Un adage célèbre déclare « qu’une image vaut mille mots ». Une expression fort connue expliquant la force supérieure du visuel au descriptif. Si personne ici ne désire débattre de la pertinence de cette phrase, il y a, au vu des développements récents, une variante intéressante à proposer : « Un chiffre vaut mille mots. » Et quand on en vient aux Jeux olympiques de Tokyo, l’on peut trouver plusieurs figures numériques qui expliquent le dilemme cornélien devant lequel se trouve le gouvernement japonais.
36.000.000.000. Pour ceux ayant du mal avec les chiffres, c’est bien de 36 milliards dont il s’agit. De quoi parle-t-on ? Des pertes financières que subirait le pays du Soleil levant en cas d’annulation des olympiades. Un nombre astronomique, vertigineux, qui explique sans mal le désir – pour ne pas dire besoin – de maintenir cette compétition. Mais des pertes énormes ne sont pas seulement prévues qu’en cas d’annulation. Ce même rapport japonais annonce par exemple que des Jeux olympiques à huis clos signifieraient des pertes de 19 milliards d’euros, des stades à moitié remplis entraîneraient 11 milliards de déficit, tandis qu’un nouveau report coûterait « seulement » 5 milliards d’euros. Un constat tétanisant, qui justifie évidemment le désir du gouvernement de réussir tant bien que mal à maintenir cet événement-clé aux dates prévues. Et qui explique aussi pourquoi le Comité international olympique (CIO) insiste tant pour éviter une nouvelle défection. Car au-delà du pays asiatique, c’est bien toute l’industrie du sport qui serait meurtrie financièrement. Une perte des revenus télé historiquement élevés pour un des événements les plus suivis au monde amputerait le CIO d’une rentrée d’argent vitale pour sa survie. Et avec 90% de ces dits bénéfices revenant aux différentes fédérations sportives à travers le globe, c’est bien l’intégralité du monde sportif qui tomberait dans une crise dont il pourrait bien ne jamais se relever. Autant de facteurs et chiffres effrayants qui expliquent le jusqu’au-boutisme évident du gouvernement nippon.
Mais aux conséquences économiques désastreuses, s’oppose la peur de l’énorme colère nationale.
80% : Encore un chiffre qui fait froid dans le dos. Cette immense majorité, ce n’est rien d’autre que le pourcentage de Japonais qui ne veulent plus entendre parler de Jeux olympiques. Un vent de fronde rare dans un pays généralement peu contestataire. Problème : il est difficile pour les locaux d’accepter de se soumettre à un tel niveau de restrictions et mesures sanitaires pour voir quelques mois plus tard ses dirigeants jouer à pile ou face en accueillant des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes à travers le monde. Un raisonnement logique tant les efforts demandés depuis des mois ont réussi à épuiser la masse. Quand bien même le facteur des potentielles pertes financières ne peut être négligé par le Premier ministre Yoshihide Suga, l’immense désamour de la part de ces gens qu’il est, faut-il le rappeler, censé servir peut-il vraiment être mis de côté, quitte à souffrir de terribles conséquences humaines par la suite ? Il n’est pas difficile de comprendre la totale désapprobation du peuple japonais à voir ses hauts décisionnaires dépenser des sommes folles pour le maintien d’une activité « superficielle » aux dépens d’investissements dans la santé pour les habitants du pays.
Enfin, quelques exemples supplémentaires pour confirmer la puissance de ce chiffre : 524 et 7.863. Le premier est le nombre de nouveaux cas au plus fort de la première vague en 2020, tandis que le deuxième, 15 fois plus élevé, est la même statistique, mais au 20 janvier 2021. Une explosion du nombre de cas positifs au virus dans un pays qui, s’il avait réussi à gérer l’arrivée du Covid-19 il y a maintenant presque un an, n’arrive pas cette fois-ci à endiguer la crise et l’explosion du nombre de contaminés. Une courbe en augmentation qui est à l’exact opposé des résultats attendus pour maintenir au calendrier la bonne tenue d’un événement censé accueillir 11.000 athlètes et normalement plus de 5 millions de spectateurs dans les stades.
Réponse dans un mois ?
Nous sommes tous devenus habitués à vivre au jour le jour sans prévoir d’événements ancrés à une date précise dans le futur. C’est aujourd’hui notre quotidien, pimenté de modélisations, rapports déprimants et espoirs restreints. Planifier des vacances est devenu une folie irresponsable. Mais, contrairement à ce que nous vivons aujourd’hui, le Japon affronte de son côté une situation qu’il n’aurait jamais pu anticiper. Désarmés par un virus sans pitié et imprévisible, le CIO et le gouvernement comptent sur le vaccin pour les aider à prendre une décision en faveur d’un maintien.
Malheureusement pour eux, le temps presse et les rapports, au moment où nous rédigeons ces lignes, n’incitent toujours pas à l’optimisme. Quand bien même les campagnes de vaccination s’accéléreraient dans un futur proche, il est illusoire d’espérer pouvoir se reposer complètement dessus pour garantir une bonne tenue des Jeux. « Ça ne résoudra pas tous les problèmes, analyse avec lucidité Toshiro Muto, CEO de Tokyo 2020. Je sais bien que le vaccin ne nous permettra pas de nous priver de toutes les mesures barrières contre le virus. Nous plaçons beaucoup d’espoir dans la vaccination, mais nous ne pouvons pas dépendre totalement de ça. »
Il y a aussi un enjeu qui dépasse la santé ou les finances. C’est tout simplement celui de l’image publique et de la fierté nationale. Une annulation de cette compétition phare sonnerait comme une humiliation pour un pays ne supportant guère le déshonneur. Déshonneur qui pourrait être bien plus élevé si, en cas d’annulation japonaise, les Jeux olympiques d’hiver prévus en… Chine, six mois plus tard, avaient bien lieu.
Entre camouflet et déshonneur, conséquences économiques désastreuses, risques économiques et sanitaires élevés et possibilité de se mettre toute sa population à dos, pour ne pas dire dans un état d’insurrection, la tâche semble impossible et aucun choix ne paraît satisfaisant.
Alors que l’accueil de la torche olympique est pour le moment prévu le 25 mars, entraînant ainsi le déplacement de cette dernière à travers le pays, une annulation de ce moment symbolique pourrait être la confirmation finale que, face aux aléas de la nature, le Japon abandonne l’idée d’ouvrir ce cadeau piégé. Et sans torche, ce serait bien l’obscurité totale qui envahirait l’Empire du Soleil levant.
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