C’est du Portugal, où il accompagne des joueurs du Spora, que Gilles Muller a répondu à nos questions. L’ancien 21e mondial avait prévu une discussion de vingt minutes. Elle durera finalement presqu’une heure, tant le sujet est vaste et complexe. Alors que l’on est au crépuscule d’une période dorée dans l’ère du tennis Luxembourgeois, Mandy Minella étant sur le point d’achever sa carrière dans un futur proche, la relève devrait déjà commencer à pointer le bout de son nez. Problème ? Jusqu’à présent, les résultats récents n’incitent pas à l’optimisme, et le futur parait bien sporadique en termes de joueurs au classement d’un même niveau.
Il va de soi qu’il faut savoir relativiser l’absence de similarité au nouveau cru à l’ancien. Les années 2000 ont été une période rare, extraordinaire, et de celles qui ne viennent pas tous les jours. Au même titre que le football club de Barcelone de Guardiola, qui composaient énormément de joueurs de la Masia, son centre de formation catalan, on ne peut imputer cela à une simple méthode, mais aussi à un alignement de toutes les planètes pour offrir cette période magique dans l’histoire du tennis au Luxembourg. Et à dire vrai, il est difficile de pouvoir parler d’une stratégie type, tant les joueurs professionnels qui ont brillé ont tous suivi des parcours différents. « Je maintiens que c’était un beau coup de chance. Chacun a eu une trajectoire différente. Anne a fini son bac au Luxembourg avant de partir à Stanford. Claudine a continué l’école par correspondante. Mike était un peu partout, en arrêtant l’école avant de s’entraîner au Luxembourg et en Belgique. Je suis parti à seize ans, sans rentrer pendant 3-4 ans, un peu comme Mandy. Chacun a fait son truc » explique Gilles Muller. Chacun son truc, donc. Et si on peut parfaitement accepter que le sort ait été particulièrement bénéfique en cette période, il n’empêche pas moins que les interrogations subsistent sur le présent et futur. Car, malgré cette longue parenthèse faite de résultats prestigieux et joueurs participants aux plus grands tournois mondiaux, on ne peut réellement parler de ruissellement par la suite. Aujourd’hui, les défis et challenges pour trouver les nouvelles étoiles sont conséquents.
Quand le bon-vivre devient un frein…
Une des premières explications, est évidemment la spécificité du Luxembourg. Avec un cadre de vie confortable, des salaires non-négligeables, et une vie « douce », l’idée de tout abandonner pour une carrière sportive est évidemment dure à embrasser. Dès lors, comment gérer le fait qu’ici au Luxembourg, il est difficile de convaincre les jeunes talents de tout donner pour cette profession ? « C’est une question que je me pose souvent, et je n’ai pas de solutions. Je suis très honnête avec ça, confie encore une fois Muller. Le phénomène que l’on vit au Luxembourg, c’est qu’on a toujours des jeunes très motivés, qui s’entraînent bien, qui jouent bien. Mais un de nos soucis par exemple, c’est qu’on est tellement petit, que les enfants restent toujours chez eux. Ils vont à l’école, ceux qui sont en sport lycée ou à la fédération ont un bus qui les amène à l’entraînement et le soir, ils rentrent chez eux. A titre personnel, ce qui m’a fait le plus progresser, c’est de partir à 16 ans, me retrouver seul, à murir, à prendre mes responsabilités très jeune. Je sens qu’au Luxembourg, tout le monde rentre chez soi le soir, dans un petit cocon et confort assez familial, avec la maman qui fait la cuisine quand on retourne à la maison. S’il y a trop de devoirs à l’école, les parents appellent l’entraîneur pour lui dire qu’on va diminuer les cours les prochains jours ou semaines. Attention, je ne critique pas les parents : j’ai les mêmes discussions à la maison. Mes enfants s’entraînent beaucoup, ils sont parfois fatigués, et ma femme me dit que c’est trop, et je pense que fondamentalement, elle n’a pas tort. Mais c’est aussi en passant par des moments durs que l’on apprend des choses. Tous les pays autour de nous ont des internats où les enfants sont totalement pris en charge par des entraîneurs, par la Fédération. Est-ce que c’est toujours le bon chemin à prendre, je ne sais pas. On trouvera toujours des exemples qui vont à l’encontre de certaines théories. Mais en effet, oui, le très haut niveau de confort que nous avons au Luxembourg complique paradoxalement les choses. »
Une opinion partagée par Patrick Argiolas, Directeur Technique du TC Bonnevoie : « Une carrière sportive, c’est très difficile, très risqué. On le voit avec des parents qui ont des gamins qui jouent pas mal, et qui donnent beaucoup généralement jusqu’au BAC. Après ça, on ne les voit plus beaucoup, ils vont faire leurs études. Après, comment leur donner tort ? Laisser son enfant tout risquer pour qu’à 20 ans, une blessure au genou sabote tous ses projets alors que la stabilité et sérénité sont possibles ailleurs c’est difficile. Cela fait longtemps que je fais une comparaison là dessus : dans les tableaux juniors, on est à 52% de filles de Pays de l’Est à Roland-Garros. Cela explique bien que les pays où la situation est plus difficile, ils n’ont pas le choix. Réussir dans le sport leur permettra, même en étant 150e mondiale de mieux gagner leur vie qu’avec un diplôme de médecin. Il faut réfléchir à une autre manière de donner l’envie de représenter au plus haut niveau. Il faut avantager ces athlètes avec un encadrement avant, après, et au cas ou, qui leur permet de réintégrer des filières dans lesquelles ils pourront commencer des études plus tard, de se réintégrer. Il y a sûrement quelque chose à faire de ce côté-là. Il est important aujourd’hui qu’un jeune puisse se dire « ok j’y vais, je le tente, mais si je me me plante, je serai encadré, soutenu, pour revenir dans la vie active et avoir une situation correcte ».
Pour Claudine Schaul,aujourd’hui directrice des Arquebusiers, et ancienne 41e mondiale, les soucis vont même au delà de ça : « Il y a beaucoup de monde qui veut pratiquer du sport, mais très peu de personnes sont prêtes à faire des sacrifices. Ici, on galère avec des jeunes qui jouent bien, qui ont du talent, et à qui on veut faire participer à des tournois pendant les vacances. Sauf que personne n’est là à ce moment-là. On connait les dates à l’avance des compétitions importantes, mais les gens ne sont pas prêts à planifier en fonction de ça. Quand j’étais jeune, la priorité était aux tournois. Chacun son choix, mais le constat est là. Je respecte si quelqu’un n’en a pas envie, mais si c’est le cas, on ne peut pas trop en exiger vis-à-vis du club ou de la Fédération. On a des joueurs qui sont champions du monde de l’entraînement, qu’on met dans les meilleurs conditions avec des entraînements spécialisés etc… Mais quand il s’agit d’aller faire un effort supplémentaire pour participer à des compétitions, il y a d’autres priorités. Comme cela, on n’avancera pas. C’est très frustrant, mais on doit respecter les choix qui concernent toute une famille. On se doit de faire nos sélections en fonction de ça. Le niveau de jeu ou le talent ne fait pas tout. Mais encore une fois, le confort de vie fait qu’ici, c’est compliqué. Dans d’autres pays, des gens gagnent moins bien leur vie et n’ont pas les moyens de partir à l’étranger chaque vacances scolaires. Ils sont contents que leurs enfants puissent voyager, et participer à des tournois. Ici c’est plus une obligation qu’un privilège. »
Seul Patrick Baluska émet des bémols vis-à-vis de cette problématique. Directeur sportif de l’ académie « Tennis For All », celui qui entraîne un grand nombre de jeunes joueurs estime que cette situation atypique n’explique pas tout : « Il y a du vrai là-dedans. Mais si tu regardes la Suisse, ils ont la même situation financière que le Luxembourg, et ils ont sorti des Federer et Wawrinka. Si tu regardes au pays dans le foot, tout n’est pas parfait, mais le travail qui a été fait à Mondercange est monstrueux, et les résultats sont bien, bien meilleurs. Ils ont fait des bons choix, que malheureusement le tennis ne fait pas ».
Une Fédération pointée du doigt
Pour Baluska, dont la ressemblance avec l’acteur Reda Kateb peut en surprendre plus d’un au premier abord, les problèmes du tennis luxembourgeois sont aujourd’hui plus profonds. Et avant tout peuvent s’expliquer par une Fédération, coupable selon lui de ne pas prendre en compte tous les acteurs de cette discipline au Grand-Duché : « La Fédération est celle qui décide. Et malheureusement, j’estime qu’elle n’écoute pas assez les opinions extérieurs ou différents. Il n’y a pas de dialogue. Il y a une assemblée générale, mais qui est plus sur le plan administratif. Sinon, on ne se rencontre quasiment jamais. Un concept a été mis en place il y a un ou deux ans, qui dit qu’à partir de maintenant il faut gérer les écoles de tennis d’une certaine manière. J’ai regardé le projet : en soi, il est bien. Sauf qu’il ne fonctionne que si tu as une école de tennis avec des centaines de joueurs. Cela n’est donc pas adapté à la taille et à la situation du Luxembourg. J’ai essayé de faire transmettre mon ressenti, mais je n’ai pas été écouté du tout. »
La Fédération, contacté à plusieurs fois par nos soins, n’a jamais daigné nous répondre. Au-delà d’une stratégie inquiétante et assez incompréhensible, il va sans dire que cette absence de réponse ne fera que confirmer les griefs de certains acteurs du tennis au Luxembourg, qui n’avaient pas été nécessairement très tendres. Un entraîneur, sous couvert d’anonymat, n’y va d’ailleurs pas de main morte : « Ici au Luxembourg, cela fait cinq ans que les choses sont catastrophiques depuis que cette Fédération est en place. » Cet entraîneur, présent depuis plusieurs années au pays, pointe du doigt des incohérences. S’il a longtemps hésité à parler, il estime que « pour le bien du tennis luxembourgeois, je me dois de le faire ». Et les exemples de choses qui l’inquiètent sont légion. A commencer par les compétitions organisées par la Fédération : « Pour les sélections, il y a une coupe Davis pour les jeunes. Il faut faire les tournois de pré-sélections qui se déroulent pendant les périodes de vacances. A cet âge-là, tu devrais être en train de faire des grands tournois, mais ici, tu es obligé de participer à ça parce que la Fédération t’y oblige. Ils t’entrainent pendant des années, mais ils sont obligés de faire un tournoi pour déterminer qui sont les meilleurs et qui sélectionner. C’est comme si j’étais entraîneur de l’équipe de France pendant un an, et au final, je fais un tournoi entre les meilleurs pour choisir qui va à la Coupe du Monde. Je ne comprends pas l’idée derrière. » Et l’entraîneur continue de taper sur ces erreurs grossières. « Les tournois de pré-sélections vont aussi être faits sur un terrain qui ne sera pas le même que lors de la vraie compétition. Cela manque de sens. On prend ensuite les meilleurs lors du tournoi, et on les associe tout d’un coup en double, sans automatismes contre les meilleurs belges ou français… Comment peut-on espérer avoir des résultats ? » Les critiques, à peine voilées, ne s’arrêtent pas là, et sont légions : « La Fédération gère tout comme une école de tennis. Mais une Fédé n’est pas une école de tennis, c’est ça le problème. Un autre exemple aujourd’hui de la vision à mes yeux néfaste : il doit y avoir un certain nombre de joueurs pour avoir des subsides. Résultats des courses ? On se retrouve avec trop de joueurs, et les meilleurs ne sont pas assez accompagnés. C’est eux qui souffrent de ça. Mais bon, l’argent est là, donc tout va bien apparemment…
Si ces critiques ne sont pas feutrées et sans fards, elles ne semblent néanmoins pas résumer la pensée générale. Pour Baluska, qui assume son discours, cette position est d’ailleurs assez extrême. Et il est parfaitement capable de décerner des bons points ci et là. « Je crois que Bonnevoie est sur une excellente voie depuis quelques années, et qu’au Spora, cela va mieux depuis que Gilles est arrivé. J’ai le plus grand respect pour lui. Je ne le vois pas souvent, mais ce qu’il fait au Spora est je pense très très bien ». Et même le club des Arquebusiers, avec lequel il a pu avoir par le passé quelques accrochages, réussit certaines choses selon lui : « J’ai quand même vu quelques changements positifs. Chez les Arquebusiers, il y a plus d’entraînement qu’auparavant ce qui est très bien pour les gamins. »
Autre défi conséquent pour améliorer la formation des jeunes : la taille du vivier qui évidemment, limite non seulement les possibilités de trouver une véritable pépite, mais aussi, de permettre à tous de progresser en affrontant des joueurs sensiblement plus talentueux au quotidien : « Un des gros problèmes est en effet le niveau de la concurrence, confirme Muller. Si tu regardes la France, il y aura au moins dans chaque catégorie d’âge une dizaine de joueurs qui ont un top niveau. Chaque tournoi que tu joues, tu as trois ou quatre bons match où tu dois donner le meilleur de toi-même pour avancer. Au Luxembourg, les seuls bons matchs seront généralement à partir de la demie, voire la finale. Pour la progression c’est compliqué. Et c’est la même chose à l’entraînement où tu joues toujours avec les 2-3 mêmes. Dans les autres pays, ils s’entrainent avec bien plus de joueurs. Ils voyagent aussi bien plus, donc ont l’habitude de faire des matchs avec encore d’autres joueurs. Il y a tout ça qui fait que l’équation est complexe. On n’aura jamais dix bons joueurs dans la même catégorie d’âge, il n’y a pas de potion magique. »
Des valeurs en danger ?
Ce désir de remporter des titres et de faire émerger la prochaine star du Luxembourg, défi conséquent à l’heure actuelle, n’est pas néanmoins sans causer certaines inquiétudes chez différents acteurs. Ainsi, Patrick Baluska, est extrêmement concerné de la mentalité que cela crée chez les plus jeunes : « La compétition est devenue malsaine. On met trop de pression sur les jeunes. La semaine dernière, il y avait un tournoi au Luxembourg des deux meilleurs joueurs de U12. Les deux ont été disqualifiés parce qu’ils se sont insultés sur le terrain. Ça en dit long. Il n’y a plus de joie, il n’y a plus de respect, plus de fair-play… Pour moi, c’est parce que la compétition ne va pas dans le bon sens, et le système fonctionne sans la moindre valeur. Tu regardes nos joueurs: quand ils vont sur un tournoi, la Fédération reçoit un rapport s’il écope d’un avertissement. Sur tous les joueurs qu’ils envoient, il y a toujours des rapports. Cela peut arriver une fois de temps en temps, ou si c’est un seul joueur. Mais quand c’est tout le temps, tout le monde, c’est que quelque chose ne marche pas. Nadal, son oncle l’aurait démonté si à 12 ans il insultait ses adversaires. Cette ambiance, cette mentalité, elle vient de quelque part. Cela veut donc bien dire qu’il y a un souci ». Ce désir de sortir des grands joueurs à tout prix pourrait donc, selon certains, avoir un aspect négatif sur l’attitude des jeunes tennismen et tenniswomen du pays. Si le Directeur Technique l’explique en partie par une pression trop élevée de trouver le nouveau Gilles Muller ou la nouvelle Anne Kremer, il n’hésite pas à aussi attribuer une large part de responsabilité dans tout cela à l’entourage familial : « Les parents jouent aussi essentiellement un rôle là-dedans. C’est à eux de donner l’exemple. Il y a un gagnant et un perdant au tennis, c’est inéluctable. Et là-dedans, tu dois respecter quatre choses : l’adversaire, le sport, toi même et tes parents. Si tu fais ça, que tu gagnes ou que tu perdes, je m’en fous. Aujourd’hui tu vas sur des matchs des U12, ça insulte les joueurs, les arbitres… On est où là ? Cela me fait mal au coeur. Mal au coeur. J’en viens à être dégouté du sport. On ne peut pas oublier les valeurs du sport, c’est trop important. Je répète, on ne peut pas les oublier. Il faut progresser oui, mais dans le respect, et en s’amusant. A dix ans, tu dois faire du sport pour te marrer. Et évidemment, avec le temps, si tu as un vrai potentiel, les choses vont devenir plus sérieuses. C’est normal de perdre de la légèreté avec le temps. Mais pas si jeune, on a besoin du bonheur du jeu. Et malheureusement, certains grands clubs sont maintenant sur la même voie, et ça me fait peur. Ce ne sont pas des produits, ce sont des enfants, des humains. Cela va jouer sur la mentalité des gosses. Mais à la fin de l’année, on regarde les chiffres. Si ceux-ci sont bons, alors l’année était bonne.»
Claudine Schaul, sans avoir entendu les propos de Baluska, semble tout de même consciente du danger de la recherche excessive de la performance, puisque selon ses propres dires lors de notre entretien, « On aimerait alimenter ces premières équipes par notre propre jeune, que l’on a nous-même formé. On essaye d’y remédier depuis des années, mais il faut faire attention à ce que ça ne devienne pas une usine ici. » Un danger qui semble lui aussi toucher le Spora, qui, avec un nombre très élevés de membres, peut avoir de réelles difficultés à prioriser certains de ses jeunes. « On a toujours des joueurs ou joueuses qui arrêtent le parcours scolaire normal et qui veulent donc un programme plus spécifique et poussé, et en tant que club, c’est très compliqué pour nous de faire ça. Un projet comme ça demande un accompagnement constant, et on n’arrive pas à l’assumer. On a neuf entraîneurs ici, chacun a un programme très rempli. Si un d’entre eux part en tournoi avec un seul joueur, pour remplacer cette personne toute la semaine c’est très difficile… On y arrive de temps en temps sur les périodes scolaires mais c’est toujours un challenge. Et fondamentalement, seulement entraîner un joueur et ne jamais le voir en tournoi, ça sert à rien. » confirme Muller.
Ainsi, la balance à trouver entre accueillir des joueurs et optimiser la formation des jeunes, est compliquée à trouver. Car le sport loisir demeure un immense vivier d’argent qui permet aux clubs de survivre et se développer. Et, avec un pays dans lequel la population continue de grandir, les challenges sont aussi présents aujourd’hui quant à la possibilité de simplement accueillir tout ce monde. Le TC Bonnevoie espère pouvoir développer de nouvelles infrastructures, les Arquebusiers ont une liste d’attente conséquente de joueurs, et le Spora se retrouve obligé dans certaines situations de louer des courts, incapable de répondre à une demande de plus en plus relevée.
Mais, si le loisir demeure une denrée précieuse sur le plan financier, la recherche de titres, comme dans tout sport est une réalité. « Ce qu’on essaye de faire, c’est une éducation dès le plus jeune âge, nous explique Claudine. Essayer de les mettre dedans tout de suite. Ce qu’on a commencé avec la Fédération avec un circuit pour les plus petits (U6, U8, U10) pour plus les passionner est intéressant. Il faut aussi une prise de conscience générale. Tous les différents acteurs doivent se retrouver dans le même sens. Il faut avoir un projet clair, et s’y cantonner, tout en y allant à fond. Je vois toujours une tendance d’aller chercher un gros volume d’entraînement, qui peut tendre à se disperser. Il faut faire confiance aux professionnels. Et plus que tout, commencer à travailler ensemble. »
Une fracture grands clubs / petits clubs
Au fur et à mesure de nos entretiens avec ces nombreux interlocuteurs, et parfois certaines personnes croisées un peu au hasard dans les clubs de tennis, une tendance semble se dessiner inéluctablement : le divorce de plus en plus consommé entre les grands clubs, et ceux plus modestes. Avec des objectifs et enjeux souvent diamétralement opposés, les acteurs se renvoient constamment la faute, et ne manquent pas d’anecdotes à raconter pour justifier l’image négative qu’ils ont de l’autre camp. Une situation qui s’explique aisément selon Argiolas, tant les visions sont opposées : « Vis-à-vis des grands clubs et petits clubs, c’est sûr que ça n’est pas toujours facile. Mais il faut se rappeler qu’on n’a pas les mêmes structures, les mêmes écoles, les mêmes problèmes. La peur de perdre les meilleurs jeunes est extrêmement fort chez les petits clubs, car dès qu’un gamin joue bien, il part très vite. Mais je pense que c’est la loi, et qu’il ne faut pas y voir que du mal. Et c’est aussi parfois inévitable. Il faut savoir se projeter dans l’avenir du jeune joueur, et comprendre que c’est sûrement bénéfique pour lui ». Au coeur des querelles se retrouvent donc les « vols » de joueurs. Néanmoins, à écouter tout le monde, n’est-il pas normal, que passé un certain temps, un jeune quitte le cocon pour rejoindre une plus grande structure ? Le déchirement affectif, parfaitement évident et fort compréhensible se doit d’aller de pair avec la fierté de voir un jeune passer à l’étape suivante. Si le fond de cette transition semble logique, la forme elle, semble souvent manquer. Comme le confirme notre entraîneur masqué, qui n’hésite pas à critiquer les méthodes de certains dans les plus grands clubs : « Ils essaient de recruter absolument tout le monde. Ils ont les plus grandes écoles de tennis au Luxembourg, plus de six cent joueurs, dont aucun n’est véritablement sorti. Peut-être faudrait il se poser les bonnes questions, et ne pas essayer de grossir encore plus tout cela et se focaliser sur ceux qui sont présents. La qualité doit passer devant la quantité. Mais ça, quand on est à la recherche du profit, on ne le comprend pas… Ils ne se rendent même pas compte qu’ils sont en train de se tuer »
Une culture sportive délicate
Au-delà des querelles entre clubs et critiques de la Fédération, c’est aussi l’absence d’autres acteurs dans des rôles-clés qui interpelle, voire interroge. Sans nécessairement demander un poste, Claudine Schaul, s’interroge sur le faible nombre de personnes venant demander des conseils, et compare sa situation avec la réalité d’aujourd’hui : « Je trouve très dommage que cette génération dorée, que cela soit les joueurs ou leurs entourages, qui manifestement ont fait du bon boulot, ne soit pas plus consultée, plus écoutée. J’ai réussi à faire une carrière professionnelle, mais franchement, tout au long de celle-ci, j’ai pris des décisions qui ont parfois été mauvaises. Et si à ce moment-là j’avais eu quelqu’un qui l’avait fait avant, qui pouvait me corriger, m’empêcher de me tromper, cela aurait pu faire une vraie différence. J’aurais aimé avoir quelqu’un à qui demander conseil ». Une absence de considération que Gilles Muller remarque lui aussi, et regrette vivement : « Si on me demande mon avis, je le donnerais avec grand plaisir. Mais personne ne le fais vraiment. C’est quelque chose d’assez propre au Luxembourg. Je sens que je suis assez apprécié par les gens, pas seulement pour mes résultats mais aussi pour qui je suis. Mais en même temps, quand il y a des grosses décisions à prendre, on me demande rarement mon avis. C’est peut être trop politique, et je n’ai pas envie d’en faire. Je ne vais pas mettre mes coudes pour dire quelque chose. Je suis le premier à vouloir aider, mais je ne suis pas là à me battre. Les gens devraient être assez intelligents pour savoir que « cette personne là a fait un bon parcours dans le tennis et il doit avoir des avis pas inintéressants ». Si ces propos venant de personnes directement concernées par la situation peuvent paraître trop proches de la maison, pour d’autres acteurs, qui n’ont pas d’enjeux personnels là-dedans, l’opinion est absolument similaire, si ce n’est plus virulent : « On a des grands joueurs, qui ont été professionnels, qui ont une expérience dingue. Pourquoi on ne leur donne pas un poste de haute responsabilité à la Fédération, questionne Baluska. Pourquoi un Gilles Muller, une Claudine Schaul, pourquoi sont-ils juste dans leur clubs ? Pourquoi ne sont-ils pas à la tête de tout ? Ils connaissent tout le sytème luxembourgeois, ils sont investis, passionnés. Tu crois qu’un belge qui vient pour cinq ans a le même niveau d’investissement ? Sérieusement… Il y a du monde qui a fait des bons trucs, des Anne Kremer, des Mike Scheidweiler… Mais non, on les écarte, et on donne des contrats à des types d’autres pays pour cinq ans. Je ne peux pas comprendre. Si demain je vais en Autriche pour un contrat de cinq ans, qu’est ce que j’en ai à foutre ? Je n’ai pas d’attache, c’est fini dans cinq ans : je vais prendre mes thunes et voilà.
Ce démarchage de staff hors du Luxembourg, Baluska le voit d’ailleurs ailleurs que dans les comités. Et déplore l’absence d’entraîneurs du Grand-Duché au sein des clubs, forts peu présents en comparaison avec des coachs venus d’un peu partout. « On choisit des entraîneurs par rapport à leur niveau de tennis. Est-ce que tu trouves encore des gens du pays qui entraînent ? C’est très rare. On en revient à la même chose pour ce qui est de la motivation. Ils sont venus parce que cela payait bien. Personne ne veut bosser gratuitement évidemment, mais si c’est la seule raison d’être là… ». Un opinion que semble partager Gilles Muller, mais pour qui l’explication ne se trouve pas simplement dans un désir de recruteur ailleurs, mais plutôt une absence d’opportunités au sein même du pays : « La culture sportive au Luxembourg est une catastrophe. Il suffit de regarder les entraîneurs. Pourquoi y en a t-il si peu originaires du Luxembourg ? Les gens pensent que les luxembourgeois ne sont pas assez bon, alors que c’est tout simplement faux. Si on propose des bonnes formations et que l’on respectait plus le métier d’entraîneur, on n’en aurait plein parce que c’est un chouette métier. Les gens aiment bien le sport et en faire. Mais quand il y a des évènements sportifs, ce n’est pas que la compétition qui va intéresser les gens. Si tu mets un Sinner – Berretini n’importe ou dans une petite salle en Europe, à dix euros l’entrée, ça sera full. Ici, il n’y aura personne. Par contre, tu mets la place à 100 euros, avec cocktail, champagne, DJ etc, là tu le remplis le truc. »
L’absence d’une véritable culture sportive pourrait donc aussi être une explication à l’absence de résultats. Alors que pour Claudine Schaul, il faut que « toutes les planètes soient alignées » pour qu’un joueur perce, les difficultés ne résident donc pas qu’au sein des jeunes, comme elle l’explique. « Si l’enfant se sent freiné parce qu’il ne peut pas participer à des tournois, à un moment donné, la passion ne grandit pas et ça s’arrête vite. Mais il faut les deux, le joueur comme l’entourage. On peut aussi avoir la situation inverse, quand les parents sont plus passionnés que l’enfant. Il y a des gamins qui sont passés qui m’ont fait me dire « c’est dommage, il y avait ce potentiel… » Tellement de paramètres doivent coller pour que ça fonctionne, qu’il y a très souvent toujours un petit truc qui cloche. »
Pourtant, tout semblait en place pour faire du tennis une place fort dans la diaspora sportive luxembourgeoise. Les fameux effets de la célébrité, de la réussite, sont connus de tous, et il est fréquent que passé un exploit, une discipline se voit retrouver un grand nombre de nouveaux disciples, avides de devenir le nouveau « X ».
Comment expliquer alors de passer d’une si grande période, à un néant assez inquiétant ? La notoriété de joueurs ayant fait leur trou, normalement, rejaillit sur une fédération, et crée des répercussions positives. « Quand t’as des bons résultats dans un certain sport, normalement les autres suivent, et pour nous ça n’a pas été le cas, confirme Muller. Je n’ai pas trop suivi pourquoi, occupé par ma carrière, mais on se pose la question. Des erreurs ont-elles été faites ? Le tennis n’a t’-il pas été assez promu ? Des choses ont été ratées, ça, c’est certain. »
Il est toujours compliqué, dans notre métier, de monter des sujets si vastes en parlant à un si grand nombre d’interlocuteurs aux points de vues différents. Si les avis sur grand nombre de sujets divergent, et que les désaccords sont évidents sur certains points, une chose demeure elle, plutôt évidente. Tous et chacun semblent souhaiter le meilleur pour le tennis Luxembourgeois. Si la Fédération ne nous aura jamais répondu, Claudine Schaul, qui siège au CA de celle-ci, conclut ses propos par un réel désir d’unification au pays. « Je suis peut-être mal placé, car je fais partie du CA de la Fédération. Mais il faut savoir que ce ne sont que des bénévoles. Evidemment, on n’est pas toujours tous d’accord, et je suis loin d’être d’accord avec tout ce qui s’y fait. Mais mauvaise volonté, non. Pourquoi aller perdre son temps en tant que bénévole si on n’en a pas envie ?Ce qu’il faut améliorer, c’est la collaboration entre tous les acteurs. Tout le monde veut bien faire. Tout le monde pense avoir le bon chemin, veut le prendre, mais tout seul. Pour moi, c’est un travail d’équipe. On peut avoir un projet individuel de quelqu’un qui réussit, car le joueur est très bon et tout se passe comme sur des roulettes. Mais dans un petit pays comme le nôtre, il faudrait travailler plus ensemble. Les clubs critiquent la Fédération, l’inverse se passe aussi. On fait tous des erreurs, mais il faut se rappeler que normalement, tous les acteurs veulent la même chose : faire monter le tennis luxembourgeois au plus haut. »
Un message d’optimisme, qui semble porter le sceau de la raison. Malheureusement, c’est elle-même qui, questionnée sur la possibilité de voir tout cela arriver, a les plus grandes difficultés à s’imaginer ce jour arriver. « L’unification des projets… (long silence) Cela fait longtemps que je suis dans le tennis luxembourgeois, et c’est difficile pour moi d’y croire. Certains ne le voient pas comme ça : il y a – à mes yeux – certaines personnes qui ne voient que l’intérêt de leur club.: vu les différents acteurs engagés dans les clubs, unifier tout le monde, cela me parait très, très compliqué. » Questionné sur la possibilité de voir dans le futur, un joueur atteindre le même niveau qu’il a réussi à aller chercher, Gilles Muller répond lui aussi, un peu à l’image du constat que l’on se fait à la suite de toutes ces interviews, dans un mélange d’optimisme et crainte quant au futur. « Tout est envisageable. Il y a des jeunes qui jouent très très bien, qui ont des meilleurs résultats que j’avais à leur âge. Il faut attendre pour voir ce qu’ils vont faire, s’ils vont continuer. Je n’ai qu’un souhait, c’est que cela arrive. J’aimerais bien les aider si possible. On verra dans le futur, c’est très compliqué à dire. »
C’est finalement Patrick Argiolas, qui, d’une simple phrase, nous permet peut-être de bien nous rappeler que le Luxembourg avant tout, est un tout petit pays, et que la génération précédente, aussi talentueuse soit-elle, n’était pas dans la catégorie de l’ordinaire : « Il faut seulement être réaliste. La génération dorée, c’était exceptionnel, surtout pour un petit pays comme ça. Il y a eu deux trois joueurs qui ont été classés aux alentours du top 50, ce qui est extrêmement rare. Sur la scène internationale, arriver dans le top 100 c’est déjà avoir un niveau exceptionnel. Pour y arriver, il faut travailler mais aussi donc avoir des joueurs talentueux. On a eu des grands pays comme la Suède ou l’Allemagne qui ont dominé le tennis pendant des années avant d’avoir des creux, c’est cyclique. Je ne pense pas que les méthodes aient fondamentalement changées. En France aussi, c’est très difficile en ce moment, mais les talent jeunes ne manquent pas. Il faut être optimiste. Le pays a les moyens d’y arriver, la Fédération est bien structurée, il faut continuer à travailleur, peut-être être plus spécialisé avec les meilleurs, en offrant un peu plus et en étant un peu plus exigeant. » Travail, exigence et discipline. Trois facteurs clés qui seront absolument nécessaire. Il faudra à cela ajouter une dose de dialogue, se rappeler du plaisir de ce sport formidable, et, bien entendu, un brin de chance. L’avenir nous en dira plus.
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