Tiago Pereira : expérience et continuité

9 minutes
Tiago Pereira
Albert Krier

À seulement 31 ans, Tiago Pereira fait paradoxalement partie des doyens dans le monde du football féminin au Luxembourg. Passé par le Racing, le Fola et Mamer, l’entraîneur entame une nouvelle aventure, cette fois-ci dans la peau de l’entraîneur de la Jeunesse Junglinster. Un nouveau défi pour le Lusitanien qui, comme toujours, avance avec de grandes ambitions.

Peut-on être le plus jeune coach d’une division et avoir une expérience digne des plus grands ? Apparemment oui. C’est en effet le cas de Tiago Pereira qui, depuis de nombreuses années, officie au sein de la Ligue 1 Dames. Une aventure qui aura vu l’entraîneur passer par de nombreux clubs avec, à chaque fois, son lot de réussites, de déceptions et de souvenirs forts. 

À voir la trajectoire du nouvel homme fort de la Jeunesse Junglinster, la transition entre le football masculin et féminin n’est pas nécessairement évidente. Un changement que l’intéressé explique, repartant de la genèse de son aventure : « J’ai fait toute ma formation au RM Hamm Benfica, des pupilles aux cadets, pendant six ans. J’ai alors reçu l’invitation au cours de la saison du Racing féminin, alors que je m’occupais des cadets au RM Hamm. Le club était en Ligue 1 Dames et avait deux points, à l’avant-dernière place. Cela m’intéressait. La deuxième partie de saison, j’ai donc combiné les deux. Je m’occupais des deux entraînements. Le samedi, j’étais sur le bord de pelouse pour les dames, et le dimanche, pour les cadets. J’ai tellement aimé ce travail d’entraîneur chez elles que je voulais continuer. Je me suis alors consacré à temps plein au football féminin. »

Un lancement, donc, au sein d’une écurie qui était alors loin d’être le mastodonte qui écrase tout sur son passage. Un changement de dimension qui s’expliquerait par l’arrivée de Pereira, qui avance avec de grandes ambitions pour son nouveau club. « Quand j’ai pris le Racing il y a cinq ans, en 2018, au premier entraînement, il y avait six joueuses. On était avant-dernier, il restait onze matchs et il n’y avait personne. Le club pensait à annuler l’équipe féminine. Ma seule recrue était Julie Wojdyla, qui nous a d’ailleurs énormément aidé. J’ai essayé de motiver les joueuses et finalement, nous nous sommes maintenus tout en allant jusqu’en demi-finale de la Coupe contre Junglinster, tout en jouant parfois avec des joueuses de l’équipe cadette. La direction m’a alors proposé un contrat d’un an de plus. J’ai accepté, et c’est à partir de là que toutes les grandes joueuses sont venues. À ce moment-là, tout s’est accéléré pour le Racing, qui en est arrivé là où il est aujourd’hui. »

Ainsi, après avoir hésité à supprimer son équipe du championnat, le club de Luxembourg-Ville fait un demi-tour complet et prend la décision d’investir massivement, y compris dans le recrutement à l’étranger. Un changement de cap qui enthousiasme le coach, peut-être un peu trop. Au four et au moulin, Pereira – qui a reçu « carte blanche » de la part de sa présidente – s’emballe, beaucoup. Jusqu’à commettre l’irréparable. « J’ai eu carte blanche de la présidente pour recruter à gauche et à droite, mais j’ai fait une erreur… J’étais tout seul à faire ce boulot, peut-être fatigué, c’était une très grande charge mentale et physique. J’ai commis un impair en disant à certaines joueuses qu’elles pourraient avoir une rentrée d’argent de la part du club. Je ne pouvais pas faire ça sans avoir la signature du club. Tout le monde se trompe parfois, et là, c’était moi. L’aventure s’est donc arrêtée après ça. J’étais vraiment dégoûté, car j’estime avoir beaucoup donné pour le club quand il était en difficulté. Je voulais trop en faire, je me suis laissé emporter, et ça m’a coûté très cher. »Un départ forcé, aux allures de crève-cœur pour l’entraîneur, qui cherche alors un nouveau projet. 

Ce dernier ne tarde pas à venir, puisque quelque temps plus tard, c’est le Fola qui contacte Tiago Pereira pour lui proposer de rejoindre l’effectif en tant qu’entraîneur principal. « Jai ensuite eu une proposition du Fola. Ils avaient vu ce que javais réussi à faire avec le Racing et ils pensaient alors que j’étais le candidat idéal pour mener à bien une situation assez similaire. Premier match, nous avons fait match nul contre Mamer ; troisième journée, nul contre le Niederkorn dAmy Thompson… En trois matchs, on avait deux points contre deux gros. Et malheureusement, le covid est passé par là. »

Pandémie oblige, l’aventure s’arrête encore une fois prématurément. Pas le temps de ruminer puisque le nouveau chapitre de son expérience de T1 arrive rapidement. « Mamer ma alors proposé de les rejoindre. Cest Mélody Laurent – une personne absolument extraordinaire tant sur le terrain quen dehors – qui ma contacté pour me demander daller là-bas. J’ai ensuite parlé avec le Directeur Sportif Dean Lean, avec qui le courant est bien passé. Jai signé pour un an, ce que je fais toujours. Un mois avant, le club voulait arrêter le foot féminin, mais on a quand même réussi à avoir de nouvelles joueuses. Je demandais des profils spécifiques, et Mamer essayait de les récupérer. Tout se passait bien. La première saison, nous avons fini quatrièmes. Après celle-ci, on a décidé de viser plus haut. »

Lors de la dernière édition du championnat, Mamer réussit en effet à aller encore plus haut. Avec une place de dauphin en championnat et une finale de la Coupe perdue dans une rencontre étriquée contre le Racing, tous les voyants sont au vert. Des résultats enthousiasmants au sein d’un groupe dans lequel le technicien se fond parfaitement. Pourtant, encore une fois, l’heure est au départ. Cette fois-ci, le club désire qu’il reste, mais en changeant drastiquement ses fonctions. « Je me sentais de continuer. Mais la proposition qui m’a été faite consistait à devenir l’entraîneur principal des U23 et à rejoindre le staff de l’équipe première masculine en Promotion d’Honneur comme vidéoanalyste ! Il voulait me faire rejoindre l’équipe masculine, et quitter les féminines. Dans ce contexte, c’était très compliqué. Si j’avais pu, j’aurais continué avec grand plaisir. Je continue de ne souhaiter que du bien au club et aux joueuses. Nous avons passé de bons moments et ce sont des souvenirs que je n’oublierai jamais. »

Un nouveau défi

Ainsi, un nouveau chapitre débute aujourd’hui pour Tiago Pereira au sein de la Jeunesse Junglinster, qui jusqu’à présent l’impressionne. « Le feeling est très bien passé avec le président, et jai découvert un groupe en or. De lextérieur, personne naime Junglinster. Même moi je ne pouvais pas les voir (rires) ! Elles avaient une mauvaise réputation. Maintenant que je suis dedans, je découvre des joueuses exceptionnelles. » Avant cependant d’apporter un bémol à cette collaboration : « La seule vraie déception, cest qu’au niveau des transferts après mon arrivée, nous n’avons pas réussi à nous renforcer. Je nai eu aucune des recrues que je désirais. Ce nest pas la faute du président ni celle de qui que ce soit. Je suis sûrement arrivé un peu trop tard et le marché avait déjà beaucoup bougé, à l’image de nos quatre recrues arrivées avant moi. Concernant le budget, il faut néanmoins que le club investisse beaucoup plus pour les dames. Sinon, on ne pourra jamais rattraper notre retard. »

Après des années passées dans ce championnat, naviguant de club en club, Pereira a eu tout le loisir de se faire une opinion sur une division qu’il connaît désormais parfaitement, et commence par asséner qu’en cinq ans, le niveau a énormément évolué. Le technicien voit d’ailleurs dans le Racing le grand responsable de cette amélioration, malgré de nombreuses critiques ou regards critiques d’observateurs : « À partir du moment où le Racing sest maintenu et a investi dans un recrutement à l’étranger, tout a changé en positif. Je vois beaucoup de gens qui se plaignent et qui disent “Ce nest pas marrant, le Racing gagne 15-0”, mais le club fait tout ce quil faut ! On ne peut pas les critiquer parce quils se donnent les moyens d’être la meilleure équipe. Ils font un excellent travail et augmentent la compétitivité. » Avant de continuer et de confirmer que selon lui, c’est bien là la voie à suivre pour augmenter la compétitivité de la Ligue 1 Dames. « Ce que Differdange est en train de faire, recruter au Portugal, je dis bravo ! Si tout le monde fait ça, dans deux ou trois ans, ce championnat, ce sera un autre monde ! Y compris pour les équipes qui n’investissent pas, le simple fait de jouer contre un club comme le Racing, cela motive plus et permet d’apprendre beaucoup, ne serait-ce que pendant 90 minutes ! Le niveau augmente donc, et c’est une excellente chose. » 

Un optimisme sur le futur du football féminin au Luxembourg qui passe néanmoins, selon lui, par plusieurs réformes. D’abord avec une refonte du championnat et l’instauration des playoffs, qui devraient voir le jour l’an prochain. « Les playoffs dont ils parlent, c’est une très bonne idée. Ce n’est pas contre les petites équipes, mais c’est la meilleure solution. Si je prends mon club, au lieu de jouer deux fois contre le Racing, cela sera quatre ! C’est génial en termes de progression, de motivation. » Avant de pointer du doigt cette fois-ci une autre aberration qui le choque, comme bien d’autres. « On ne peut pas continuer avec un seul arbitre… Ce nest plus possible. Cela nous arrive de nous énerver contre eux, mais fondamentalement, ils n’y peuvent rien… Cest le seul pays au monde où il ny a quun seul arbitre. Cela ne peut pas continuer comme ça. Il y a moyen de faire quelque chose là-dessus. » Autre espoir pour le coach lusitanien ? La retransmission des rencontres. Si RTL nous avait récemment confié ne pas avoir mis ce sujet à l’ordre du jour, Pereira, lui, espère que nous en serons là dans un futur proche. Au-delà de la visibilité médiatique, la possibilité d’analyser les rencontres serait un outil indispensable et extrêmement bénéfique pour ses congénères.

À 31 ans, Tiago Pereira entame ainsi sa quatrième aventure dans un club de Ligue 1 Dames. Après avoir coaché le Racing, le Fola, Mamer, le voici dorénavant à la Jeunesse Junglinster. Comme souvent – comme toujours – l’entraîneur vise haut, très haut. Hyperactif dans cette tâche qui le dévore, son envie et sa hargne sont évidentes. Le récent troisième au Dribble d’Or 2022 va donc tout donner pour faire de Junglinster le vainqueur de l’autre championnat. Avant, qui sait, avec un recrutement à la hauteur d’ici quelques années, de concurrencer son premier amour du Racing ? L’avenir nous le dira.

admin

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