Ce sont des images, qui au-delà de l’amateur de vélo attirent forcément les yeux et attisent la curiosité. Sous une affluence de 10 000 spectateurs, les cyclistes déambulent la piste de Belair à toute allure, espérant aller glaner une victoire de prestige. Une course parmi tant d’autres, de celles qui ont permis de gonfler le palmarès de certains, et offrir une ligne dans l’histoire pour d’autre. Néanmoins, sur ce cliché, un détail interpelle particulièrement : celle d’un drapeau nazi, fièrement érigé au milieu de la grande foule de spectateurs. Quelle est donc l’histoire de ce Vélodrome rempli à ras-bord dans une période où l’occupant nazi contrôlait le Grand-Duché ?
Pour comprendre comment histoire et sport ont eu une relation si imbriquée, il faut revenir en arrière. Et d’ailleurs, repartir encore plus loin qu’il y a cent ans. Car si le Vélodrome de Belair a été inauguré en 1921, les lieux où concourir existaient déjà par le passé. En 1888 déjà, une piste ovale amovible voit le jour de manière éphémère sur le Champ du Glacis. Ailleurs, à Diekirch, une piste de 333 mètres est ouverte sous le nom de « Vélodrome de la Sûre ». Enfin, au parc municipal de Luxembourg Ville, situé tout proche de la Villa Louvigny, une autre piste, élevée dans les virages et munie d’un revêtement lisse et équipée d’un éclairage fait aussi son apparition. C’est d’ailleurs la première qui s’octroie en plus une tribune (pouvant contenir 200 personnes), une buvette, un restaurant et un magasin de cyclisme. Plusieurs exemples qui démontrent bien que les réunions cyclistes sont depuis des siècles, un évènement populaire au sein du pays.
C’est véritablement après la Première Guerre mondiale que débutent les travaux pour un Vélodrome de taille XXL. Une société anonyme, portant le nom « Parc des Sports Belair » achète tous les terrains nécessaires derrière la rue Belair, actuellement avenue Gaston Diderich. Un an plus tard, le petit bijou est achevé : Avec une longueur de piste en béton de 3330 mètres, un espace pouvant accueillir 8 à 10 000 personnes et une superficie totale de 44 000m2, les choses n’ont pas été faites à moitié. Le 28 août 1921, l’inauguration a lieu. En présence du Prince Félix et approximativement 5 000 spectateurs, le Belge Maurice Depauw rentre dans l’histoire en remportant la première course avec une arrivée au Vélodrome, et donc le Grand Prix Francois Faber.
Passé cette inauguration, de nombreuses réunions cyclistes, toujours aussi populaires auront lieu. De nombreux cyclistes Luxembourgeois, tels que Nic Engel, François Theisen, Maurice Gillen ou encore François Heck participent à ces compétitions. Mais le Vélodrome ne se limite pas qu’au vélo. On y retrouve pêle-mêle des courses de motos, des épreuves d’athlétisme, des concours de gymnastique, des matchs de boxe, des concerts, et expositions, mais aussi du théâtre en plein air. La capacité de l’enceinte est telle qu’un terrain de football y est d’ailleurs aménagé. Néanmoins, sans pouvoir rentrer dans le cadre des dimensions réglementaires, seul des matchs d’expositions sont possibles, ce qui n’empêche pas le public de répondre largement présent.
Pourtant, malgré le succès populaire indéniable, les soucis financiers s’accumulent. Incapable de véritablement réussir à engendrer des profits, et après plusieurs années de pertes, la SA Parc des Sports Belair finit par tomber en faillite seulement cinq ans après l’inauguration. Racheté lors d’une vente publique en septembre 1926, le Vélodrome devient propriété de la société immobilière Bernhein et Cie de Bruxelles qui utilise sporadiquement l’enceinte pour quelques réunions cyclistes. Perdant petit à petit sa popularité, la dernière réunion sur piste a lieu en 1932, soit onze années après la première course. Il faudra attendre plus de dix ans pour revoir des cyclistes fouler la piste historique.
Les sauveurs de Vélodrome : les nazis.
Au début des années 40 pourtant, le Vélodrome ressuscite. Et les responsables de cette résurrection peuvent surprendre : la haute hiérarchie nazie, qui occupe dorénavant le Grand-Duché, décide de remettre à flots la piste après dix ans de vide. Après deux ans de travaux, la première réunion sur piste a lieu. Un travail qui potera ses fruits puisque ce n’est pas moins de 10 000 spectateurs qui assistent au duel entre Walter Lohmann et Mett Clemens, malheureusement perdu par l’athlète luxembourgeois à cause d’une chute dans le dernier virage. Cette belle embellie du Vélodrome continuera jusqu’en 1950, avec une légère parenthèse en 1944 lorsqu’il fut transformé en camp pour prisonniers de guerre par les troupes américaines durant un an. L’enceinte aura tout de même l’honneur d’accueillir une étape du Tour de France en 1947, avant d’être définitivement démoli en 1952, pour laisser la place à la constructions de maisons familiales. Durant ainsi 30 ans, le Vélodrome de Belair aura accueilli non seulement de grands évènements cyclables, mais aussi été une enceinte particulièrement utilisée pour d’autres évènement sportifs. Il aura été un grand lieu de l’actualité sportive du Luxembourg, permettant à de grands noms de se dévoiler à un public toujours friand d’adrénaline, et répondant toujours présent. Bastion légendaire et historique, dans lequel se seront mêlés résultats sportifs et contexte géopolitique, il restera à jamais dans la postérité comme un haut lieu du cyclisme. En attendant son successeur ?
Il faut véritablement le voir pour le croire. En feuilletant les pages d’archives sauvegardées par l’inégalable Gilles Bosseler, la curiosité cède vite sa place à l’incrédulité. Les extraits de journaux s’enchaînent au fil des pages avec une régularité tant impressionnante qu’inquiétante. La certitude de ces articles de presse quant à la construction d’un nouveau Vélodrome, faisant-fi de tout usage de conditionnel interpelle. À chaque fois, la même rengaine. À chaque fois, la même assurance. Et à chaque fois, la disparition d’un projet pourtant estampillé comme parfaitement cimenté.
Alors que dès 1958, « De lëtzeburger Sport » parle du besoin d’un nouveau Vélodrome, c’est réellement en 1974 que les choses se mettent place. La construction d’un nouveau Vélodrome, couvert, est annoncé à Kirchberg. Le Républicain Lorrain confirme dans son journal que cette nouvelle enceinte sera construite à l’automne 1976, et s’interroge déjà sur la lenteur des avancées. S’ils avaient su, à cette époque, que cinquante ans plus tard, rien n’aurait bougé…
Dix ans plus tard, aucun mouvement. Edy Carlier, alors un grand nom du cyclisme au Luxembourg, s’insurge déjà de l’absence d’enceinte pour s’entraîner, et n’hésite pas à utiliser une comparaison pour le moins parlante : « Pourquoi le Luxembourgne possède-t-il pas un seul Vélodrome ? Est-il imaginable que les nageurs s’entrainent dans les rivières, que les footballeurs se débattent dans les prairies ou que les tennismen jouent sur les parkings? ». Pourtant, malgré cette saillie passionnée – et justifiée – les choses ne vont pas aller en s’arrangeant. Pendant dix ans, silence total. Aucune avancée, aucune concrétisation, pas même de promesse. Il faut attendre 1992 et l’anniversaire de la Fédération pour reparler de la nécessité d’un Vélodrome. Si le débat est relancé, Kirchberg est désormais hors-course. Jugé trop couteux, le quartier se voit donc retirer des potentiels lieux d’accueils de ce sésame.
En 1997, nouveau rebondissement. Cette fois-ci, c’est du côté de Manternach qu’il faut se tourner. Pourquoi cette piste sera t-elle finalement annulée ? Dur à dire. Seule certitude : encore une fois, le projet de construction tombe à l’eau. Et il faut attendre 2001 pour cette fois-ci voir le gouvernement s’impliquer. Sous l’impulsion des autorités du pays, la donne semble s’accélérer.. Après tout, les dirigeants rochefortois ont accueilli les responsables Luxembourgeois dont la Ministre Anne Brasseur pour en savoir plus sur ce qu’il faut construire. Et le journal « L’avenir » l’annonce sans le moindre conditionnel : « La Ville de Luxembourg est en voie de payer un vélodrome ». L’affaire est réglée, enfin.
Evidemment, non. Encore une fois, ce projet tombe à l’eau. Et il serait bien futile d’expliquer ici les raisons derrière cette décision. Mais le gouvernement, bien décidé à ne pas lâcher l’affaire, annonce dans son huitième plan quinquennal le financement d’une installation nationale de Cyclisme au plus tard le 31 décembre 2007. Et c’est maintenant Belvaux, l’heureux élu. Oui, mais non. Nous passons donc à Cessange. Et les médias, encore une fois, sont ca-té-go-ri-ques. « L’Essentiel » titre « Le vélodrome sera bien construit à Cessange ». Si l’on n’est pas certain encore de la date de livraison, il n’y a plus de doute possible quant à l’emplacement. Une présentation est d’ailleurs faite en grande pompe : si certains détails interpellent (toit non couvert, absence de chauffage), le futur est en marche.
Mais les critiques pleuvent, et des alternatives commencent déjà à s’offrir. Pourquoi pas Diekirch, après tout ? Deux ans plus tard, toujours aucune construction. La presse se met à parler de Vélodrame. Pourtant, l’idée Cessange s’accroche. Même si en catimini, il se dit que la bourgade n’est plus très chaude à l’idée d’être choisie. Cette fois-ci, le problème est tout autre et prend une autre envergure. Aucun quartier ne semble intéressé à l’idée de construire l’enceinte en ses terres. Fin 2010, le flirt avec Cessange s’achève une bonne fois pour toute. La presse, encore flouée, commence à montrer les crocs, et demande au gouvernement en 2012 de « Respecter ses promesses ».
Mondorf, chapitre final d’un livre bien long à finir ?
Et puis, plus rien. Un nouveau silence de presque cinq ans. La confusion demeure totale en 2016, quand Hesperange, Mamer et Mondorf deviennent soudainement candidats. Après encore une année de tergiversations, le Ministre des Sports annonce la construction d’un Vélodrome à Mondorf. Les plans se dévoilent. Les confirmations et officialisations s’enchaînent. Enfin, nous y voilà. L’attente aura été longue, mais le jeu en valait la chandelle. Après un concours d’architectes, un heureux élu l’emporte en la personne du bureau Marc Mimram Architecture & Associés. Tout est en place. Il faudrait véritablement un coup de tonnerre, ou pire encore, une pandémie mondiale pour cette fois retarder la construction…
Alors voilà. Nous sommes aujourd’hui vers la fin de l’année 2021. Si le Covid peut expliquer un léger retard, d’autres explications ont été données. Manque de terrains, vote d’une nouvelle loi, encore une fois, de nombreux freins pour l’apparition de cette piste. La dernière communication sur le sujet a eu lieu en avril 2021, demandant simplement de la patience.
La patience est une vertu, cela ne fait aucun doute. Mais l’exigence aussi. Et, après cinquante ans sans véritable avancée, d’aller retour, de promesses et annonces non tenues, nous sommes en droit de légitiment demander plus, bien plus. Le vélo est et demeure l’un des sports les plus populaires du pays, et les légendes sportives au Grand-Duché proviennent presque toutes du monde du cyclisme. Charly Gaul a placé le Luxembourg sur la carte mondiale. Elsy Jacobs a fait avancer la discipline féminine de plusieurs décennies par ses performances et sa personnalité. Pour eux, mais aussi tous les autres qui se sont battus, et se battent toujours pour les couleurs du pays, il est temps d’offrir aux amateurs et professionnels une enceinte digne de ce nom, qui permettra aux athlètes luxembourgeois et au public de réellement rentrer dans le 21e siècle. Mondorf, Cessange, Belvaux, Diekirch, Kirchberg… peu nous importe. Le passé a montré que l’emplacement importait peu. À Belair ou à Niederkorn, le public a toujours su répondre présent. Et il ne fait nul doute qu’il en sera de même dans un nouveau Vélodrome flambant neuf. Reste simplement, à savoir quand.
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