Plus de 10% de la population licenciée, 53.000 personnes qui peuplent dix-huit îles isolées dans l’Atlantique-Nord, mais qui vibrent aux abords des nombreux terrains construits à flanc de colline et au milieu des fjords : difficile d’incarner mieux le football que sur le sol accidenté des Féroé. La preuve en images.
L’un ne va pas sans l’autre. Qu’il soit blanc, gris, orange ou bleu, mou ou dur comme la roche, il y en a toujours un qui traîne. Partout, par tout temps et jusque dans les coins les plus reculés. Aux Îles Féroé, c’est plus qu’une passion, c’est une tradition séculaire. S’il y a un terrain, dimensions Ligue des Champions ou FC Lidl, il y a obligatoirement un ballon. Et vice-versa. « Notre championnat de première division masculine a démarré en 1942 et a toujours été jouéedepuis, sauf en 1944… Parce qu’il n’y avait plus de ballon. C’était la guerre et il était donc impossible d’en importer de nouveaux. C’est peut-être la raison pour laquelle il y a toujours des ballons qui traînent : on ne veut plus que ça arrive. » Paetur Clementsen se marre, puis lâche sa casquette imaginaire d’historien du cuir féroïen. Les Britanniques n’occupent plus l’archipel, les Danois le possèdent toujours, mais les premiers voisins sont tellement loin que l’urgence se situe plutôt dans le choix du café. Moulu et bien chaud.
Demain ne meurt jamais
Au deuxième étage du siège de la Fédération (FSF), un bâtiment en verre incrusté dans le flambant neuf Tórsvøllur, le directeur technique national accueille en pantoufles-chaussettes, affublé d’un tee-shirt à la mention qui en dit long : « Today has been cancelled ». La formule pourrait figurer sur les armoiries des Îles Féroé, perdus entre l’Islande et la Norvège, surtout tributaires de la brume, des vagues et des tempêtes de l’imprévisible Atlantique-Nord. Plutôt piano piano que Demain ne meurt jamais. Aux murs du bureau de Paetur, un poster d’Einstein côtoie les dessins de sa fille et Clementsen père n’est pas peu fier. Non pas que la progéniture soit destinée à une carrière profilée par la mécanique quantique ou les coups de pinceaux, mais force est de constater que tout roule dans le ballon féroïen. Si le TB, premier club du pays, signe son acte de naissance dès 1892 – la même année que Liverpool, Newcastle ou Liège – la fédération n’est fondée qu’en 1979, la FIFA rejointe en 1988 et l’UEFA deux ans plus tard. Un siècle à placer les Féroé sur la mappemonde, les fixer dans l’esprit des fans de foot, longtemps bloqués sur le « Miracle de Landskrona » (une victoire 1-0 sur l’Autriche pour leur premier match officiel en Suède, le 12 septembre 1990, ndlr), sinon sur les branlées infligées à ces amateurs des confins de l’Europe, mués en sparring-partner pour 90 minutes, souvent pêcheurs, dockers ou électriciens dans la vie réelle.
Le flanc d’une colline
Il aura fallu transformer les terrains de sable en synthétiques chatoyants, qui sont parfois le centre du village, le premier pas vers l’océan, le flanc d’une colline. Il aura fallu construire des ponts et des tunnels pour connecter l’essentiel des dix-huit îles de l’archipel, dont les bleds les plus isolés disposent tous, ou presque, d’une agora financée par les programmes de l’UEFA. Si bien qu’un village féroïen sans terrain n’est pas vraiment un village féroïen. Il aura fallu un coup de baguette magique de Lars Olsen, l’ex-sélectionneur, capable de provoquer le C4 éclair du Mister Ranieri, par la grâce d’une victoire en Grèce. Les Féroé deviennent alors l’équipe nationale la plus performante de la planète, en termes de points FIFA récoltés par habitants, selon un algorithme obscur partagé par These Football Times, en 2017. Aujourd’hui 53.000 à peupler les îles, ils comptent parmi eux près de 5.500 licencié.es, soit plus de 10% de la population. Autant de personnes à se passionner pour l’élite semi-professionnelle, le récent succès dans la version D de la Ligue des Nations, les exploits télévisés de Jóan Símun Edmundsson, premier buteur féroïen en Bundesliga, mais aussi pour le foot féminin, nouvelle priorité de la Fédé, consciente d’avoir atteint le plafond de verre chez les hommes. Logique : l’un ne va pas sans l’autre.
Texte et photos : Emilien Hofman & Nicolas Taiana
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