Pierre Gricius : « J’ai présenté Mandela au Grand-Duc »
« Tu as refait le total ? On est bien à dix ? » Le compte est bon, Pierre ! De 1988 à 2012, sans discontinuer et parfois à raison d’une double dose dans l’année lorsque les Jeux d’hiver et d’été se chevauchaient la même année.
L’histoire a débuté en 1988 à Calgary, où Marc Girardelli représentait le Luxembourg pour la première fois. « Il n’a rien fait de bon parce qu’il revenait de blessure. Ce qui m’a le plus marqué, c’est ma rencontre avec Marc Habscheid, un hockeyeur canadien dont les parents sont nés au Luxembourg. Je voulais une interview, mais il fallait payer à l’époque. Alors, avec Marc, on est allé prendre un café et on a fait semblant de rien. Mais j’ai fait mon interview. Gratuitement ! »
D’abord free-lance puis engagé par le Luxemburger Wort à partir de 1985, Pierre Gricius garde une place précieuse dans sa mémoire pour les Jeux de Séoul, en 1988. Pour deux raisons. « La première, c’est la cérémonie d’ouverture, qui est toujours un temps fort des Jeux. C’est Son Ki-Jeong qui a allumé la flamme. Il avait remporté le marathon des Jeux de Berlin en 1936, mais il devait, à l’époque, défendre les couleurs du Japon qui avait envahi la Corée du Sud. Il a baissé la tête lors de l’hymne national japonais et est devenu un symbole de la résistance coréenne. À Séoul, un petit garçon poussait un cercle avec une baguette pour représenter l’avenir, et lui symbolisait le passé. Comme quoi, avec peu de moyens, on pouvait faire frissonner un stade de 80.000 spectateurs. »
Quelques jours plus tard, place aux compétitions, et Pierre Gricius n’est pas au bout de ses surprises. « Danièle Kaber disputait le marathon. On se disait qu’elle pouvait flirter avec un top 10. J’étais dans le stade, mais rapidement, la réalisation coréenne ne s’est attardée que sur les premières filles. Or, Dany était dans un petit groupe un peu plus loin, et je ne savais pas du tout où elle en était. Ce n’est que lorsqu’elle est rentrée dans le stade que j’ai vu qu’elle était septième. Il ne lui restait que 300m à parcourir. Elle était persuadée de devoir encore accomplir un tour. J’étais au premier rang et je lui ai crié que c’était fini. » L’exploit était d’autant plus fort que son entraîneur, André Schepens, ne jurait que par le 10.000m. En avril, Dany Kaber avait pulvérisé le record national au marathon de Hambourg pour s’ouvrir le chemin de la capitale coréenne. « Peu après la course, je l’ai conduite à une cabine téléphonique pour qu’elle appelle son copain, Marc Agosta, pour lui raconter son exploit. » Il restait toutefois un sacré problème à résoudre pour le rédacteur. « Nous n’avions pas de photographe et je m’étais arrangé avec un confrère allemand. Celui-ci avait décidé de prendre un vélo pour couvrir la course, mais il s’est retrouvé coincé par les officiels qui ne lui ont pas donné l’accès nécessaire. On s’est donc retrouvé sans photo et on a demandé à Dany de revenir le lendemain avec son dossard sur la piste pour quelques allers-retours, qui appartiennent désormais à la légende. »
D’exploit, il n’en sera pas question à Barcelone, quatre ans plus tard. Ce qui n’empêche pas le journaliste de raconter sa plus belle anecdote. « Je me promenais aux alentours du bassin de natation en attendant la course de Yves Clausse. Soudain, je vois une Mercedes s’arrêter et Nelson Mandela en descendre. Il n’était pas encore président en 1992, mais allait le devenir deux ans plus tard. Cela ne faisait déjà plus aucun doute. Il vient vers moi et regarde mon accréditation. Il me demande si je peux le conduire à sa place. ‘Pas de problème, monsieur Mandela !’ Et soudain, toutes les portes se sont ouvertes, même celles auxquelles je n’avais pas accès. En passant dans la tribune, je lui présente le Grand-Duc Jean, venu voir la natation lui aussi. Il s’est finalement assis à ses côtés pour suivre les compétitions. »
Pierre Gricius a aussi vécu quelques moments sombres, dont l’attentat des Jeux d’Atlanta, en 1996. « J’avais terminé assez tard ce soir-là et mon hôtel était à 1h30 de route du centre de presse. Je suis arrivé très tard et à la place de regarder la TV comme les autres soirs, je me suis mis au lit tellement j’étais épuisé. Le lendemain matin, le téléphone sonne. C’était Marcel Kieffer, de la rédaction à Luxembourg, qui me demandait si j’allais bien. Je lui ai demandé pourquoi ça n’irait pas, et il m’a informé de l’attentat dont je n’avais pas encore pris connaissance. »
Pierre Gricius a couvert ses derniers Jeux en 2012 à Londres. Il avait déjà pris sa retraite depuis quelques années, mais la passion du sport ne l’avait jamais quitté.
Pilo Fonck : « Le premier à annoncer la prise d’otages de Munich »
Des dizaines de photos au mur, des flambeaux reliés et bien rangés et des pense-bêtes pour ne rien oublier. La passion du sport est intacte chez Pilo Fonck, qui compile neuf Jeux olympiques. Sept d’été et deux d’hiver.
L’aventure a débuté à Mexico en 1968 et le chapitre s’est refermé en 1994 à Lillehammer. « Bien sûr que je retiens l’exploit de Dany Kaber à Séoul, en 1988 », raconte la voix de RTL pendant des dizaines d’années. « J’aime beaucoup raconter aussi l’histoire de Roland Bombardella aux Jeux de Montréal en 1976. Sa présence était liée à la réussite de son examen de fin d’études. J’avais joué les intermédiaires car j’avais de bonnes relations avec son papa. Ses notes n’étaient pas mirobolantes au premier trimestre, mais il a réussi son pari avant de m’annoncer qu’il allait dans la foulée passer son examen à Bruxelles pour entrer à l’école militaire.» La préparation du sprinteur se retrouvait ainsi amputée de deux semaines et son entrée en matière au stade olympique n’a pas marqué les esprits. « Les séries du 100m sont marquées par plusieurs faux départs et il ne passe pas le cut pour quelques centièmes. »
L’enfant terrible de la FLA est l’objet de quelques railleries, mais il remet rapidement l’église au milieu du village en explosant le record national du 200m et en se qualifiant pour les demi-finales. « Il finit 6e de sa demi-finale et prend une superbe 11e place. »
La « Bomba » n’est pas le seul exploit vécu de l’intérieur par celui qui a cumulé les casquettes dans le sport grand-ducal à côté de son travail de journaliste. Membre du conseil d’administration du COSL sous les présidences Link, Barthel, Rasquin et Haupert, Pilo Fonck a également fréquenté assidûment plusieurs commissions qui ont aiguisé sa parfaite connaissance du sujet.
Des émotions, il allait encore en vivre à Sydney en 2000, lorsque Nancy Arendt, une athlète qu’il appréciait particulièrement, allait crever l’écran. « Elle avait participé aux Jeux de Séoul en 1988 en natation sans briller outre mesure avant de bifurquer vers le triathlon. ‘Nänz’, c’était une dure au mal, et pendant un an avant l’échéance de Sydney, elle s’est infligé des heures de dur labeur en compagnie d’un entraîneur australien. » Pilo Fonck n’est dès lors pas étonné de la voir aux avant-postes dans la chaleur. « Et encore ! Elle avait dû enfiler une combinaison en néoprène, alors qu’en maillot normal, elle aurait pu distancer des rivales. Elle finit 10e. 5e européenne. »
Des anecdotes, Pilo Fonck en a quelques-unes dans sa besace aussi. « À Mexico, j’avais sollicité l’aide de camp du Grand-Duc pour avoir une interview. Refusée ! J’ai insisté et je l’ai enfin obtenue. Je suis allé dans l’hôtel du Grand-Duc et nous avons discuté de tout pendant deux heures. Je me suis alors rendu compte de la fine connaissance du sport luxembourgeois de Son Altesse Royale. À un moment donné, on frappe à la porte. C’était la Grande-Duchesse qui venait rappeler à son époux qu’ils étaient attendus au musée. Et moi, je n’avais toujours pas fait l’interview. Heureusement que le Grand-Duc m’a redonné un nouveau rendez-vous… »
Quatre ans plus tard, c’est un tout autre type d’émotion qui attendait le reporter. Arrivé comme à son habitude à 6h du matin au centre de presse à Munich, il remarque une agitation peu commune dans le village olympique avec l’arrivée d’une cohorte de motards. « J’ai téléphoné de suite au chef de mission, Ferd Wirtz, qui m’a confirmé la prise d’otages des athlètes israéliens qui se trouvaient en face du pavillon luxembourgeois. J’ai appelé la rédaction pour en parler dès 6h30, mais on ne me croyait pas car aucune dépêche ne faisait état de ça. Et pour cause… ça venait de se passer. Du coup, j’ai été le premier à en parler sur les ondes. » Le commando « Septembre noir » a jeté un froid sur des Jeux qui se poursuivront finalement jusqu’à leur terme.
Les performances de Marc Girardelli ont aussi poussé le journaliste à se rendre à Albertville, puis à Lillehammer en 1994. « Girardelli n’était pas à prendre avec des pincettes en France tellement il était furieux d’avoir manqué la médaille d’or. En Norvège, ce fut tout le contraire. Il était abordable et j’avais noué de bonnes relations avec son père, au point qu’il m’invitait souvent à manger le soir d’excellentes pâtes. C’était un bon cuistot. Il tenait un hôtel au Liechtenstein. » Le skieur n’est pourtant pas parvenu à monter sur le podium, signant une quatrième place en Super-G, un cinquième rang en descente et une neuvième place au combiné. « Cela ne récompensait pas le travail de titan qu’il effectuait en compagnie de son père tous les matins dès 5h. Marc n’avait pas toujours bonne réputation, mais chaque année, il offrait des cadeaux de milliers de francs à la fédération pour les jeunes. »
Petz Lahure : « Des policiers sur le balcon à Moscou »
Deux jours à Grenoble en 1968 pour prendre la température, puis le grand saut à Munich, quatre ans plus tard. Petz Lahure rêvait sans doute d’un baptême du feu moins mouvementé. « Il y a l’attentat et les informations qui nous parvenaient au compte-gouttes, en raison notamment de la situation géographique du pavillon luxembourgeois, à quelques encablures de celui des Israéliens, mais je retiens autre chose de ces Jeux, se souvient celui qui a débuté en 1965 au Tageblatt et qui compile une douzaine de Jeux. La cérémonie d’ouverture m’a touché. Loin de celles d’aujourd’hui. Bien plus humaine. Chaque pays entrait sur une musique qui le symbolisait. » Et le ‘Auprès de ma blonde’ qui accompagnait l’entrée de la délégation française a ému l’actuel président des journalistes au pays. « Je peux aussi parler des exploits sportifs, bien sûr. De Bombardella à Montréal qui atteint les demi-finales et finit 3e européen, derrière notamment l’Italien Pietro Mennea, à Nancy Arendt, 10e à Sydney», poursuit le rédacteur, qui voue un amour immodéré au cyclisme. « La 6e place de Kim Kirchen à Athènes en 2004, c’est aussi un grand moment. Il pouvait prétendre à mieux, mais ils se font piéger par quelques coureurs, dont Axel Merckx. C’était un peu une loterie. » Quatre ans plus tard, c’est Andy Schleck qui échoue au pied du podium après le déclassement de Davide Rebellin. « Mais vous savez que ce résultat n’est pas encore entériné ? Certains échantillons doivent encore être analysés », raconte celui qui a assisté à cette course en ligne qui a vu Fabian Cancellara revenir sur son équipier de Mondorf au pied de la dernière bosse.
Ces Jeux de Pékin ont détoné à plus d’un titre. « Je n’avais pas réservé d’hôtel un an à l’avance comme tout le monde, mais je suis allé dans la capitale chinoise au mois de mai, avant les Jeux, pour un congrès. J’en ai profité pour réserver un hôtel qui allait m’accueillir à bras ouverts. Le directeur m’avait même proposé plusieurs chambres, raconte Petz Lahure. Quand je suis arrivé pour les Jeux, je me présente à l’hôtel, on me fait patienter et le directeur arrive, me paie un verre au bar et me dit que je ne peux pas rester ici. Imaginez mon étonnement ! Il me réconforte en disant qu’il m’a réservé une chambre quelques dizaines de mètres plus loin, dans un autre établissement. Je ne comprends rien à ce qui se passe, si ce n’est que la police refuse que je dorme dans le premier hôtel. » Le mystère s’éclaircit un peu plus tard. Tous les journalistes sont regroupés dans des hôtels officiels… et donc en quelque sorte sous surveillance.
S’il garde un souvenir ému de Munich, Petz Lahure se montre nettement moins enthousiaste quand il évoque Rio 2016. « Ce sont les Jeux les moins bien organisés auxquels j’ai participé. Les bénévoles n’étaient pas briefés pour nous aiguiller et certaines épreuves en chevauchaient d’autres. Lorsque Van Niekerk a remporté la médaille d’or en battant le record du monde du 400m, le stade était encore en train de faire la fête à Usain Bolt. Sans parler des décathloniens, qui n’ont même pas pu faire un tour d’honneur alors que partout ailleurs ils étaient considérés comme les dieux du stade. »
Parfois contraint de rester à la rédaction d’où il a couvert les Jeux de Mexico ou encore d’Atlanta, Petz Lahure s’est aussi aventuré sur ceux d’hiver à Innsbruck en 1976, où Franz Klammer fait chavirer la foule de bonheur.
Sa présence dans les instances mondiales du journalisme l’a aussi conduit à rencontrer de grands athlètes lors de différents congrès. Il se souvient notamment de la légende de l’athlétisme américain Edwin Moses, « un homme d’une grande simplicité », ou encore de Nadia Comaneci, dont il a pu apprécier les performances en direct à Montréal en 1976, lorsqu’elle a récolté la note de 10. « J’ai fait un article bien des années plus tard sur cette note de 10 et on a fait connaissance par l’intermédiaire d’un confrère roumain », poursuit celui qui a aussi côtoyé Elena Isinbayeva.
De sa boîte aux anecdotes, Petz Lahure en exhume volontiers quelques-unes. « J’ai toujours eu de bonnes relations avec la cour grand-ducale. Lorsque j’ai reçu une torche olympique grandeur nature comme ‘vétéran’ des Jeux, le Grand-Duc Henri est venu me féliciter à Rio. Et à Munich, j’ai partagé mon petit pain avec la Grande-Duchesse Charlotte alors que j’arrivais dans la salle réservée à l’escrime. » Enfin, Petz Lahure se rappelle qu’il était l’un des rares rédacteurs luxembourgeois présents à Moscou alors que le gouvernement avait appelé le pays à boycotter les Jeux. « Le COSL n’était pas de cet avis et avait envoyé trois athlètes. Je logeais à l’hôtel Rossiya, qui devait abriter 4 à 5.000 chambres. Chacune comportait une sorte de balcon et les policiers patrouillaient partout. Alors, imaginez ce que ça faisait de se lever le matin en voyant un policier marcher sur son balcon… »
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