Scottie Scheffler a dominé d’une main de maître le dernier Masters d’Augusta, raflant la victoire d’un style conquérant, et sans jamais laisser la moindre chance à ses poursuivants de croire en un potentiel retour. Une victoire qui consacre le numéro 1 mondial, qui ne sera pas resté au sommet du classement mondial sans titre en masters très longtemps. Pour autant, malgré toutes les louanges envers le golfeur, est-il capable de maintenir son statut de number 1 ? Rien n’est moins sûr.
C’était la cerise sur le gâteau. Le clou du spectacle. La consécration. La confirmation. En dominant de main de maître le Masters d’Augusta, Scottie Scheffler a, treize jours après avoir ravi la première place mondiale, su se débarrasser de l’étiquette du meilleur joueur du monde sans Masters dans la poche. Et force est de constater que le prodige américain, né au New Jersey puis élevé dans le Texas n’y est pas allé de main morte. Une domination constante chaque jour du tournoi, à l’image de ce chip entré dans la légende lors du trou n°3.
Scheffler, au-delà de ce formidable succès brise les records, ou du moins les égalise. Il est dorénavant le seul avec Tiger Woods a avoir réussi à remporter quatre titres dans la même année, dont un WGC et un Masters. Il devient aussi le cinquième golfeur à remporter un Masters sous la peau d’un numéro 1 mondial. Bref, cette victoire est tout sauf le fruit du hasard pour un joueur qui ne fait que grimper depuis maintenant plus d’un an.
Ainsi, les gens vont vite à enchaîner les superlatifs pour décrire ses performances. Et celles-ci le méritent. Mais lorsque que la vox populi atteste avec certitude qu’il sera difficile de briser son hégémonie, il suffit de regarder l’histoire récente pour voir que c’est bien plus compliqué que cela. Depuis l’avènement de Spieth en août 2015, ravissant la place de « meilleur mondial » à Mclllroy, le titre de numéro 1 mondial a changé de propriétaire. Par vingt fois, le règne du nouveau roi n’a pas duré plus de quatre semaines.
Il n’est pas osé de dire qu’il y a eu un avant et après Woods. Le fameux Tiger effect, dont tant parle a indéniablement changé la donne dans l’histoire du golf. Jamais un golfeur – voire un sportif – n’avait il eu tant d’influence sur les plus jeunes générations, avides de déambuler les parcours et soigner leur drive aux âges les plus précoces. Ainsi, Woods a d’une certaine manière, crée un embouteillage. Et surtout, empêche le moindre vainqueur de pouvoir rentrer dans une forme de relaxation, au risque de perdre son statut inéluctablement. Patrick Cantlay, ancien numéro un mondial, se souvent du jour où Harold Varner lui a pris sa place. « Je lui ai dit de fêter ça, mais pas plus de quelques jours. Et je lui ai conseillé de retourner très vite et très fort à l’entraînement. Ce n’est pas qu’il n’avait pas le droit d’être heureux et de célébrer. Mais c’est qu’il était indispensable de se reposer et de retrouver cette rage à nouveau. Car sinon, son règne ne pouvait réellement continuait. Tous les poursuivants ont très, très faim, et ont tous un talent absolument monstre. »
La décompression est un phénomène parfaitement naturel dans le monde du sport, ou tout simplement de la vie. Après avoir dépensé tant d’efforts, effectué tant de sacrifices, enchaîné tant de tournois, moments douloureux et incertains, atteindre son but ne peut qu’impliquer une certaine relaxation par la suite. C’est humain. Et c’est aussi en cela que Tiger Woods continue de fasciner, tant d’années après son hémégonie. Car de par son attitude, le golfeur se rapprochait bien plus de l’androïde que d’un être fait de chair et de sang comme nous.
Dans ses résultats, Scottie Scheffler se rapproche indéniablement de Tiger. Avec cette victoire au Masters d’Augusta, le Texan signe son quatrième succès sur ses six derniers départs. Des statistiques vertigineuses, que Woods a signé à plusieurs reprises dans sa carrière, lui permettant ainsi de maintenir sa position de numéro 1 mondial inviolable. Ainsi, le golfeur le plus connu au monde aura réussi à conserver le sommet du classement entre le 12 juin 2005 et le 30 octobre 2010, soit 281 semaines consécutives. En tout, il aura maintenu le statut de number 1 683 semaines. Une situation qui apparait tout bonnement impensable aujourd’hui.
SI Scheffler semble avoir conservé une folle motivation et un niveau de jeu impressionnant, potentiellement suffisant pour continuer de dominer la concurrence, ce sentiment n’est pas nouveau et a déjà été ressenti par de nombreux observateurs de la discipline. Beaucoup ont pensé que Spieth serait intouchable, après avoir remporté deux Masters pour commencer l’année 2015. D’autres ont appliqué le même le raisonnement envers Koepka, lorsqu’il remporta quatre de ses huit majeurs disputés entre 2017 et 2019. Il y a ceux qui ont cru en Jon Rahm, et Cantlay… Ce dernier, justement, s’est livré sur le sujet à golf digest : « Personne n’a vraiment été capable de maintenir une course au sommet du classement mondial pendant très longtemps, ce qui est différent de l’époque précédente où Tiger semblait dominer le classement mondial et n’était peut-être que brièvement interrompu de temps en temps, généralement en raison d’une blessure », a t-il noté. « Je pense que c’est un paradigme différent pour le sport avec des gars qui deviennent chauds pendant certaines périodes de temps… et puis quelqu’un d’autre prend le relais. »
Le golf a t-il changé à jamais ? Il n’est pas aisé de le dire. Mais ce qui est certain, c’est que les dernières années démontrent qu’une ruée vers la suprématie après le long règne de Tiger Woods s’en est suivie. Scheffler est un homme qui aime vivre dans l’instant. Il y tient, en fait. Où a-t-il appris ça ? En regardant la victoire de Tiger au Masters de 1997 sur YouTube. Appelez cela une leçon d’histoire : Scheffler avait 10 mois au moment où Woods a triomphé par un ridicule total de 12 coups d’avance. « Je me souviens d’avoir regardé les moments forts de sa victoire en 1997, avec une telle avance, et il n’a jamais vraiment brisé sa concentration », a déclaré Scheffler, qui a admis qu’il portait une chemise cette semaine qui ressemblait à celle que Tiger avait portée. « C’est quelque chose que je me suis rappelé aujourd’hui. J’ai essayé de ne pas lever les yeux. J’ai essayé de garder la tête basse et de continuer à faire ce que je faisais parce que je ne voulais pas briser ma concentration. La minute où je l’ai fait était sur le green 18 quand je suis finalement arrivé là-bas et j’avais une avance de cinq coups et je me suis dit: « D’accord, maintenant je peux en profiter. » Et vous avez vu les résultats de cela. Merci, Tiger. »
Donc, c’est la tête baissée maintenant et on avance pour le nouveau membre du club des grands gagnants. Bonne idée. Néanmoins, l’éventail de talents alignés contre lui est indéniable. Non pas qu’il ne le sache pas déjà ; ils ont été les obstacles à son succès jusqu’à très récemment.
Là encore, il est difficile de prédire qui sera la prochaine menace. Il n’a peut-être pas encore atteint le PGA Tour. Il y a quatre ans, Scheffler avait besoin d’un up and down sur le dernier trou du tournoi de qualification du Korn Ferry Tour pour terminer T-34 et gagner sa carte. Il s’est converti, a remporté le titre de joueur de l’année tout en gagnant sa carte PGA Tour, et maintenant il est le n°1 mondial avec une veste verte.
Alors, oui, Scottie Scheffler est le nouveau roi du golf. Mais c’est une couronne particulièrement dur à porter. « C’est vraiment difficile de rester là-haut pendant longtemps », a déclaré Rahm. « Certains joueurs ont été capables de le faire, mais c’est juste que le prochain gars arrive, devient chaud, et voilà. C’est une belle partie de l’âge d’or du golf dans lequel nous vivons en ce moment ».
Si la lutte pour la position ultime paraît dorénavant plus féroce que jamais, et que la durée de règne sur le trône d’un nouveau roi semble plus précaire que jamais, il n’y a pas là quelque chose à critiquer. Au contraire, cette incertitude globale s’explique par une génération de joueurs plus talentueux que jamais et à l’appétit vorace. Un contingent de golfeurs qui luttent tous pour le graal, paradoxalement après avoir tous grandi en voyant une domination incontestée d’un certain Tiger Woods. Une nouvelle preuve, s’il en faut une, que l’empreinte de la légende de ce sport reste plus évidente que jamais. Alors que son retour sur le parcours d’Augusta a déchaîné la passion des médias et autres observateurs, il n’est pas si poussé de penser que la victoire de Scottie Scheffler est, d’une certaine manière, aussi la sienne. « Merci, Tiger ».
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