessous d’une affaire qui révèle bien plus que la situation d’un club et pourrait mener à une révolution structurelle.
Dimanche 1er décembre 2024, 16h.
Scène surréaliste des 11 acteurs de l’US Mondorf sur la pelouse du stade Alphonse Theis attendant dans le froid leurs homologues visiteurs. Mais les portes du vestiaires resteront closes. Le Holleschbierg accuse le coup : match perdu par forfait face à la grève des joueurs de Da Costa, sonné. Une première qui fera date, et pas dans le bon sens.
Dès le lendemain, les téléphones s’affolent, la presse s’emballe, les témoignages se succèdent : joueurs anonymes, anciens du club, dirigeants, jusqu’à un communiqué de presse de la Ligue, qui « comprend et compatit pleinement avec les joueurs du FC Swift Hesperange » tout en leur promettant l’exil face à ce qu’elle considère comme un « chantage » ternissant l’image « du football luxembourgeois dans son ensemble, ce qui est à notre avis inconscient et inacceptable ». Ménageant la chèvre et le chou tout en se fendant d’un accord lunaire : « S’il y a des joueurs qui essaient par ce biais de mettre fin à leur contrat avec le Swift Hesperange, ils ne seront pas repris dans l’effectif d’un autre club de la LFL durant la période hivernale de transfert à venir. Ceci vaut pour chacun des joueurs du Swift Hesperange qui a figuré sur la feuille de match et qui a refusé de jouer. » Parias, donc. Face à des méthodes de mafia ? D’après le journal portugais Record qui se fait le relais de l’ancien joueur du Swift Jaime Simoes, actuellement à Santarém, ça ne fait aucun doute : « L’investisseur a envoyé son service de sécurité personnel au vestiaire pour proférer des menaces »… Édifiant ?
Quand bien même l’on voudrait se montrer plus mesuré, pour tous « la situation est grave », comme l’assène avec une forme de résignation l’ex-vice-capitaine du Swift Clément Couturier, désormais paisiblement installé à Villefranche en N1. « Bien sûr que mettre en danger le club, c’est difficile. Mais ça veut dire que la situation personnelle de certains joueurs est mise en péril. Et là je parle de payer les loyers, les factures, pour vivre au quotidien ! » Et il sait de quoi il parle, lui qui avait été mis au placard avec son capitaine Stolz en février après avoir fait grève dans le cadre d’un match amical en février. « Quand tu gagnes 2000€/mois, que c’est ta seule source de revenu et que le salaire ne tombe pas depuis trois mois, tu fais comment pour payer ton loyer et nourrir ta famille ? À Hesperange, on était quasiment tous professionnels : c’était notre seul revenu ! Je me levais tous les matins pour aller au travail au club. Quand à la fin du mois tu n’as pas ton unique source de revenu, ce n’est plus possible. »
Des conséquences financières mais aussi psychologiques, comme l’explique Maxime Deruffe, ex-joueur de la Jeunesse Esch : « Ça fait un désastre, ça peut ruiner une famille ! J’ai la chance d’avoir une épouse qui est une battante, mais aujourd’hui j’ai payé le prix fort pour avoir poursuivi mon engagement auprès de la Jeunesse et accepté certaines conditions qui n’étaient pas favorables. » En cause, des arriérés de paiement de salaires de la Vieille Dame, hérités de la gestion grecque notamment pour la saison 2021-2022. Et pour lesquels le comité actuel a mis un place un plan de sauvetage et d’apurement des dettes (y compris envers les joueurs), avec une forte réduction des dépenses « dont notamment la masse salariale, poste le plus important, réduite de 80.000€ lors de la précédente présidence à 35.000€ aujourd’hui ». Plutôt réussi puisque depuis le trou dans les caisses est passé « de presque 800.000€ à 375.000€ », toujours selon le président Marc Theisen, qui entend que chacun respecte ses engagements : « il faut évidemment que tout un chacun respecte ces accords. À défaut, et en privilégiant des créanciers vis-à-vis d’autres, c’est tout le plan de sauvetage qui s’écroule. (…) La clef du succès est une réduction massive de la masse salariale et la solidarité. Je crois qu’à la fin de la saison actuelle, la Jeunesse devrait pouvoir donner une toute autre image. » Avec notamment comme leviers d’action « l’échelonnement de certains arriérés d’indemnités et l’accord de quasiment tous les joueurs pour diminuer sensiblement leurs indemnités. » Son ancien joueur le concède : « l’année dernière, le salaire moyen était autour de 1500-1700€, aujourd’hui il doit être autour de 1000 [ndlr : 1300 d’après la Jeunesse]. Cet été, le club a été plutôt cohérent dans son recrutement : il n’a pas eu des prétentions à prendre des joueurs du dessus, et d’après mes informations, ils sont corrects dans le paiement des salaires cette saison. Mais ce qui n’est pas correct, c’est qu’il y a des joueurs qui sont restés et à qui ils doivent de l’argent de 2022. »
C’est là où le bât blesse : d’après les documents que nous nous sommes procurés, l’ancien avant-centre du club centenaire a contre-signé un « Accord quant aux arriérés de paiements de prestations de services » qui rembourse les sommes dues de la saison 21-22 par des mensualités de juillet 2024 à avril 2025. Pour 27 de ses ex-coéquipiers une « Convention concernant le paiement des indemnités et primes » reporte les indemnités de mai et juin 2024 à la fin de saison 24-25. Des avenants qui engagent les joueurs et dédouanent le club, malgré les démarches entamées par Deruffe auprès de l’UNFP : « Ma situation était catastrophique. Il faut savoir que quand vous êtes blessé, vous n’êtes pas payé… Vous recevez votre salaire le mois de la blessure et le mois suivant, mais après… rien. Quand vous êtes blessé cinq mois comme je l’ai été… Je me suis blessé en janvier, j’ai bien reçu mes salaires de janvier et février – très en retard, il faut le souligner – et derrière je n’ai plus rien eu. On a même refusé de me payer quand j’ai repris en phase de réathlétisation : c’est ce qui a entraîné ma résiliation de contrat. On m’a dit que je n’étais pas rentable… » Le président de la Jeunesse rappelle quant à lui avoir « réagi constructivement ensemble avec tous les concernés » et être « actuellement dans une phase de stabilisation financière et sportive », gardant sa porte « grande ouverte au dialogue ».
Quels sont alors les responsables du marasme actuel ? Pour Couturier comme pour Deruffe, au-delà des noms et de la gestion de certains clubs qu’ils n’hésitent pas à accuser de manquer de professionnalisme, ce sont les plus hautes instances qui sont défaillantes. L’ex-joueur du Swift espère « que la fédération mette son nez dedans. Comment c’est possible qu’un club qui a été sanctionné par l’UEFA, par la FIFA, continue de ne pas payer ses employés ou prestataires et que la législation luxembourgeoise ne dise rien ?! » Pour l’ancien joueur de la Jeunesse, « la FLF doit mettre le réveil. Tant que vous n’aurez pas instauré une DNCG, équivalente à celle de la France ou en Belgique, il y aura toujours des problèmes. Parce que la fédération ne réagit pas : j’ai tenté de l’alerter plusieurs fois par mail, je n’ai jamais eu de réponse. Les clubs ne sont pas une guinguette ou un club de pétanque : il faut des gens à plein temps pour les gérer. Une DNCG permettrait aux clubs qui sont bien gérés de s’en sortir, et les clubs qui n’ont pas été à la hauteur des exigences financières de repartir à zéro. » Et peut-être à un plus haut niveau politique de légiférer sur les conditions de contractualisation des acteurs du foot ? « Les contrats de louage, ça devrait être interdit », confie Deruffe. « J’ai appelé l’UEFA et l’UNFP, et on m’a dit que ces contrats-là ne devraient jamais exister. »
Puisqu’ils existent, il faut en tout état de cause faire avec. Contactée par la rédaction, la FLF n’a pas donné suite. On devra donc compter sur la bonne foi des dirigeants qui appellent dans le communiqué de la LFL à « réinstaurer un dialogue transparent et constructif afin de mettre en place une solution durable », ce que Maxime Deruffe remet clairement en question : « J’ai lu l’article sur le président de Differdange [ndlr : paru chez nos confrères du Quotidien le 3/12] qui m’a fait un peu grincer des dents : il dit que les joueurs doivent mouiller le maillot. Mais ça fait combien de temps que les joueurs du Swift, de la Jeunesse, de Mondercange ou Schifflange, continuent à jouer… Il dit qu’ils sont en train de tuer le foot : c’est l’incompétence et la mauvaise gestion qui tuent le foot, rien de plus ! À un moment, je comprends les joueurs, il faut frapper fort, tout faire péter et que ça reparte de zéro. » On serait tenté de le croire, tant l’état du foot luxembourgeois paraît champ de ruines. Pour Couturier, le mal est profondément enraciné : « c’est tout un fonctionnement qui est à revoir : on a l’impression que le club est géré n’importe comment. On se veut ambitieux, on se dote de joueurs qui viennent du milieu professionnel : c’est très bien. Mais le club doit faire le nécessaire derrière pour être professionnel. »
Tout n’est pas à jeter pourtant. Tous les clubs ne sont pas à mettre dans le même panier. Certains font avec les moyens du bord, en se serrant drastiquement la ceinture comme le Fola ou la Jeunesse. En comptant sur la solidarité de tous les acteurs, sponsors, supporters, joueurs, staff. Et un Maxime Deruffe désabusé de le reconnaître : « Il y a quand même des clubs qui travaillent bien, qui sont stables : Mondorf, Strassen… Ce sont des clubs structurés, qui font avec les moyens qu’ils ont, qui ne font pas plus que ce qu’ils ont, et ça se passe très bien. » Un constat partagé par son ancien président : « Maxime a raison sur ces clubs. À la Jeunesse, on veut y arriver et on y arrivera car on a restructuré le club avec des ambitions réalistes. On revient de très loin, d’un début de fiasco qui a nécessité et nécessite encore des sacrifices. »
« Si vous connaissez le foot, vous devez savoir qu’avoir des prétentions en championnat et vouloir rattraper des dettes, c’est incompatible. Si vous voulez une équipe compétitive, il n’y a pas de secret : il faut de l’argent. » Le nerf de la guerre, mais aussi du sport, même amateur. Surtout d’un sport qui se voit semi-professionnel et dont « tous les clubs vivent une réalité économique compliquée et marquée par des difficultés financières croissantes » selon sa Ligue. La situation est grave, oui. Et pas prête de s’arranger ? Pas si sûr. Déjà abordé par le président de la FLF lors de son passage dans l’émission du Club House le 13/11, Marc Theisen se veut optimiste au sujet du statut du footballeur rémunéré : « Les choses vont enfin bouger sérieusement du côté du gouvernement : le ministre des Sports a déposé un avant-projet de loi pour donner toutes les garanties aux joueurs. » Le but avoué étant « que notre football en général se remette en question et que chacun se demande : quel football veut-on ? Mon ami de longue date Paul Philipp ne manquera sûrement pas de se mettre à table pour en discuter. En tout cas, la sonnette d’alarme est tiré. » Tout le monde semble d’accord. En interne à la FLF, on réclame une prise de conscience collective. Il faut réformer notre football, il ne reste plus qu’à faire parler les actes. Car on ne pourra pas dire qu’on n’était pas prévenu.
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